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Pourquoi l’accord franco-allemand sur le budget européen est une illusion
©Kay Nietfeld / POOL / AFP

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L'Eurogroupe de ce 19 novembre rassemblait les représentants des Etats membres, notamment pour évoquer la "déclaration de Meseberg", principalement les dernières avancées révélées par le Spiegel la semaine passée, concernant le budget de la zone euro.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : L'Eurogroupe de ce 19 novembre rassemblait les représentants des Etats membres, notamment pour évoquer la "déclaration de Meseberg", principalement les dernières avancées révélées par le Spiegel la semaine passée, concernant le budget de la zone euro. Comment évaluer ces avancées et le potentiel de changement que pourrait avoir un tel budget ? 

Rémi Bourgeot : Emmanuel Macron et Bruno Le Maire évoquent régulièrement le risque d’éclatement de la zone euro en l’absence d’avancée majeure dans son fonctionnement. Les failles inhérentes à l’union monétaire sont de nature à la fois politique et économique. En mettant en scène une avancée sur la question d’un budget dédié à la zone euro et sur le concept d’armée européenne (thème dont la mise en avant récurrente renvoie en général au blocage sur un autre sujet), le gouvernement français cherche à envoyer un signal d’avancée sur le front symbolique. Il est convenu depuis les premiers échanges sur la réforme de la zone euro qu’Angela Merkel est prête à une concession pour peu que qu’elle prenne la forme d’un budget d’investissement très limité, et qui devra s’inscrire dans le cadre du budget de l’UE, repoussant ainsi sans doute sa mise en place de plusieurs années et nécessitant l’accord de tous les membres de l’UE. 

Et au lendemain des rencontres franco-allemandes au cours desquelles on tente de célébrer la portée de cette concession, les alliés néerlandais et finlandais de la vision allemande de l’intégration européenne haussent souvent le ton pour démontrer que Berlin n’est pas seul à rejeter le fond des réformes voulues par l’Elysée, suivant ainsi une chorégraphie dont le niveau de synchronisation impressionne. S’y ajoute désormais la voix de la coalition populiste italienne qui, bien qu’évidemment favorable aux idées de transferts au sein de la zone euro, va chercher à obtenir un assouplissement de la position de la Commission sur son budget national en échange de son soutien à ces évolutions symboliques.

Sur l’aspect réel, la dynamique d’éclatement de la zone euro repose sur des divergences productives qui, tout au long des années 2000, ont avant tout résulté des différents niveaux d’inflation entre les pays de l’union monétaire et de la politique de compression salariale mise en place par Gerhard Schröder. Au cours de la crise de l’euro on a prétendu régler le problème de compétitivité, qui n’était guère lié à une quelconque dérive salariale dans les pays périphériques, en mettant en œuvre une compression des coûts et des investissements dans l’ensemble de la zone et une dépendance aux exportations bas de gamme dans un certain nombre de pays périphériques, au détriment d’une politique de productivité. Cette approche a enclenché une dynamique de pression durable sur la croissance et une fragilisation accrue de la situation financière du secteur bancaire dans un pays comme l’Italie notamment.

 Dans le même temps, l’Allemagne a poursuivi sa stratégie de compression des coûts et d’intégration de ses chaînes de production en Europe centrale et dans les zones à bas coûts de par le monde, en y ajoutant une politique d’excédents budgétaires reposant sur la baisse des investissements publics. En résulte aujourd’hui un excédent de la balance courante de 8% du PIB ; ce qui indique un niveau de déséquilibre bien supérieur à celui de la Chine, et qui sape les fondements d’une stabilisation de l’Europe. Après une maigre reprise à partir de 2013, le ralentissement de l’économie de la zone euro prend un tour particulièrement inquiétant, notamment en son cœur allemand.
Mario Draghi a pu en 2012 créer un effet majeur en jouant sur le plan symbolique, sur lequel il a démontré son génie rhétorique. Puis il a pu mettre en œuvre un programme de relance monétaire effectif, et substantiel, à partir de 2015 ; programme qui touche aujourd’hui à sa fin, laissant la zone euro démunie. 

La zone euro a aujourd’hui besoin d’un rééquilibrage réel plutôt que de déclarations symboliques. Les déclarations symboliques peuvent avoir un certain effet lorsqu’elles indiquent une convergence de vue, mais les initiatives en cours sont à double tranchant. En effet, les limites actuelles et le caractère modeste des mesures qui se dessinent risquent au contraire d’illustrer encore une fois l’absence de stratégie commune. De plus, le travail sur le plan symbolique se fait au dépend des négociations qui devraient avoir lieu sur le rééquilibrage macroéconomique, en termes de politiques nationales sur le plan salarial et des investissements. Les montants sur lesquels devraient se concentrer des négociations de nature macroéconomique ne sont pas comparables aux montant qu’on évoque pour ce budget symbolique. La focalisation sur le front symbolique, reposant sur quelques mises en scène dont les partisans de cette approche sont friands et au détriment du rééquilibrage économique réel, constitue un facteur de fond dans la dynamique d’éclatement. 

Alors qu'Angela Merkel est affaiblie dans son pays, et que les élections pour nommer une nouvelle figure à la tête de la CDU au mois de décembre, en quoi les négociations actuelles pourrait-elles être modifiées par ces élections ? 

Il y a un certain paradoxe à négocier ces éléments symboliques avec Angela Merkel, qui a abandonné la présidence de la CDU, après avoir déjà perdu le contrôle de son groupe au Bundestag. Les réformes qui iraient véritablement dans le sens d’un fédéralisme fiscal sont taboues en Allemagne, d’autant plus avec l’envolée de l’extrême droite, et Angela Merkel qui se maintient fragilement à la Chancellerie ne peut guère les braver. 

Les candidats à sa succession n’affirment pas une ligne tranchée en général, si ce n’est qu’ils sont naturellement conscients de ces limites. La sarroise Annegret Kramp Karrenbauer peine à exister sur la scène fédérale depuis qu’elle a été intronisée par Mme Merkel comme possible successeur et n’a pas affirmé de position véritablement personnelle. Jens Spahn s’est positionné comme figure de l’aile dure de la CDU, notamment sur les questions migratoires, mais il peine également à incarner un leadership ni une vision politique à même de faire penser qu’il pourrait relancer le parti, face à l’AfD.  

Friedrich Merz affirme également un ton plus dur sur la question migratoire qu’Angela Merkel, tout en promettant une certaine ouverture sur la question des réformes européennes. Merz se positionne pour reprendre la CDU avec le soutien des réseaux de Wolfgang Schäuble, dont la vision, minoritaire repose sur un modèle fédéral couplé à un contrôle méticuleux des budgets nationaux. Il est donc logique qu’il joue une musique intégratrice, qui ne devrait pour autant pas se traduire par des propositions ambitieuses, s’il parvient à s’imposer face à la candidate soutenue par Merkel. Par ailleurs, ses services très rémunérateurs pour des groupes financiers internationaux en Allemagne, depuis qu’il avait quitté la vie électorale suite à l’ascension de Merkel, commence à susciter une certaine critique. La thématique qu’il porte au sujet de la reconquête de l’électorat conservateur face à l’AfD parle naturellement aux militants, mais on peut douter qu’elle parvienne à se traduire aisément auprès de l’électorat.

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