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La France s’est réveillée. L’Union Européenne tremble sur ses bases
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 
Le 10 décembre 2018, 

Mon cher ami, 

Jupiter fait perdre la raison à ceux qu’ils veut perdre, surtout quand ils se prennent pour Jupiter 

Il y a quelques semaines encore votre président jupitérien semblait regarder avec commisération notre Premier ministre. Theresa May ne se débattait-elle pas dans des difficultés sans fin pour trouver un accord de Brexit avec l’Union Européenne. Emmanuel Macron n’était-il pas réputé pour son parti pris d’intransigeance vis-à-vis de la Grande-Bretagne? A présent notre Premier ministre ne va pas beaucoup mieux: elle a décidé de repousser le vote la Chambre des Communes ce mardi 11 décembre de son plan de Fake Brexit. Mais il se pourrait bien que votre Président soit plongé, le même jour dans la tourmente qui suivra immanquablement un discours raté à la nation. Je viens d’écouter ce discours si attendu. Jupiter s’est acheté un répit mais pas plus. 

La langue latine nous a légué la formule “Quos vult perdere Juppiter dementat!”, c’est-à-dire “Ceux qu’il veut perdre, Jupiter les rend fous”. En l’occurrence, votre président s’est perdu lui-même parce qu’il s’est pris pour Jupiter. Il vaut la peine de regarder la séquence que votre pays vient de traverser :

  • L’année 2015, marquée par de sanglants attentats, aurait pu être, pour le président de l’époque de la République de l’époque, François Hollande, l’occasion d’effectuer un tournant patriotique. Le seul fait de demander des comptes à l’Allemagne, dont l’ouverture des frontières, en septembre 2015, a permis aux terroristes du mois de novembre de se faufiler au milieu des réfugiés pour arriver plus facilement en Belgique et préparer leur attentat contre Paris, aurait permis au pays de commencer à se ressaisir. Mettre en cause Schengen aurait pu être le premier pas d’un réaffirmation de la souveraineté française. 
  • Ensuite est venue cette étonnante année 2017. Le président sortant n’a même pas pu se représenter tant il était enlisé dans l’échec de sa politique européenne. Le favori, François Fillon, a trébuché, poignardé de l’intérieur de son parti mais au fond incapable de justifier le fait de vouloir faire subir à son pays une cure d’austérité alors que lui-même avait toujours veillé à arrondir ses fins de mois de parlementaire. Emmanuel Macron s’est ainsi faufilé, entre deux candidats qui trébuchaient et fut l’improbable vainqueur d’une présidentielle qui, au fond, trouvait bien sa place après le Brexit et la victoire de Trump. 
  • Emmanuel Macron n’a pas tiré les bonnes conclusions de sa victoire inattendue. Il aurait dû prêter attention au fait que les deux candidats naturels, le président sortant et le candidat des Républicains avaient trébuché sur l’Europe. Il pensa que la mauvaise performance de la candidate du Front National, la grande pourfendeuse de l’euro, justifiait son propre fédéralisme européen. Une fois élu, il afficha un engagement pro-européen comme aucun de ses trois prédécesseurs ne l’avait osé. 
  • Dans un premier temps, votre président nouvellement élu sembla aller de victoire en victoire. Il obtint une majorité gigantesque à l’Assemblée. Il fit voter la réforme du code du travail. Il tint bon face aux blocages de la SNCF. Il prononça des discours enflammés sur l’Europe. Il fut fêté par les libéraux du monde entier pour avoir défié Donald Trump après que celui-ci eut annoncé le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris. Emmanuel Macron faisait les gros titres des médias internationaux. Il s’en prenait violemment à Viktor Orban ou Matteo Salvini. Alors que la Chancelière Merkel entamait un long déclin, le président français semblait reprendre le flambeau du monde ouvert et le tenir fermement. 
  • Jupiter était devenu si sûr de lui qu’il pensait pouvoir se permettre toutes les provocations. Il opposait “les gens qui réussissent” et “ceux qui ne sont rien”. Il déclarait vouloir pourfendre les “fainéants et les cyniques”. En déplacement au Danemark, il se plaignait des “Gaulois réfractaires”. 

Le peuple français n’a pas manqué l’occasion qui se présentait à lui

L’histoire retiendra que c’est un gamin, un adolescent normalement insolent, qui fit tomber le masque du Président sans le savoir. A l’occasion des commémorations du 18 juin, votre nouveau Gavroche lança au Président: “ça va Manu?”. Au lieu d’un sourire, il eut droit à une leçon de savoir-vivre. Or, quelques jours plus tard, lors de la Fête de la Musique, Emmanuel Macron, contre tout respect dû à sa fonction, transformait l’Elysée en discothèque et les salons officiels en lieu d’exhibition. Les leçons faites à Gavroche étaient vite oubliées. Jupiter s’était enivré de sa propre démesure; après Hubris, Nemesis allait faire son apparition. 

Tout est allé très vite: le Président avait voulu faire nommer sous-préfet son principal garde du corps. Le Ministère de l’Intérieur se rebella. On découvrit que ce garde du corps avait joué au policier lors des manifestations du 1er mai. A partir de ce moment, tout est allé très vite. Ce qui était naguère mis à l’actif du Président fut systématiquement mis à son passif par les médias. Sa cote de popularité chuta. le monde entier commença à douter. Mais ce qui s’est passé de plus important, c’est que le peuple français, qui avait durant vingt-cinq ans subi sans véritablement se rebiffer, une politique économique contraire à ses intérêts, a soudain saisi l’occasion qui se présentait. c’était la première fois qu’un président français apparaissait aussi vulnérable: Jacques Chirac était trop canaille pour qu’on puisse lui en vouloir longtemps; Nicolas Sarkozy imposait le respect par sa combativité malgré l’hostilité qu’il pouvait susciter; François Hollande méritait si bien son surnom de “Flamby” qu’on en avait conclu qu’on ne pouvait rien faire contre la mollesse. Mais avec Emmanuel Macron, c’est autre chose: voici que soudain il apparaissait que le dialogue direct entre le peuple et le président voulu par le Général de Gaulle redevenait possible - mais aux conditions du peuple. Votre vieux peuple perclus d’épreuves mais régulièrement renaissant a redressé la tête et saisi l’occasion avec un instinct très sûr. 

Furia francese

C’est bien intentionnellement que je parle de votre peuple comme d’une volonté unique. On reconnaît des équipes ou des régiments anglais à leur sourde détermination et leur combativité quand il y a un défi à relever; on admire la manière dont les Américains se lancent dans un combat en crescendo. Il n’y a que vous autres Français pour pouvoir ainsi vous soulever unanimement et soudainement. Votre président ne se doutait pas comme il avait raison de parler de la start-up nation ! Comment ne pas admirer les permanences nationales? Votre peuple s’est soulevé avec cette “furia francese” que redoutaient tant les condottiere durant les guerres d’Italie ou les armées d’Ancien Régime durant la révolution. Et tous vos bien-pensants auront beau vouloir utiliser ces fins de samedi où les casseurs et les voyous de banlieue tiennent les rues pour essayer de disqualifier le mouvement, il ne sera pas possible d’escamoter la puissance d’une vague qui est présente dans toute la France. Il était frappant de voir comment vos chaînes d’information en continu, hier, se concentraient sur Paris, comme s’il s’agissait de minimiser l’essentiel de la révolte en train de s’installer dans tout le pays, en particulier dans les villes petites et moyennes. 

Cela fait des jours que j’écoute ces Gilets Jaunes interrogés sur vos médias. Je retrouve chez eux la même détermination sourde que chez les électeurs de Donald Trump ou chez les Brexiteers. Mais j’y décèle quelque chose en plus: une maturité de la formulation, une intelligence de ce qui est en jeu. Ah! Que votre président, que vos dirigeants depuis des années ont eu tort d’ignorer les trésors d’ingéniosité et de générosité qui se nichent dans le peuple français! Regardez ces nombreux tracts de doléances qui circulent. J’en ai un sous les yeux qui réclame démocratie directe, gouvernement d’union nationale, baisse des impôts, immigration choisie, dévolution de la décision aux régions et aux communes, fin de la PAC, protectionnisme vis-à-vis de l’Allemagne, retrait des aides publiques à la presse. Le tract se finit en disant: « Nous voulons une action immédiate pour arrêter l’intégration dans l’Europe car elle ne se construit que sur la ruine des petites gens ». 

La fin de cette « Europe qui ne se construit que sur la ruine des petites gens »

Votre président ne peut pas grand chose, à terme, s’il cherche à s’opposer à la volonté nationale ainsi exprimée. Oh! Je ne me fais pas d’illusions. j’ai vu comme notre classe politique résiste à la mise en oeuvre du Brexit. J’ai vu comme l’Union Européenne essaie toutes les ruses pour inverser le dit Brexit. Je sais que jusqu’au mois de mars mon pays aussi va entrer en turbulence. Mais, depuis trois semaines, il se passe quelque chose de décisif: la France a basculé. Tout l’édifice européen est en train de vaciller sur ses bases.

C’est vous Français qui verrouillez l’Europe: pour le pire, quand vos dirigeants sont restés soumis, pendant trente ans, à un « modèle allemand » qui n’était pas fait pour votre peuple ni pour l’ensemble de l’Europe; pour le meilleur quand votre peuple fait éclater cette imposture. Je suis prêt à parier que les choses vont aller très vite, désormais, en termes de déstabilisation de la mécanique européenne. Il se peut même que nous autres conservateurs qui avons depuis longtemps espéré ce moment de grand basculement, nous soyons pris de vitesse dans notre capacité à penser la reconstruction de l’Europe après l’effondrement de l’édifice vermoulu. Mais je n’ai qu’une chose à dire ce soir: honneur au grand et digne peuple français ! 

Bien fidèlement à vous 

Benjamin Disraëli

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