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+ 20% en 2017 : les racines de l’incroyable enrichissement des milliardaires de la planète
©OZAN KOSE / AFP

Rockefeller, Carnegie, Vanderbilt petits joueurs

Les plus riches n'ont jamais été aussi riches. La fortune des milliardaires de la planète a cru de 1400 milliards de dollars, soit une augmentation de 20% ou encore l’équivalent du PIB de l'Espagne.

Frédéric Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Atlantico: Dans un contexte de crises multiples au sein des sociétés, comment expliquer une telle croissance de la richesse des plus riches ?

Frédéric Farah: Le mot de crise est un écran commode car il introduit de l'égalité de destin entre les individus et pire naturalise des situations. Je m'explique, lorsqu’on affirme, qu'il y a crise, on pourrait croire que tout le monde se trouve logé à la même enseigne. Que la crise touche tout le monde et tout un chacun s en trouve appauvrit. Il n'en est rien et pire on pourrait croire que la crise est un fléau qui s'abat sur nous. La crise n'est pas pour tous. Celle dite des années 1970 a été supportée surtout par le travail, le monde des ouvriers et des employés pour ne citer que ceux-la et qui ont supporté plus de risques, comme celui d'être plus facilement licenciés ou de voir leurs revenus stagner.

Pour la période récente pré-crise de 2008 et post-crise, les explications sont nombreuses. La plupart des pays occidentaux même les plus égalitaires en apparence comme la Suède ont transformé leurs fiscalités et au nom du ruissellement supposé ont autorisé une redistribution à  l'envers des moins aisés vers les plus aisés.

La fiscalité se faisant de la sorte moins progressive. On peut penser aux réductions d'impôt pour les plus favorisés de Bush fils à Trump, l'époque des boucliers fiscaux en France, la fiscalité Macron en faveur des hauts revenus. La politique de la Banque Centrale Européenne de liquidités faciles depuis 2012 en particulier a comme l'a très bien montré C.Fontan favorisé les inégalités. Mais il en va de même pour d'autres banques centrales comme celle de la Grande-Bretagne.

La financiarisation de l'économie a favorisé certaines professions plus que d'autres. O.Godechot a clairement montré comment les métiers de la finance ont largement accaparé une partie de la richesse créée. Pour certains, la crise ne les a pas concernés. N'oublions pas que le sauvetage des banques a été payé par les citoyens dans leur grande majorité, la Grèce en est le triste cas d'école. 

 L'Union européenne et les Etats-Unis pratiquent ce que le politiste américain Jeffrey Winters a nommé « The wealth defense », la défense de la richesse. Cette défense mobilise la loi, les institutions, pour ne pas être remise en cause. Ce même auteur dans son travail montre le paradoxe des sociétés démocratiques qui accordent à la fois des droits politiques, culturels et sociaux aux individus et ce sans précédent et dans le même temps présentent des écarts de revenus jamais rencontrés dans l'Histoire.

L'Euro tel qu'il est conçu est une machine inégalitaire et qui arase les droits sociaux. Les reformes structurelles réclamées par l'Union Européenne aggravent les écarts de revenus car elles visent la réduction in fine de l'Etat social qui est le levier de la réduction des inégalités.

Dans les pays émergents, la croissance reste inégalitaire et la fiscalité n a pas d'ambition à réduire les inégalités.  

Peut-on relier cette hausse des inégalités et la montée des différents populismes autour du globe ?

Paradoxalement, les inégalités économiques et sociales ne me semblent pas être le moteur central du populisme.

Les moteurs populistes trouvent davantage leur terreau sur des questions culturelles et comme on dit aujourd'hui sociétales. Ils prennent appui sur des inquiétudes migratoires ou culturelles. C est toute la réaction de nature identitaire qui peut s'observer dans les pays d Europe centrale et orientale par exemple. Mais la question identitaire fait écran au véritable problème, si je puis dire, à savoir les dérives du capitalisme contemporain qui est à bout de souffle, profondément inégalitaire et qui achète du temps pour retarder la crise finale. L'inflation à une époque, l'endettement privé et ou public depuis les années 1980, permettent d'acheter du temps en stimulant parfois de manière factice l'activité économique. Il ne s'agit pas de tout de les expliquer par des causes économiques et sociales, mais les minorer et ethniciser la question sociale me parait une erreur.

La dynamique populiste se nourrit moins des inégalités économiques et sociales mais d'un phénomène qui lui est corrélé, la détestation des élites. Pourquoi corrélé, car les élites ont largement échoué à offrir une politique économique et sociale qui a le souci du plus grand nombre… Si l'on observe les projets que les élites ont vendus aux populations depuis les années 1980 en Europe, le constat d'échec est patent.

La libre circulation des capitaux a asservi l'économie au court terme, et s'est traduite par de la modération salariale, un excès de dividendes versés et des investissements à  bout de souffle. La mondialisation dite heureuse a redistribué les inégalités  à  l'échelle mondiale. Les moins qualifiés en ont pâti. La mondialisation a laminé les classes moyennes. L'euro et le marché unique ont créé des divergences économiques profondes en Europe et ont provoqué une subordination des acquis sociaux, à la concurrence et au dumping.

Les inégalités économiques et sociales ne sont pas suffisamment centrales dans les mouvements populistes. La désignation de l'étranger comme problème évite de jeter une lumière crue sur un capitalisme financiarisé délétère pour l'ensemble de l économie.

Historiquement les mouvements populistes ont trouvé  leurs origines dans les pays d'Amérique Latine, continent inégalitaire par excellence.

Quelle réaction politique cette situation peut-elle amener ? Peut-on observer ce schéma à d'autres époques ?

La vague populiste n'est pas prête de s'arrêter, même si ce mot est devenu fourre-tout.  Mais acceptons-le pour l'heure.

La montée des inégalités menace la démocratie dans ses fondements. Si l'on suit l'inspiration de Tocqueville, la démocratie est le régime des semblables, dit autrement, partageant une commune humanité.

La montée des inégalités mine le commun qui est la question fondamentale et qui est au cœur du projet sociologique. Les inégalités économiques et sociales nourrissent une société d'archipel comme l'a dit un auteur contemporain.

Quant aux réactions politiques, elles peuvent se traduire par l'approfondissement de la désaffection du politique: abstention, dégagisme. Les citoyens ont aussi de bonnes raisons de ne pas voter comme N.Framont l'affirme. Quand vous observez la politique économique de M.Macron, c'est une machine inégalitaire.  La grande majorité de la population n'en bénéficie pas.

Il peut y avoir des régimes plus autoritaires qui peuvent émerger. Mais les régimes autoritaires qui peuvent se profiler comme celui du Brésil à venir ne trouvent pas leur source dans une dénonciation des inégalités économiques et sociales. Ils ne portent pas des projets fiscaux ou sociaux à même de réduire les inégalités.

Ce qui m'inquiète, c'est la perte de légitimité de nos démocraties qui n'ont pas su imposer des limites à un capitalisme destructeur et inégalitaire. La gauche de gouvernement en Europe qui après avoir organisé son impuissance s'est empressée d'accompagner le marché et d'abandonner la question sociale. Elle porte une responsabilité historique sur l'ensemble du continent européen. Les partis dits socialistes ou de centre-gauche disparaissent en Europe, il n'y a pas d'expression plus radicale de leur échec que leur incapacité à endiguer les inégalités. Pire, de les avoir fait croître au nom d'une prétendue efficacité économique. Disons adieu à cette gauche sans le moindre regret en espérant qu'une autre puisse renaître. Pour ma part, il faut se rappeler de ce que disait N.Bobbio, que la question de l'égalité est fondée sur le clivage gauche/droite. Une gauche à venir s'en souviendra, il faut l'espérer.

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