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La Cour d’appel de Montpellier outrepasse-t-elle son rôle en créant ex nihilo la notion de “parentalité non genrée” ?
©Flickr

Gouvernement des juges ?

Un tribunal de Montpellier a créé la notion de parentalité non genrée et a accordé ce statut inédit à un homme devenu femme.

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance et auteur de PMA, GPA, quel respect pour les droits de l’enfant ?, ed. Téqui, 2016. Son dernier livre "En rouge et noir" est paru aux éditions Scholæ en 2017.

"En rouge et noir" de Aude Mirkovic

 
 
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Atlantico : En première instance, la justice avait considéré que la maternité est une réalité biologique «qui se prouve par la gestation et l'accouchement». En appel, c'est la plaignante qui a eu gain de cause. Quelles portes ouvrent cette décision de justice ?

Aude Mirkovic : Cette situation, une femme à l’état civil est le père biologique d’un enfant, arrive en conséquence de l’irresponsabilité du législateur qui a autorisé la modification du sexe à l’état civil sans exiger de transformation physique des personnes et sans rien prévoir en ce qui concerne la filiation des enfants à venir. En effet, dès lors qu’un homme peut devenir femme à l’état civil tout en conservant ses attributs masculins, il était évident qu’il peut engendrer un enfant en dépit de sa mention comme femme à l’état civil. Et vice versa : une femme devenue homme sur le registre d’état civil et qui conserve son appareil féminin peut engendrer et porter un enfant, quand bien même l’état civil la désignerait comme homme. Cet amateurisme législatif a consterné nombreux juristes dont je fais partie et le résultat est là, devant la Cour d’appel de Montpellier : un homme, marié avec une femme avec laquelle il a deux enfants, demande à être reconnu désormais comme femme. Mais, comme il a conservé des organes génitaux masculins fonctionnels, un enfant va naitre de ses relations avec celle qui est toujours sa femme.

La présomption de paternité ne peut pas jouer car il n’y a plus de mari. Le mari devenu femme reconnait alors l’enfant, en déclarant que sa maternité est une maternité « non gestatrice ».

La Cour d’appel refuse cette qualification de « mère non gestatrice » qui ne correspond pas à la réalité et retient celle de « parent biologique ». Reconnaissons à cette cour le mérite d’avoir cherché une mention qui, au moins, ne soit pas fausse, mensongère. En effet, elle a retenu la mention de « parent biologique » et l’homme devenu femme est un bien « parent biologique » de l’enfant. Pour autant, outre que cette décision est contraire à la loi qui ne prévoit pas cette mention, la réalité complète est que cet enfant a été engendré par un homme devenu femme : la seule solution acceptable était d’indiquer sur l’acte de naissance cette personne comme père et de sexe masculin. Que ce père soit par ailleurs devenu femme n’a pas sa place sur l’acte de naissance de l’enfant. La Cour a bien relevé que c’était possible mais a estimé qu’elle ne pouvait l’imposer à l’intéressé(e) qui refusait cette qualité de « père ». Vous trouvez bizarre que celle qui est femme à l’état civil figure comme en tant qu’homme et comme père sur l’acte de naissance de l’enfant ? C’est pourtant ce qui se passe pour les enfants nés antérieurement au changement de sexe : le code civil prévoit que la modification est sans effet sur les filiations établies avant elle. Il conviendrait d’étendre cette solution aux enfants nés après. Et qu’on ne nous parle pas de la vie privée du père devenu femme car ce n’est pas de sa vie privée qu’il s’agit ici mais de l’acte de naissance d’un tiers, un enfant, dont l’intérêt supérieur doit primer sur toute autre considération. Ceci résulte de la Convention internationale des droits de l’enfant que la Cour appelle à la rescousse, à juste titre, mais dont elle ne tire pas les conséquences pratiques qui s’imposent : l’intérêt de l’enfant l’emporte sur la volonté du père d’avoir changé de sexe, sans compter que l’intérêt de l’enfant se combine ici avec l’intérêt général que l’état civil fournisse des informations exactes.

Aux Pays-Bas, un homme a demandé à la justice de rajeunir son âge car il se sentait "plus jeune de 20 ans". Ces requêtes poussant la société à s'adapter au ressenti de chacun, parfois en contradiction avec la réalité, ne risquent-elles pas de devenir ingérables ?

Elles sont déjà ingérables, car désigner comme « parent biologique » un homme devenu femme et qui n’en a pas moins fourni ses spermatozoïdes pour engendrer un enfant, je n’appelle pas cela « gérer » la situation. C’est du bricolage, indigne de l’état civil. Quant à cet homme qui réclame la modification de sa date de naissance, il a parfaitement raison ! Cette exigence n’a rien d’un excès ou d’une dérive. A partir du moment où l’état civil n’est plus là pour relater des faits objectifs mais le ressenti que chacun a de lui-même, pourquoi l’atteinte à sa vie privée qui résulte de la discordance entre son ressenti personnel et son état civil aurait-elle moins d’intérêt que celle liée à la mention du sexe ? Il pourrait demander à être mentionné comme femme à l’état civil, alors qu’il est homme, pourquoi ne pourrait-il être mentionné comme âgé de 40 ans, sous prétexte qu’il en a 60 ? L’artifice de privilégier le désir, le ressenti, la volonté sur la réalité est sans limite car ce désir, ce ressenti, cette volonté, n’ont eux-mêmes aucune limite.

Comment trouver le juste équilibre entre le fait de respecter des situations qui existent et ne pas partir dans une fuite en avant ou le droit s'adapte aux "égoïsmes" de uns des autres ?

Dans un État de droit digne de ce nom, les désirs et projets des uns trouvent leur limite dans le respect des droits d’autrui. Voilà l’équilibre, il est tout trouvé. Il faudrait seulement accepter que les droits de l’enfant ne sont pas seulement bons à prêcher mais aussi à respecter, y compris si cela pose des limites à certains désirs. Tant que les enfant serviront de variables d’ajustement aux désirs et projets des adultes, l’équilibre ne sera pas juste. Le changement de sexe d’une personne relève de sa privée ? Et bien qu’il y reste, dans sa vie privée, et qu’on ne lui fasse pas produire de conséquence dans l’état civil d’autrui.

Avant tout autre considération, cette décision ne relève-t-elle pas d'un choix de société ? N'est-ce pas là un domaine qui devrait être régi par le législateur et non la justice ?

Oui, ce domaine devrait être régi par le législateur mais, justement, le législateur s’est soucié de satisfaire les demandes de changement de sexe et de genre mais ne s’est pas intéressé à leurs conséquences sur autrui, ici les enfants. C’est pourtant le B. A. BA de la responsabilité législative, peser les demandes des uns à l’aune du respect des droits de tous comme de l’intérêt général. On a parlé des enfants, parlons maintenant de l’intérêt général, du bien commun. Si l’état civil doit relayer non plus des faits objectifs mais le ressenti et la volonté des individus, à quoi sert-il ? L’image que chacun a de lui-même intéresse sans doute le romancier et le psychologue, mais pas l’état civil. Sous prétexte de respecter la vie privée dans un domaine qui a au contraire une dimension éminemment publique, à savoir l’état civil, ce dernier finit par ne plus vouloir rien dire du tout, et ne peut plus rendre le service social attendu de lui. Je ne vois là aucun progrès, mais bien une régression du lien social, celui-là même qui est l’objet du droit et dont le droit organise le délitement. Il est temps de mettre un terme à ces errements.

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