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Pourquoi le combat contre les inégalités passe forcément par le plein emploi. Et le viser n’a rien d’impossible
©mari matsuri / AFP

Avis aux pessimistes et aux fatalistes

Lors d'une conférence donnée à l'occasion du Bloomberg New Economy Forum de Singapour, qui se tenait ce mardi 6 novembre, l'ancienne président de la Réserve Fédérale américaine, Janet Yellen, a déclaré "Je suis tenté de dire que les banques centrales ne peuvent pas faire grand-chose en ce qui concerne les inégalités, mais il existe certaines options, telles que la mise en œuvre de politiques visant à maintenir l'économie au plus près du plein emploi".

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Par quels mécanismes le plein emploi peut-il permettre le traitement des inégalités ?

Nicolas Goetzmann : La formation des inégalités de revenus dans les sociétés occidentales sont en effet multi causales, il n'est donc pas surprenant de voir Janet Yellen expliquer que les banques centrales ne peuvent pas tout en ce domaine. La fiscalité, le système de redistribution,  la mondialisation, la robotisation, l'automatisation ont eu collectivement un effet sur l'accroissement des inégalités dans les sociétés occidentales depuis le début des années 80, et ces domaines ne peuvent être traités directement par les banques centrales, par contre, ces dernières peuvent avoir un rôle important en faisant le nécessaire pour positionner les économies dont elles ont la charge en situation de plein emploi, et donc de traiter une importante cause de la formation des inégalités qu'est le chômage.

Une économie au plein emploi, par définition, permet d'intégrer dans le marché du travail la très grande majorité des personnes qui souhaitent un emploi. Si l'ensemble de ces personnes sont intégrées et touchent donc des salaires, l'économie du pays peut donc compter sur une croissance soutenue qui va conduire les entreprises à vouloir embaucher davantage. Or, puisque tout le monde est en poste, le seul moyen de recruter efficacement est de venir débaucher des salariés d'autres entreprises, ce qui ne peut être fait qu'au prix d'augmentations de salaires. Et puisque nous savons que dans le processus de hausse des salaires, ce sont les changements d'emploi qui ont le plus d'effets, on peut considérer que le plein emploi a un effet significatif sur le processus de hausse des salaires, qui permet finalement de réduire les inégalités. Dans une telle configuration, les entreprises sont donc contraintes davantage de ressources aux salaires, ce qui conduit à réduire les marges, et donc les revenus de capitaux. Un rééquilibrage prend alors en forme.

On peut constater qu'aux Etats-Unis, en dépit des annonces qui avaient été faites il y a plusieurs années, les salariés les moins éduqués, les moins formés, connaissant actuellement une période favorable, avec des hausses de salaires qui sont aussi importantes que pour les autres niveaux de formation. Ces personnes qui sont au bas de l'échelle sociale profitent actuellement de hausses annuelles de salaires qui dépassent les 3%. Si les entreprises veulent profiter de nouveaux marchés, et donc se développer, elles comptent sur elles-mêmes en embauchant des salariés qu'elles forment en interne. Dans une économie en expansion, l'obsession pour les coûts tend à basculer vers une obsession pour la captation des parts de marché, ce qui n'est pas plus mal. 

Ce que rappelle également Janet Yellen, c'est que des groupes minoritaires, historiquement les plus précarisés, les afro-américains, ou les hispaniques, sont actuellement dans une situation plus favorable, avec des taux de chômage historiquement bas pour ces catégories. Donc, oui, le plein emploi est un puissant outil contre la formation des inégalités, sans être le seul.

On peut par exemple constater que les inégalités salariales avant imposition et redistribution sont plus ou moins les mêmes en France et aux États Unis, mais très différentes après redistribution. Une protection sociale efficace est donc également un outil très efficace pour lutter contre les inégalités, et qui doit se combiner avec une politique de plein emploi.

N'est-il pas exagéré de penser que les banques centrales ont la capacité de "mettre" une économie en situation de plein emploi ? 

C'est plutôt l'inverse. Il est exagéré de penser qu'elles n'ont pas ce pouvoir, parce que cela est précisément leur rôle : de maintenir un niveau de demande adéquate avec le plein potentiel économique, et donc le plein emploi, pour un développement optimal. Doit-on considérer que le mandat de la Réserve Fédérale, qui inscrit le plein emploi comme objectif, est un simple hasard dans le fait que le pays est effectivement au plein emploi aujourd'hui ? Doit-on considérer que la situation européenne est un hasard, avec une BCE qui n'a pas d'objectif de plein emploi et un taux de chômage de la zone euro qui continue à flirter avec les 8% plus de 10 ans après la crise de 2008 ? Il n'y pas de hasard. Puisque la FED a cet objectif, elle a dû mener une politique monétaire expansionniste jusqu'à ce que le plein emploi soit atteint. Puisque cela est pratiquement le cas aujourd'hui, la FED opère une normalisation de sa position. A l'inverse, la BCE a un mandat de stabilité des prix, c’est-à-dire que son soutien à l'économie s'arrête dès lors que cet objectif de stabilité des prix est considéré comme "menacé" (en termes clairs, dès lors que les prévisions d'inflation à moyen terme dépassent les 1.7%). Puisque cette condition est considérée comme remplie par la BCE aujourd'hui, le plan de soutien monétaire sera arrêté à la fin de l'année alors même que le chômage est encore trop élevé. L'absence du plein emploi comme objectif prioritaire de la BCE est la faute lourde de la construction européenne.

Comment intégrer la situation européenne dans cette réflexion ?

L'Europe est parvenue à contenir les inégalités avec son Etat social plus développé que le monde anglo-saxon. Mais le système est intenable à terme, aussi longtemps que le plein emploi ne sera pas intégré comme objectif de la BCE. Et ce ne sont pas que les inégalités qui sont en cause. Parce que le plein emploi a d'autres vertus que la réduction des inégalités, il permet également la progression des investissements, le besoin de recherche et développement, d'innovation, qui conduisent les entreprises à se positionner sur une compétition sur la qualité et sur l'innovation plutôt que sur une simple course au prix les plus bas. C'est une vision plus ambitieuse de l'économie, qui s'oppose aux simples logiques comptables. De plus, une économie en plein emploi permet aux entreprises de pouvoir se reposer sur un marché domestique robuste, et permet ainsi d'éviter une trop grande dépendance aux marchés extérieurs. L'oubli du plein emploi comme objectif prioritaire en Europe est la principale cause de l'affaiblissement continental. 

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