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99 personnes tuées "par ennui" : pourquoi l'absence de stimulation peut nous rendre fou
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Passage à l'acte

Le procès de Niels Högel, un ancien infirmier s'ouvre ce mardi à Oldenbourg, dans le nord de l'Allemagne. Il est accusé d'avoir tué une centaine de patients par "ennui" en leur administrant des doses mortelles de médicaments.

Christian Bourion

Christian Bourion

Christian Bourion est Professeur à l'ICN business school Nancy Metz, rédacteur en chef de la Revue internationale de psychosociologie et auteur de "Le bore-out syndrome" aux éditions Albin Michel en 2016.

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Atlantico : En Allemagne, un infirmier est jugé ce mardi 30 octobre pour les meurtres de 99 personnes. Le plus étonnant dans cette sinistre affaire est que l'homme a déclaré avoir commis ces assassinats par ennui. Comment expliquer que l'ennui provoque un tel comportement ?

Christian Bourion : Je suis allé au laboratoire du professeur Bertrand Krafft pour voir, c'était il y a plus de vingt ans. Je n'avais pas encore publié ces articles sur l'ennui, sur le bore-out. Il avait isolé des rats. Dans une pièce, il martyrisait les rats. Dans l'autre pièce, les rats étaient choyés. Dans la troisième pièce, les rats s'ennuyaient. Il a fait ça pendant une dizaine d'année pour calculer les taux de mortalité. Et les rats qui mouraient le plus vite, c'était ceux où il ne se passait rien. Il a fait la démonstration que l'absence de stimulation neuronale est insupportable et terrible. A partir de là, il y a une condition individuelle. Il y a celui qui va résister, celui qui va pas résister du tout et qui va créer une stimulation de n'importe quelle façon et d'autres vont apprendre à s'habituer, les plus souples et les plus malléables. J'avais eu un autre cas. J'avais rencontré à l'époque un Breton. Son fils, un jeune homme, était passé au tribunal et ne voulait pas témoigner. Le gamin avait pris au hasard à la sortie du cinéma trois ou quatre personnes qu'il avait tuées avec un flingue et il avait dit qu'il voulait savoir l'effet que ça faisait. Le système neuronal permet l'apparition de ce genre de folies. Ce qui fait que l'homme n'a pas de "flic intérieur" qui l'empêche de faire une bêtise pareille va être une absence totale d'empathie, une absence de considération pour les autres.

Comment comprendre que dans une société de loisirs et de divertissement comme la nôtre, on puisse vivre l'ennui au point qu'il nous pèse et nous fasse du mal ?

Vous avez aussi une équation personnelle qui fait qu'un homme va avoir du plaisir à regarder Il était une fois dans l'Ouest et qu'un autre va s'ennuyer et aura besoin de choses graves, de prendre des risques en voiture, de friser la mort. La seule chose que je sais c'est que le groupe, les spectateurs jouent un rôle. Si quelqu'un se trouve en situation d'être regardé, vu ou évalué ou jugé, cela joue un rôle. Cela modifie l'équation personnelle. Sur la fonction elle-même, le fait de commettre un tel acte, c'est concevable dans la construction du cerveau. Le cerveau est notre pire ennemi. J'en suis le premier étonné. J'ai publié plus de quarante livres, donné 250 conférences. Aujourd'hui je suis à la retraite. Si vous savez ce que je me fais ch…Je ne vais pas essayer de tuer quelqu'un, faire du mal à mon chien ou autre chose. Je réfléchis à construire un projet.

Nous serions donc condamner à une forme d'ennui, mais c'est l'impossibilité d'en sortir qui provoquerai une réaction brutale ?

L'ennui c'est un nerf de la stimulation. Vous prenez un couple. J'ai découvert des choses étranges. Il y a des couples où l'absence de conflit provoque un véritable ennui et une véritable souffrance et peut provoquer des ruptures. C'est souvent la femme qui s'en va pour trouver quelqu'un de drôle, qui la fait rire. L'homme est jugé par sa femme au nombre de stimulations positives ou négatives qu'il est capable de produire dans son cerveau. Si elle s'ennuie, c'est foutu. Si on faisait une étude sur les couples qui rompent, on trouverait probablement plus de femmes disant qu'elles s'ennuient que de femmes disant qu'il a été méchant, qu'il l'a frappée, etc. Un peu comme à l'époque où j'ai écrit sur le bore-out. Tout le monde parlait du burn-out. Tout le monde disait que le travail fait du mal aux gens alors que c’était pas du tout le cas. Le travail ne fait pas de mal aux gens, il les structure. La preuve c'est que tous les gens qui ont un salaire et qui devraient avoir un vrai travail alors qu'ils n'ont aucun travail ou aucune responsabilité, en « crèvent »…

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