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Pourquoi le pacte social d’accompagnement à la transition énergétique ne pourra pas marcher
©DR

Calmer les gilets jaunes

Emmanuel Macron souhaite rendre la transition écologique plus « démocratique » et « juste » dans la foulée des contestations portées par les Gilets Jaunes.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Jean-Pierre Riou

Jean-Pierre Riou

Jean-Pierre Riou est issu de l'Éducation nationale et s'est spécialisé dans la problématique des énergies renouvelables depuis plusieurs années. Après de nombreux échanges avec des spécialistes de la question, économistes, ingénieurs, chercheurs, experts, il a publié de nombreux articles, dans L'Expansion, la Revue de l'Institut de Recherche Économique et Fiscale (IREF Europe) et Contrepoints.

Jean-Pierre Riou tient également un blog.

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Atlantico : Mais dans le cadre d’un pays qui vit une situation de déficit de croissance, n’est-ce pas ce dernier qui pèse sur la stabilité de nos démocraties ?

Michel Ruimy : La relation entre la croissance économique et la stabilité politique intéresse au premier plan politologues et économistes.

Il est intuitif de considérer que les pays ayant une probabilité élevée d’effondrement gouvernemental réalisent un taux de croissance économique faible car cette instabilité augmente l’incertitude politique qui, à son tour, influe négativement sur les principales décisions des acteurs économiques comme l’épargne et l’investissement et conduit les agents, avers au risque, à adopter une attitude attentiste en reportant ou en annulant toute initiative susceptible d’accroître le volume des activités économiques. Qui plus est, de pareils comportements ne peuvent que favoriser la fuite des investisseurs locaux et la répulsion des entrepreneurs étrangers, préférant se diriger alors vers des États plus stables.

A l’inverse, une faible croissance économique tend à augmenter la probabilité qu’un pays devienne instable. Telle est la situation de la France. Une abondante littérature a démontré empiriquement que, dans les démocraties des pays industrialisés, la probabilité de réélection d’un pouvoir dépend du taux de croissance économique immédiatement avant les élections. Même dans les États autoritaires, une faible croissance économique accroît l’insatisfaction populaire, créant ainsi des incitations à des activités antigouvernementales rendant plus plausibles les possibilités de coups d’État. Et on comprend mieux pourquoi la Chine recherche et tente de conserver un taux de croissance élevé alors qu’à la fin du mois, doit avoir lieu, en Argentine, une rencontre avec les Etats-Unis au sujet des tensions commerciales.

Cette relation entre la croissance et l’instabilité politique met aussi en exergue l’existence d’une certaine vulnérabilité des économies, dépendant fortement du commerce extérieur. L’idée ici est qu’un choc économique international, donc exogène, conduisant à une faible croissance économique locale, peut induire une augmentation du risque d’instabilité politique. Les conséquences de l’incertitude concernant le changement d’équipe gouvernemental sont d’autant plus importantes que le degré de la polarisation politique est grand.

Il faut souligner également que la faiblesse de la Justice constitue aussi un terreau fertile à l’instabilité politique puisqu’elle augmente la probabilité d’avoir des troubles politiques et crée des incitations aux citoyens à s’engager dans des activités révolutionnaires plutôt que de se consacrer aux activités économiques socialement rentables.

Ainsi, sans qu’elle soit dans une situation extrêmement tendue, les performances économiques de la France alimentent vraisemblablement et, dans une certaine mesure, le mécontentement des Français.

Jean-Pierre Riou : La révolte des Gilets Jaunes illustre une profonde fracture sociale et géographique qui sépare schématiquement une France aisée et plutôt urbaine, préoccupée par la fin du monde, d’une France qui se préoccupe légitimement davantage de la fin du mois. Il est important de comprendre que nourrir sa famille soit un enjeu prioritaire, même en utilisant quotidiennement un véhicule polluant.

En second lieu, l’impôt est payé par tous, ou presque, notamment via la contribution au service public de l’électricité, du moins si on retient la définition qu’en fait le Conseil d’État, pour qui il s’agit bien d’une « contribution innommée ». Et tous n’ont pas pour autant l’opportunité immédiate de bénéficier de ses aides, notamment pour changer rapidement de véhicule, alors que leur pouvoir d’achat est immédiatement impacté.

Les richesses à partager, ou produit intérieur brut (PIB), dépendront directement de la quantité d’énergie consommée,  corrélée avec l’intensité énergétique, ou quantité d’énergie nécessaire pour produire une même unité de PIB.

Des progrès significatifs ont été permis sur ce point. Il ne fallait en effet en 2015 que 72% de l’énergie qui était nécessaire en 1992 pour créer cette même unité de PIB, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique.

La question se pose toutefois de savoir si la croissance économique est soutenable, ou non.

De savoir s’il est possible de satisfaire des besoins infinis dans un monde fini.

Mais en tout état de cause, des investissement permettant d’améliorer l’efficacité énergétique iront dans le bon sens et sont de nature à éviter les conséquences d’une récession qui s’accompagne d’ une crise brutale, contrairement à celles du choix d’une décroissance librement maîtrisée.

Or on sait déjà notamment comment faire des voitures qui consomment 2 fois moins, à fortiori si elles sont 2 fois moins lourdes, pour ne citer que le secteur de la mobilité.

Des incitations pourraient permettre l’équivalent dans de nombreux domaines.

Pour qu’un changement soit « démocratique et juste », il faut que le citoyen soit réellement informé des enjeux. Celui-ci a naturellement adhéré à la croissance verte promise et ne pouvait que se réjouir de la gratuité du vent et du soleil pour produire l’électricité et remplacer un parc nucléaire supposé ruineux pour EDF.

Un regard sur les chiffres montre qu’il n’en est rien.

La transition ne serait-elle pas l’occasion de mener enfin une politique macroéconomique qui réveille la croissance du pays en s’appuyant notamment sur des enjeux environnementaux et en prenant comme fondement, la rationalité économique ou environnementale ?

Jean-Pierre Riou : Des délocalisations ont contourné les surcoûts du prix du carbone, en détériorant le bilan complet de notre consommation, importations comprises. Et de plus, ces délocalisations nous ont fait perdre des emplois. La solution n’est pas aisée pour autant.

Mais peut-être faut-il ouvrir les yeux sur l’hypocrisie qui permet à l’Occident de continuer à polluer à moindre coût grâce à des projets réputés « propres » (MDP) dans les pays en développement, dont les chinois ont été les premiers bénéficiaires et qui évoquent avec cynisme le mécanisme de développement propre qui l’a permis en ces termes : « Les entreprises chinoises voient par ailleurs, dans ce mécanisme, un moyen rapide d’obtenir des équipements de pointe, alors qu’elles ne disposent souvent pas des connaissances techniques nécessaires à leur maintenance sur le moyen et long terme.

Quant aux entreprises occidentales, elles sont naturellement attirées par les économies que représentent les crédits carbones en leur permettant de polluer à moindre coût, plutôt que par le bénéfice socio-environnemental des projets MDP » (China Institute : La Chine et le marché international du carbone)

Ces mécanismes ont ainsi eu des effets négatifs à 3 titres, par les pertes d’emplois de l’Europe, l’augmentation de son bilan carbone complet et des investissements insuffisants pour rendre son industrie réellement propre et durablement compétitive.

Michel Ruimy : C’est au nom de « la transition écologique » et de la nécessité de « libérer les ménages de la dépendance au pétrole » qu’Édouard Philippe a justifié le statu quo : aucune proposition nouvelle n’a été annoncée au lendemain de la mobilisation des « gilets jaunes ».

En faisant de la taxe carbone, et donc de la hausse des carburants, l’axe principal de sa politique pour réduire les consommations d’énergies fossiles, le gouvernement, aveuglé par une conception idéologique et étroite du rôle que peut et doit jouer la fiscalité écologique, conduit la transition dans une impasse. Le discours se veut simple et accessible : c’est en augmentant les prix des carburants que les consommateurs vont modifier leurs comportements, en réduisant l’usage qu’ils font de leur véhicule et/ou en achetant des véhicules qui consomment moins ou plus du tout de carburants fossiles. Idem pour les chaudières au fioul où l’accent est mis sur leur remplacement au profit de chaudières à granulés de bois, ou au gaz.

Pourtant, quand une dépense est contrainte à court terme, augmenter les prix ne conduit pas nécessairement, ou très peu, à réduire la consommation. Les économistes disent que l’élasticité-prix c’est-à-dire la sensibilité de la consommation aux prix, est faible. Dans le cas des carburants, quand leur prix augmente de 10%, la consommation baisse de 1 à 3,5%. Pour obtenir une baisse de consommation d’au moins 10%, et potentiellement de 35%, et ainsi avoir un effet non nul en matière de lutte contre le réchauffement climatique, il faudrait donc pratiquement doubler le prix des carburants !… ce qui n’est pas prévu par le gouvernement d’Emmanuel Macron qui a entériné une hausse de la TICPE de 23 centimes par litre pour le gazole d’ici à 2022, et de 11,5 centimes pour le sans-plomb, soit une hausse des prix comprise entre 8 et 15% environ par rapport aux prix actuels (environ 1,50 euro le litre). En conséquence, la baisse prévisible de la consommation de carburants se limitera, à quelques pour cents, à l’horizon 2022.

En outre, cette hausse du prix des carburants est une triple peine pour les ménages les plus démunis : ils sont plus exposés que les autres ménages à cette augmentation ; ils disposent de moins de moyens financiers pour la supporter, sans avoir nécessairement la possibilité de changer de véhicule ou de chaudière. Ce dernier point est essentiel car plus de 50% du budget de ces ménages sont des dépenses « pré-engagées ». Les mesures envisagées sont donc un renforcement des inégalités. Ainsi, lorsque le ménage a peu d’aisance financière et que le prix des carburants augmente, il ne change pas de véhicule. Il vit avec son véhicule polluant ou sa chaudière au fioul le plus longtemps possible, et il se restreint sur d’autres consommations comme sur la qualité du chauffage ou sur les déplacements. Une telle politique conduit à une éviction par les prix, qui n’est plus alors un « signal » pour inciter à encourager un changement de comportement, mais une barrière empêchant de satisfaire une mobilité ou un besoin de chauffage contraint, au moins à court terme.

Edouard Philippe renforce donc des instruments existants, imaginés dès 2009 par le rapport Rocard, qui préconisait une « allocation forfaitaire fondée sur l’éloignement pour les ruraux et les banlieusards ». Cette démarche ne sort pas du raisonnement technocratique qui considère que le marché et les taxes suffiront à orienter les consommateurs vers le bien commun environnemental, évitant les pistes qui changeraient réellement la vie et la perception des Français. Est-ce qu’investir plus d’un milliard d’euros sur le quinquennat pour un tel résultat est digne d’une politique écologique ambitieuse ?

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