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Trump, danger majeur pour l’économie ? Le curieux parti pris d’élites économiques européennes aveugles aux défaillances de notre propre modèle
©JIM WATSON / AFP

Pointer du doigt

Dans un article publié ce 11 novembre, le JDD pointe, à propos de Donald Trump "ce qui est toxique dans sa politique économique", et qui pourrait menacer les économies européennes.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Protectionnisme et économie en fin de cycle sont ainsi citées comme des risques pour l'Europe. Comment évaluer ces risques ?

Nicolas Goetzmann : Selon les données fournies par la banque mondiale, la valeur des exportations représente plus de 45% du PIB européen, alors que les Etats-Unis exportent la valeur d'environ 11% de leur PIB. Ce que l'on doit comprendre ici, c'est que nos deux économies sont des modèles très différents. L'économie européenne repose sur le commerce mondial alors que les Etats-Unis comptent très largement sur leur demande intérieure. Les menaces inhérentes à l'orientation poursuivie par Donald Trump agissent donc sur cette très grande vulnérabilité européenne aux exportations.  

A partir de là, et en observant bêtement les chiffres de la croissance US, ou encore du chômage, peut-être que les européens pourraient se poser la question de l'efficacité de leur modèle par rapport à ce qui a lieu aux Etats-Unis, plutôt que de pointer les risques que font peser Donald Trump sur notre économie. 

Ensuite, la seconde question à se poser, c'est de savoir si les européens agissent de manière équitable. Et là on constate que les excédents commerciaux européens sur les Etats-Unis sont encore en hausse de 20% cette année, avec un excédent proche de 90 milliards d'euros pour les 8 premiers mois de 2018. Cette situation est rendue possible par le différentiel de croissance existant entre les deux faces de l'Atlantique. La forte croissance américaine génère des importations importantes en provenance d'Europe, alors que la sous-croissance européenne -qui dure depuis 10 ans – génère de faibles importations en provenance des Etats-Unis. Le différentiel forme un excédent commercial qui n'est rien d'autre que le signe que l'Europe surfe sur la croissance américaine pour se maintenir. En ce sens, les Etats-Unis sont parfaitement légitimes à demander une correction de la part des européens, sous peine de sanctions commerciales. Et quand les européens craignent la fin du cycle de l'économie US, ils craignent de ne plus pouvoir tirer avantage de la rente de la croissance US.

Mais au lieu de réfléchir à ces problématiques, et aux dangers que fait courir notre stratégie exportatrice, à nos salariés et à nos entreprises, on se persuade que Donald Trump est responsable. C'est le comportement commercial agressif des européens qui est le problème, Donald  Trump n'est que le symptôme d'une situation qui dure depuis 10 ans. L'ironie veut que la France serait bien placée pour attaquer cette stratégie économique européenne, menée essentiellement par l'Allemagne, parce qu'elle en souffre davantage que les Etats-Unis, mais nos dirigeants choisissent de jouer une unité dans un domaine ou Berlin joue au chacun pour soi.

Les risques qui menacent l'Europe sont donc le résultat de nos propres erreurs, de notre incapacité à mettre en place un modèle basé sur la demande intérieure européenne, alors que nous disposons en théorie du plus grand marché mondial.  

Dans quelle mesure ces circonstances peuvent donner une "occasion historique à l'Europe" "d'une existence géopolitique et devenir le troisième pôle face à la Chine et aux Etats-Unis" comme l'indique l'économiste Daniel Cohen, interrogé au cours de ce même article ? 

Pour le moment, les européens semblent vouloir poursuivre dans le modèle mercantiliste. Lors des premiers pas de Donald Trump, le rapprochement entre Europe et Chine sur le thème de la "défense du commerce mondial" n'avait pas d'autre signification qu'une tentative d'alliance entre cavaliers solitaires de l'économie mondiale (ces économies qui surfent sur la croissance des autres) que sont Pékin et Bruxelles. Mais la Chine est aujourd'hui plus sage concernant ses excédents, et ses négociations avec les Etats-Unis sont en cours. Il reste donc à régler le cas de l'Europe et les Etats-Unis sont en train d'évaluer la situation du secteur automobile allemand, en sachant qu'il s'agit du plus gros poste d'exportations européennes vers les Etats-Unis. 

L'union utile, pour la France, ce serait plutôt de taper dans la main de Washington pour demander à Berlin de rééquilibrer sa situation, en poussant la demande intérieure allemande pour réduire les excédents commerciaux du pays. Si les salariés allemands étaient payés de façon plus "équitable", c’est-à-dire de façon plus conforme à l'évolution de la productivité du pays, alors la demande intérieure allemande serait plus forte. Ce qui aurait pour effet de voir une plus grande partie de la production du pays absorbée par ses consommateurs, mais également une hausse des importations. Ce qui conduirait mécaniquement à une baisse des excédents du pays, tandis que ses partenaires économiques pourraient bénéficier de ce rééquilibrage en surfant sur le retour à l'équilibre de la croissance allemande. Un tel choix aurait des conséquences économiques importantes aussi bien sur la France que sur les Etats-Unis. On peut rappeler le fait que le déficit commercial français se réduit au déficit commercial de la France envers l'Allemagne. L'occasion historique est donc plutôt celle-ci.

Pour évoquer la fragilité de la France, l'économiste Philippe Dessertine indique pour sa part : "la France est également très vulnérable, car sa dette publique est de 2200 milliards et sa dette privée de 3.300 milliards. Comment mesurer ce risque français dans l'ère de Donald Trump ? 

Lorsque l'on se penche du côté de la dette française, ce qui pose problème, c'est moins le montant de cette dette que l'incapacité de connaître une croissance soutenue depuis 10 ans. Parce que la dette est exprimée par rapport au PIB. En conséquence, si la croissance française progressait à un rythme conforme à son potentiel, la dépense publique pourrait croître à un niveau plus important qu'aujourd'hui, et ce, tout en permettant une baisse de l'endettement par rapport au PIB. L'enjeu étant que la croissance du PIB se fasse à un rythme supérieur à la croissance de la dépense publique.

Pour que cette réalité puisse voir le jour, il faudrait que la BCE accélère le rythme en soutenant plus largement la croissance du continent, sur le modèle de ce qui est fait aux Etats-Unis par la FED. Une telle politique permet de faire croître le PIB à un rythme plus rapide, ce qui aurait pour conséquence de faciliter largement les contraintes liées à la réduction de la dépense publique.

A l'inverse, si la technique choisie pour parvenir au désendettement est de baisser la dépense publique sans que la croissance du PIB ne soit stimulée, alors le résultat sera un ralentissement de la croissance qui viendra anéantir les efforts réalisés. Autant essayer de se soulever en mettant les deux pieds dans un sceau, comme le disait Churchill.

Notre obsession pour la dette sans se rendre compte des causes réelles de la progression des déficits mais également nos difficultés à identifier les causes de nos heurts commerciaux avec les Etats-Unis ont finalement la même cause : le manque de croissance en Europe. Mais nos dirigeants n'ont pas l'air de vouloir le reconnaître

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