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Comment expliquer cette différence de traitements des gratte-ciels entre Paris et Londres ?
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Question de taille

Londres est sur le point de se doter de son 56e gratte-ciel. Pendant ce temps-là, à Paris, on se refuse toujours à dépasser le sixième étage...

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Alors que les Londoniens construisent leur 56e gratte-ciel, de notre côté de la Manche, nous y sommes réticents et restons bloqués à deux, derrière Madrid et Berlin. Comment expliquer cette différence ?

Laurent Chalard : Le premier facteur explicatif de cette différence est un biais statistique. En effet, l’écart concernant le nombre de gratte-ciels entre Paris et Londres est exagéré du fait du périmètre statistique utilisé, large à Londres, petit à Paris, puisqu’il repose sur un critère administratif : le périmètre de la ville-centre. Or, singularité internationale qui se perpétue, la superficie de Paris intra-muros est toute petite par rapport à ses concurrentes internationales, dont le Grand Londres, la majorité des gratte-ciels se situant consécutivement à l’extérieur de son périmètre. En l’occurrence, ils sont principalement localisés dans le département des Hauts-de-Seine dans le quartier de La Défense, qui s’étend sur trois communes : Courbevoie, Nanterre et Puteaux. Si l’on inclut donc La Défense, le nombre de gratte-ciels parisiens, entendus comme des immeubles dépassant 150 mètres de hauteur, est de 17 selon le site internet pss-archi.eu, qui a constitué la meilleure base de données sur le sujet en France, soit largement devant Madrid et Berlin.
Cependant, une fois éliminé ce biais statistique, il n’en demeure pas moins qu’il existe un écart conséquent avec Londres, qui s’est accentué depuis les années 1990. En effet, dans un contexte de financiarisation accentuée de son économie suite aux réformes entreprises sous Margaret Thatcher, Londres s’est lancée dans une construction effrénée de tours de bureaux, symboles de la puissance de la place financière britannique, mais aussi, plus récemment, de tours de logements haut de gamme pour des populations aisées dans un contexte de coût du foncier exorbitant, qui contribue à construire en hauteur. En conséquence, alors qu’en région parisienne, les gratte-ciels sont concentrés dans un seul secteur, La Défense, à Londres, il y en a désormais un peu partout, y compris à proximité de monuments historiques, ce qui fait perdre de son âme à la capitale britannique.

Le règlement qui encadre la construction des gratte-ciels à Londres est très strict, afin de produire des logements sécurisés. A cette condition, Paris pourrait-il envisager une construction de gratte-ciel comme une solution à la crise du logement ?

Effectivement, face à la crise du logement francilien, consécutive de l’insuffisance de l’offre depuis plusieurs décennies par rapport à la demande, et face à la saturation foncière de Paris intra-muros, certains experts prônent une montée en hauteur des édifices à destination du logement. Cependant, si la construction de tours de bureaux ne semble guère faire l’objet de critiques, par contre, pour le logement, c’est loin d’être le cas pour deux principales raisons. La première raison est d’ordre géographique. Si Paris intra-muros est saturée, par contre, il n’en va pas de même dans le reste de la région Ile de France, qui dispose encore de vastes espaces non urbanisés (73 % de son territoire), comme en témoigne le fait qu’elle est l’une des principales régions agricoles de France, en particulier pour la production de céréales. Il n’y a donc guère d’impératif de construire très en hauteur pour résoudre la crise du logement francilien. La seconde raison, qui n’en est pas des moindres, est la question de l’image du logement en hauteur. Du fait de l’héritage calamiteux des tours de logements, souvent sociaux, construites pendant les Trente Glorieuses, l’habitat en hauteur est largement rejeté par la majorité de nos concitoyens, qui ne souhaitent pas y vivre. En conséquence, à moins de proposer des logements d’un standing hors norme, il n’existe guère de marché pour ce type d’offre auprès d’une clientèle solvable alors que toute construction d’une tour de logement social serait un ghetto potentiel en devenir.

Il existe à Paris des lois encadrant la construction d'immeubles. L'avenir de la ville nécessite-il d'abroger ces lois ?

Si Paris demeure la ville la plus visitée du monde, malgré la concurrence exacerbée des autres métropoles mondiales et les aléas de la menace terroriste, elle le doit à la forme architecturale de la ville haussmannienne. Les étrangers viennent à Paris car ils trouvent la ville belle, ne présentant pas le même paysage standardisé de forêts de tours, qui caractérisent la plupart des grandes métropoles mondiales de notre époque. En conséquence, il paraît logique que dans le périmètre de la ville haussmannienne, la construction de tours soit bannie. Par contre, sur les franges plus récentes de Paris intra-muros (c’est-à-dire le long du Boulevard Périphérique) comme dans les communes limitrophes, un peu plus d’audace architecturale est pleinement envisageable, mais plutôt pour la construction de tours de bureaux que de logements, la vue sur le Périphérique ne faisant pas vraiment rêver pour l’habitat ! L’avenir de Paris ne nécessite donc point l’abrogation des lois encadrant la construction des immeubles, mais juste un assouplissement dans les secteurs où construire en hauteur est porteur de sens, ce que fait déjà timidement la municipalité de Paris.

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