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#PostcardForMacron : la phrase du président sur les femmes éduquées qui ne pourraient volontairement décider d’être mères de familles nombreuses lui revient comme un boomerang (et en dit long sur sa vision du monde)
©LUDOVIC MARIN / AFP

New-York

«Montrez-moi une femme parfaitement éduquée, qui décide d'avoir 7, 8, 9 enfants.» a déclaré Emmanuel Macron le 26 septembre 2018 au sujet des femmes africaines depuis New-York. Il a aussi ajouté juste après : " S’il vous plaît, présentez-moi la jeune fille qui a décidé de quitter l’école à 10 ans pour se marier à 12 ans".

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico :  En septembre sur la scène du Goalkeepers 2018 à New York, Emmanuel Macron a eu une de ces petites phrases dont il a le secret. «S’il vous plaît, présentez-moi une femme particulièrement instruite qui a eu sept, huit ou neuf ans». Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette phrase fait parler d'elle outre atlantique. Des mères de familles nombreuses (diplômés) postent des "cartes postales" de leurs famille avec en description les diplômes obtenus et le hashtag #postcardformacron. Comment comprendre l'ampleur du phénomène ?

Bertrand Vergely : On peut penser que, quand on est des milliers, des centaines de milliers, des millions, il est impossible de « faire société ». Notre postmodernité est en train de démontrer le contraire. Celle-ci est en train de « faire société » avec des milliers, des centaines de milliers, des millions de citoyens et de citoyennes. La recette est simple. 

Vous prenez des milliers, des centaines de milliers, des millions d’hommes et de femmes. Vous prenez cette société par la sensibilité et l’opinion. Vous rajoutez un événement, l’hypermédiatisation de cet événement, Internet et les réseaux sociaux et vous avez le phénomène auquel nous assistons à savoir des réactions énormes, intenses et inattendues à propos de telle ou telle petite phrase, de tel ou tel homme politique. 

Du fait de la sensibilité, de l’opinion, des medias, d’Internet et des réseaux sociaux, la société est devenue un forum citoyen permanent. La démocratie a pour vocation d’être le régime du nombre et avec le nombre du plus grand nombre. Nous y sommes. Nous sommes en train de rentrer dans l’ère de la démocratie. Tocqueville prévoyait que celle-ci serait le régime de l’opinion. Nous y sommes. La démocratie que nous connaissons est bien le régime de l’opinion. 

C’est dans ce contexte qu’il convient de comprendre la petite phrase émise par Emmanuel Macron. Aujourd’hui c’est cette phrase qui fait de l’effet. Hier, c’était déjà une petite phrase. Demain ce sera une autre petite phrase. Rajoutons toutefois une chose pour comprendre l’ampleur de ce qui se passe. Outre l’apparition de la démocratie via la sensibilité, les médias, internet et les réseaux sociaux, nous assistons à une démocratisation du soupçon ainsi que de la déconstruction. 

Qu’est-ce qui caractérise la philosophie postmoderne ? Le soupçon ainsi que la déconstruction. En quoi consistent-ils ? Chez Nietzsche ils résident dans le repérage de la haine qui peut se cacher derrière telle ou telle formule tenue comme morale ou vraie. Chez Heidegger, Foucault et Derrida, ils résident dans le repérage des stratégies de domination de la technique (Heidegger), du pouvoir (Foucault) ou de la Raison dominatrice (Derrida) derrière les discours. Jusqu’à présent, c’étaient les philosophes et les artistes qui soupçonnaient et qui déconstruisaient. Aujourd’hui, c’est tout le monde. 

Du fait des réseaux sociaux, des medias, du primat de la sensibilité et de l’opinion, nous sommes rentrés dans un temps de soupçon sauvage, de déconstruction sauvage, de soupçon et de déconstruction à la fois sauvage et de masse. En gros, tout le monde y va de sa critique, de son analyse, de son soupçon et de sa déconstruction. 

Les philosophes ont enseigné cet art aux journalistes qui l’ont enseigné à toute la société. D’où l’incroyable impact qu’ont aujourd’hui les petites phrases. Dès qu’un homme politique dit quelque chose, ce qu’il dit est observé, écouté, analysé, décortiqué. Ce qui se traduit par trois conséquences. D’abord l’imprévisible. Soudain, une phrase que l’on pensait anodine prend une ampleur que l’on n’imaginait pas. La manipulation. Un homme politique veut que l’on parle de lui. Il lâche à dessein une petite phrase sur laquelle tout le ponde va se ruer. Enfin, la neutralisation. Par peur de l’imprévisible, l’homme politique n’ose plus rien dire et ne dit plus rien. Je crois donc qu’il faut analyse la petite phrase d’Emmanuel Macron sur les femmes et les mères de famille dans ce contexte. 

Aujourd’hui, dans la France de 2018, dans le monde démocratique qui est le nôtre, elle fait scandale. Dans l’atmosphère actuelle d’hypersensibilité à la démocratie, à la justice, à l’égalité et à la liberté, tout ce qui ne va pas dans ce sens, tout ce qui paraît stigmatisant, tout ce qui donne l’impression de porter atteinte à la liberté du citoyen est immédiatement épinglé, mis sur les réseaux sociaux et sujet à débats, polémiques, réactions, colère. Louis XIV aurait dit cette phrase, elle n’aurait pas fait scandale. 

Pour en revenir à la petite petite phrase d’Emmanuel Macron, en soi, celle-ci est banale. Le fait que dans les pays non développés on fait plus d’enfants que dans les pays développés est une vérité régulièrement rappelée par les démographes. Alors que dans les pays non développés la famille avec huit enfants n’est pas rare tandis que la famille avec deux enfants l’est, dans les pays développés c’est l’inverse. En soi, pas de quoi fouetter un chat. Sauf si on est un militant tiers-mondiste et droits-de-l’hommiste particulièrement sourcilleux, qui ne manquera pas de voir dans cette constatation une discrimination et du racisme. Un démographe aurait fait ce constat chiffres à l’appui, on n’aurait pas parlé de cette phrase. Or, on en parle. Pour une seule raison : son style. La façon dont elle est exprimée. Quand il la prononce Emmanuel Macron prend à partie son interlocuteur. Sur le mode de « Je vous mets au défi », il défie. « Présentez moi ». « Chiche ». Son intention est polémique. La surpopulation est liée au développement. « Plus les pays se développent moins il y a de surpopulation », dit-il en substance. « Ne dites pas le contraire. Je vous défie de dire le contraire ». Que se passe-t-il quand il prononce cette phrase ? Comme il est difficile de contester cette vérité, le soupçon prend une voie parallèle. « En Europe, il existe des mères de famille nombreuse diplômées. Arrêtez d’identifier la mère de famille nombreuse à la femme des pays non développés. Halte au racisme, à la stigmatisation et au stéréotype. Je vis dans un pays développe. Je suis mère de famille nombreuse et diplômée. La mère de famille nombreuse n’est pas réservée aux pays non développés. Halte au mépris envers les femmes ». En fait Emmanuel Macron est jugé raciste et misogyne. La phrase qu’il a prononcée lui vaut un procès en sorcellerie. Il faut dire qu’il le mérite.  Pourquoi a-t-il été polémique ? Pourquoi a-t-il attaqué ? 

A quel point cela peut-il porter préjudice au président ?

En soi il n’y a pas de quoi fouetter un chat. En revanche, Emmanuel Macron devrait faire attention à une chose. Il est actuellement, comme on dit, dans le collimateur. Les medias qui ont besoin de médiatiser le cherchent. Aussi ne manquent-ils pas une occasion de l’accrocher sur telle ou telle petite phrase. Plus la tension anti-Macron montera plus il y aura des polémiques, plus les médias médiatiseront. Quand Emmanuel Macron a été élu, il y a eu la magie Macron. Le président jeune major de sa promo a ébahi les Français et les medias. Son épouse fringante bine habillée également. On ne peut pas toujours être ébahi. A la longue on n’a plus rien à dire. Aussi pour dire quelque chose les médias se mettent-ils à traquer « ce qu’il a dit ». 

Actuellement, qu’est-ce qui nuit à Emmanuel Macron ? Ce qu’il dit ? Non. L’effet d’accumulation. Le fait que l’on dise « Encore une ». Encore une bévue. Encore une petite phrase polémique. Encore une petite phrase stigmatisante et potentiellement misogyne. 

Les médias et les réseaux sont en train de fabriquer un phénomène cumulatif qu’Emmanuel Macron nourrit. De sorte que tout est fait pour que se mette en place « le cas Macron ». 

Souvenons nous, alors qu’il était ministre Emmanuel Macron avait déjà été accroché sur le fait que les femmes non diplômées étaient particulièrement exposées au chômage.  Il avait dû alors s’excuser et il s’était d’ailleurs excuser en expliquant qu’il n’avait pas voulu dire que les femmes chômeuses non diplômées étaient chômeuses parce qu’elles étaient incultes. Ce genre de petites phrases a l’air de le poursuivre.  

Emmanuel Macron ne fait visiblement pas assez attention à la façon dont il parle. Il ne se rend pas assez compte qu’il est écouté, scruté.  Résultat, quand il dit quelque chose, il la dit de telle manière qu’on n’a pas de mal à lui faire dire des choses qu’il ne voulait pas dire mais qu’il a l’air d’avoir eu l’air de dire. 

Il prend un peu à la légère la sphère médiatique. Cela risque de lui coûter chère et d’empoisonner son mandat. Quand il a été élu président, il n’a pas fait rentrer tout de suite les médias à l’Élysée. Il n’ a pas cherché à être « copain » avec les médias. C’est un signe. 

Quel message Emmanuel Macron comptait-il faire passer à travers cette phrase ? A-t-il été maladroit ? Quelle image donne-t-elle de lui ?

Le message d’Emmanuel Macron est en gros « Je sais ». « Je sais d’où vient la surpopulation mondiale. Elle vient du développement. Le monde n’est pas assez développé. C’est pour cela qu’il y a des familles nombreuses dans les pays non développés. Plus le monde se développera, moins il y aura de familles nombreuses, plus la surpopulation baissera. Regardez ce qui se passe dans les pays développés. Dès qu’il y a  développement, la courbe de la natalité baisse. Comme ils veulent profiter de la vie parce qu’ils en ont les moyens, les couples font moins d’enfants. Dans les pays non développés, comme il n’y a pas de sécurité sociale ni d’État capable de payer des retraites, les enfants sont nécessaires pour assurer l’avenir. Dans les pays développés, ce souci n’existe pas ». La phrase d’Emmanuel Macron n’est pas maladroite en soi. Elle est maladroite dans le style. Il est polémique. Sans doute parce qu’inconsciemment il ne supporte pas le discours anti-développement que l’on trouve chez certains militants tiers-mondistes et droits-de-l’hommistes. On ne peut pas à la fois se plaindre de la surpopulation et rejeter le développement. Si on veut régulariser la population mondiale il va falloir qu’il y ait du développement. Ce n’est pas faux.  Mais Emmanuel Macron le dit de façon  technocratique en étant sur la défensive. Il ne sait pas être pédagogique. Il va falloir qu’il apprenne à parler au « peuple » en ayant de la patience et de la « bienveillance ». Sans quoi il va de plus en plus s’enfermer dans l’image qui lui colle à la peau à savoir celle du major de la promo arrogant. 

Le chef de l'Etat vous semble-t-il éloigné du concept de famille "traditionnelle" ? 

Emmanuel Macron est dans un paradoxe. Il aime la famille. Son mariage le montre. Contrairement à François Hollande qui ne se marie pas, lui il épouse. Il aime également la famille de son épouse. Témoin les images de cette famille à l’Élysée. Mais, cela s’arrête là. Il n’a pas du tout compris la violence que représente la PMA pour le couple homme-femme, pour les hommes, pour l’enfant et finalement pour les femmes elles-mêmes. S’agissant de la famille nombreuse, il a une vision statistique de celle-ci. Cela ne le passionne pas. Il fut un temps où le Président de la République remettait la médaille du mérite aux mères de familles nombreuses. Emmanuel Macron ne sera pas ce président là. Ce qui l’intéresse c’est le développement, la modernité, la compétitivité, le challenge, la mondialisation, ne pas se tromper de monde, être en phase avec l’innovation, les jeunes députés de la République en Marche qui veulent que ça marche, Cédric Villani et le futur. La famille pour lui ce n’est pas l’avenir. La PMA en revanche c’est l’avenir parce que c’est nouveau, parce que c’est dans l’air du temps et qu’il faut être en phase avec l’air du temps. Paradoxe d’Emmanuel Macron : lui qui veut être en phase avec son époque n’a pas compris encore comment bien  communiquer avec elle.

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