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Le choc Gilets jaunes : comment les démocraties ont fini par s’affaiblir à force de vouloir se préserver des passions populaires
©LUCAS BARIOULET / AFP

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Les démocraties occidentales semblent incapables de répondre aux menaces actuelles (populisme, islamisme...), notamment parce qu'elles ont exclu leurs citoyens des débats de fond.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Face à la montée d'adversaires des démocraties occidentales (populisme, islamisme…) celles-ci semblent incapables de répondre à cette menace, et leurs stratégies pour se défendre ces dernières années semblent même au contraire  prêter le flanc aux assauts de leurs adversaires. Est-ce que, paradoxalement, les démocraties occidentales n'ont pas fini par s'affaiblir à force de vouloir se renforcer contre leurs ennemis ?

Edouard Husson : Il faudrait être sûr que nous sommes d’accord sur les termes employés. Les démocraties occidentales ont, sauf exception, été en partie vidées de leur substance par le libéralisme. Rien d’étonnant à cela: l’un des maîtres à penser de la révolution néolibérale est Friedrich Hayek, qui dit ouvertement dans son oeuvre se méfier de la démocratie, vue comme un système qui conduit immanquablement à la demande d’un Etat-Providence donc à une perte de liberté. Il ne faut donc pas inverser les facteurs: les libéraux, depuis le début des années 1990, c’est-à-dire depuis le moment où le bloc soviétique s’est définitivement effondré, ont mis en place un système consistant à limiter la démocratie. Ils ont transféré à des systèmes de décision non démocratiques (l’Union Européenne, l’OMC, les conférences sur le climat) des thématiques et des sujets qu’ils voulaient soustraire au contrôle démocratique. Le populisme n’est qu’une réaction au néolibéralisme, une volonté de réaffirmer la démocratie dans l’environnement hostile de la solidarité des dirigeants néolibéraux de tous les pays. L’islamisme, lui, est une réaction totalitaire à la modernisation des sociétés et des populations musulmanes. 

Une des grandes faiblesses des démocraties occidentales ces dernières années semblent d'avoir souvent opté par une voie plus technocratique ou supranationale. En témoigne l'exemple récent du Pacte de Marrakech. A tellement vouloir se protéger nos démocraties n'en finissent-elles pas par exclure leurs citoyens de l'action politique, lesquels se retournent contre eux ?

L’exemple du Pacte de Marrakech est flagrant: les néolibéraux de tous les pays sentent bien que le sol se dérobe sous leurs pieds. Les peuples ne veulent pas d’une immigration non contrôlée. Vous pouvez, un temps, crier à la xénophobie et au racisme mais la formule s’épuise. Que vous reste-t-il à faire? Imaginer un texte signé par tous les gouvernements, qui affirme la supériorité d’un engagement « global » sur tout débat démocratique national. Bien entendu, il s’agit d’un texte non contraignant mais ce n’est qu’un prélude. D’autres suivront, à propos desquels on expliquera que, puisque l’immigration est un problème, et qu’il n’est pas soluble au niveau national, on doit renforcer l’arsenal supranational. L’euro repose sur un raisonnement similaire: la monnaie est un sujet trop sérieux pour être laissé entre les mains des gouvernements nationaux; alors même que la monnaie touche à ce qu’il y a de plus caractéristique d’une culture politique, on a proclamé l’indépendance des banques centrales et leur organisation dans un système supranational, qui a vocation à être régulièrement renforcé. 

Une autre des faiblesses de nos démocraties n'est-elle pas qu'elles sont fondées sur des grandes décisions qui ne peuvent être annulées, qui ne laissent pas le choix, qui n'envisagent qu'une seul voie ? Quand on pense à l'actuelle situation du Brexit par exemple, ne doit-on pas en conclure que le problème est que nos systèmes de la même façon qu'ils n'ont pas envisagé qu'une sortie de l'UE était possible, ne semblent pas en mesure de proposer des structures qui permettent une véritable alternance ?

Angela Merkel a largement utilisé le slogan « Il n’y a pas d’alternative ». Mais on peut remonter plus longtemps en arrière: l’euro a été pensé comme si les peuples ne voulaient jamais en sortir. Nous pourrions prendre chacun des grands sujets: culture, politique, économie, finance, environnement, etc....et nous découvririons à chaque fois le même phénomène: il a été affirmé à un moment qu’il n’y avait qu’une politique possible. Et cela a justifié que l’on effectue des « transferts de souveraineté », qui sont en fait des affaiblissements de la démocratie. Cela fait des décennies que la paix est assurée en Europe entre les anciens belligérants de la Seconde Guerre mondiale; mais vous remarquerez que l’on continue à utiliser cet argument (« l’Europe c’est la paix ») pour pousser un autre objectif, très différent de ce qu’avaient imaginé Schuman, Adenauer ou de Gasperi: nos modernes européistes imaginent la création d’une Europe de la démocratie limitée. Le cas du Brexit est instructif dans la mesure où l’on voit bien ce que produit le fait de se fréquenter entre dirigeants en permanence, au détriment du débat national. Alors même que la négociation était possible, Theresa May a laissé traiter le sujet par des « technos »: au lieu de d’appuyer sur le Parlement et de profiter du Brexit pour renforcer son emprise politique. 

Quelles voies s'ouvrent à nous dès lors pour sortir de cette spirale négative ?

Le mouvement des Gilets Jaunes offre une occasion de reconquête de la décision au profit de la démocratie. Après tout, Emmanuel Macron, lorsqu’il prend la décision de lâcher du lest, budgétairement parlant, le fait en ignorant la règle du déficit limité à 3% du PIB. Cette règle, comme beaucoup de celles qui gouvernent l’euro, est parfaitement conventionnelle, arbitraire même. Le chiffre des 3% avait été fixé à l’époque de la négociation de Maastricht, au doigt mouillé. Ce faisant, Emmanuel Macron ne fait qu’entamer un processus de réappropriation de la décision budgétaire par la politique nationale. Evidemment, si l’on prend au sérieux le vote du budget par le parlement national, on doit prévoir d’avoir, un jour, un retour des finances publiques à l’équilibre. Mais ce sera une décision prise dans un cadre réaliste et cohérent, celui de la nation. D’une manière générale, il faut, dans tous les domaines, retrouver la voie du débat démocratique, du contrôle par le Parlement. Tout ce qui a été retiré à la démocratie comme pouvoir de décision doit lui être rendu. Et il faut encore renforcer la démocratie: là aussi utilisons la crise des Gilets Jaunes: mais il faut aller beaucoup plus loin encore que le débat proposé par Emmanuel Macron. 

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