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Les 5 graphiques qui révèlent l'incroyable aveuglement des élites européennes sur les dysfonctionnements de la zone euro
©DANIEL ROLAND / AFP

Pas besoin d’en sortir pour mieux le gérer

Alors que 3 Français sur 4 considèrent que l'euro a eu impact négatif sur leur pouvoir d'achat, dans un contexte marqué par les Gilets jaunes et les crises politiques successives au niveau européen, le Conseil européen devrait être l'occasion, pour le cercle de la raison européen, d'affronter le véritable problème qui menace le continent.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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"Sous l’effet de divers vents contraires tels que les perturbations dues au Brexit, les inquiétudes liées aux guerres commerciales, les difficultés du secteur automobile et l’incertitude politique et économique croissante, le ralentissement de l’expansion amorcé dans le secteur manufacturier continue de se généraliser pour englober progressivement le secteur des services. L’activité globale et les nouvelles affaires augmentent ainsi à leur rythme le plus faible depuis plus de deux ans en novembre ". C'est ainsi que l'Institut Markit analysait les dernières livrées statistiques de la zone euro en ce début décembre, annonçant un climat de plus en plus orageux pour le niveau d'activité européen. Une conjoncture à la baisse qui vient d'être confirmée par Mario Draghi ce 13 décembre, en révisant à la baisse les prévisions de croissance de la zone euro : 1.9% pour 2018 et 1.7% pour 2019. Et c'est dans ce contexte que cette même Banque centrale européenne, toujours ce 13 décembre, annonçait la fin de son programme de soutien à l'économie du continent - débuté au début de l'année 2015 - et qui avait permis le retour de la croissance en zone euro, tout comme la baisse du chômage global que nous avons pu constater depuis lors.
L'arrêt de cette politique de soutien à l'économie intervient alors que le taux de chômage se maintient encore à un niveau de 8.1% de la population active pour l'ensemble de la zone euro, tout en considérant que 3 des 4 grands pays de l'union monétaire sont encore soumis à un régime de chômage de masse, soit 8.9% pour la France, 14.8% pour l'Espagne, ou encore 10.6% pour l'Italie. 

Une situation qui pourrait surprendre tout observateur qui chercherait à comparer cette décision avec ce qui avait pu être fait aux Etats-Unis. Car cette même politique d'assouplissement quantitatif avait été mise en place par la Réserve Fédérale des États Unis dès novembre 2008 (contre mars 2015 pour la zone euro) et avait été stoppée en octobre 2014…alors que le taux de chômage du pays était revenu à un niveau de 5.7% de la population active, bien loin du seuil constaté par les européens aujourd'hui (8.1%). Cette décision ne fait que témoigner d'une réalité incompréhensible pour les populations : la baisse du chômage n'est tout simplement pas une priorité dans le cadre de la stratégie économique de la zone euro.

Finalement, loin de correspondre à l'intérêt général de la population de la zone euro, le choix fait par Mario Draghi se justifie par le respect de la Règle. En effet, les prévisions relatives au taux d'inflation à moyen terme, 1.6% pour 2019, 1.7% pour 2020, convient aux gouverneurs de la BCE, en parfaite conformité avec leur mandat de "stabilité des prix", dont l'objectif est de maintenir l'inflation à un niveau "en dessous mais proche de 2%". (dans la pratique, le seuil de 1.7% semble faire consensus). Le respect de la règle issue des traités prime évidemment sur tout pragmatisme, en dépit des nombreux signaux d'alerte politique qui ont été générés par l'acceptation tacite des dirigeants européens d'un niveau de chômage inacceptable par les populations.

Sous nos yeux, une nouvelle preuve que la façon de gérer l'euro, inhérente au mandat inscrit dans le marbre des traités, est un problème crucial pour le continent européen : alors que l'Italie entrevoit une perspective de récession, que la France est enfermée dans une spirale de crise politique greffée sur celle du pouvoir d'achat avec les Gilets jaunes, les institutions européennes se trouvent toujours incapables de répondre efficacement à une crise qui saisit le continent depuis une décennie entière. Statutairement, la BCE ne dispose pas des moyens de rectifier le tir et de faire de la baisse du chômage sa priorité, tout en respectant un objectif de stabilité des prix.

Et pourtant, tout avait bien commencé. Depuis la création de l'euro en 1999, et jusqu'à ce que la crise s'empare du continent, la hausse du pouvoir d'achat de l'ensemble des déciles de revenus qui composent la population française connaissaient une progression substantielle :

En donnant de tels résultats pendant près d'une décennie, l'euro apparaissait comme capable de remplir son rôle de soutien à la progression des niveaux de vie, au regard de l'augmentation des revenus. Par contre, cette perspective d'un euro "de la croissance" s'est fortement assombrie depuis 2008.

Sur la longue période qui sépare 2008 de 2016, les niveaux de vie des 4 premiers déciles (les plus faibles revenus) ont connu une baisse, tandis que les déciles supérieurs enregistraient une hausse minimale (inférieure à 1% sur près d'une décennie complète). En 10 ans, la majorité de la population française a donc subi une baisse de son pouvoir d'achat. Les Gilets jaunes ne sont nés d'un mythe.

Au regard de ces résultats d'un euro capable d'entraîner l'économie européenne vers le haut durant sa première décennie d'existence, mais discrédité par sa gestion calamiteuse au cœur de la crise, notamment sous la direction de Jean-Claude Trichet, les Français ne s'y trompent pas. En effet, selon un sondage IPSOS STERIA publié par le Monde ce 11 décembre, 3 français sur 4 considèrent que l'euro a eu un impact négatif sur leur pouvoir d'achat. Un résultat négatif qui peut se justifier par l'incapacité de l'euro à générer une croissance suffisante au cours de ces 10 dernières années - et dont la conséquence a été la médiocrité de la croissance des revenus - et non, comme le pensent 82% des Français, en raison de la hausse des prix dont l'euro aurait été la cause.

En effet, l'inflation, sous ses deux formes, a été bien plus faible au cours de ces deux dernières décennies qu'au cours des deux précédentes.

La moyenne annuelle de hausse des prix depuis la naissance de l'euro a été de 1.53% lorsque l'on considère l'inflation harmonisée (le panier de la ménagère). Et si l'on considère l'inflation sous-jacente, une version plus restrictive, l'inflation moyenne n'a été que de 1.14% sur les 20 dernières années. Mais ici encore, les deux périodes méritent d'être traitées séparemment. Entre 1999 et 2008, l'inflation harmonisée a été de 1.91% soit un niveau très proche de ce qui est demandé à la BCE : une inflation "proche mais inférieure à 2%", alors que la décennie suivante, de 2008 à 2018 signale une moyenne de 1.15% de hausse annuelle des prix (et en complet décalage avec le mandat). De son côté, l'inflation sous jacente a progressé de 1.43% entre 1999 et 2008 et de 0.84% entre 2008 et 2018. Ce qui signifie que la BCE a eu une interprétation restrictive d'un mandat lui même restrictif, c'est la double peine pour les chômeurs européens.

Le menace de l'inflation n'en est donc pas une, et la faiblesse de ces chiffres depuis 2008 ne fait finalement que témoigner de l'anémie du niveau d'activité au sein de la zone euro. Or, une faible inflation n'est rien d'autre qu'une protection fournie au capital, au patrimoine. Il n'est donc pas véritablement étonnant de voire l'INSEE écrire :

"Le patrimoine financier et immobilier moyen a augmenté entre 1998 et 2015 pour l’ensemble de la distribution sauf pour les 20 % des ménages les moins dotés. Les 70 % des ménages les mieux dotés ont bénéficié de la forte valorisation du patrimoine immobilier (+ 133 % en euros courants) sur la période, surtout entre 1998 et 2010. De même, le patrimoine financier a augmenté de 75 % entre 1998 et 2015, essentiellement durant la période 2004‑2010, profitant à tous sauf aux 20 % des ménages les moins dotés qui détiennent presque uniquement des comptes courants et livrets d’épargne réglementée"

En luttant exclusivement contre l'inflation – et en donnant ainsi une protection disproportionnée au capital, c’est-à-dire au patrimoine – la politique monétaire européenne fait du "travail" une simple variable d'ajustement, et c'est ce qui explique la décision de la BCE de ce 13 décembre. "Tant pis pour les chômeurs et les hausses de salaire, il faut protéger contre une menace d'inflation". Une menace fantôme.

Et c'est également ce qui explique les déséquilibres que nous constatons au sein de la zone euro depuis la crise de 2008. Les mouvements de protestation européens, des Gilets jaunes à l'émergence des partis populistes de toutes sortes ont pris naissance sur le terreau fertile d'une politique économique parfaitement inadaptée aux besoins du continent. L'accroissement des inégalités, la stagnation des salaires, la faiblesse des investissements, de la productivité, et l'angoisse générée par cet environnement dépressif est en train de tailler l'Europe en morceaux.

Dans le cadre du Conseil européen qui se tient ces 13 et 14 décembre, Emmanuel Macron et les autres dirigeants européen feraient bien de sortir de leur zone de confort intellectuel, en remettant en cause un mandat arbitrairement conçu il y a plus de 20 ans par un "cercle de la raison" qui n'a plus rien de raisonnable. Et se rendre compte des dégâts énormes causés par cette simple lacune qui manque à l'euro pour se remettre en ordre de marche : faire du travail une priorité équivalente à la protection du capital en instituant le plein emploi comme un objectif prioritaire européen.

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