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Pourquoi le projet américain d’une Otan arabe n’est pas près d’arriver
©JONATHAN ERNST / POOL / AFP

Diplomatie d'avenir

Censé annoncer la fondation d’une Alliance stratégique pour le Moyen-Orient (une « OTAN arabe »), le sommet prévu entre les Etats-Unis et les monarchies du golfe Arabo-Persique, les 12 et 13 octobre, ne n’est finalement pas tenu. La décision pourrait n’intervenir qu’au début de l’an prochain, sans aucune certitude toutefois.

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Ce nouveau report n’augure rien de bon quant aux perspectives de l’« OTAN arabe ». Il témoigne des difficultés de la tâche, les alliances bilatérales dans la région se révélant décidément plus aisées à manier. 

De prime abord, de quoi s’agit-il donc ? A l’initiative des Etats-Unis et sous leur direction, l’idée est de mettre en place une alliance multilatérale destinée à protéger le Moyen-Orient de l’expansionnisme irano-chiite d’une part, du terrorisme type Al-Qaida ou Etat islamique de l’autre. Le regroupement de régimes arabes sunnites viserait à mener la lutte sur le double front des djihadismes de facture chiite et sunnite. Dans la présente conjoncture, l’accent est mis toutefois sur les ambitions et agissements de Téhéran au Moyen-Orient. 

Le conflit entre le Qatar et ses voisins

Au vrai, le report de ce sommet et du projet d’« OTAN arabe » constitue un révélateur des oppositions régionales. Dans les premières années de la Guerre Froide, Washington avait déjà rencontré des difficultés à rassembler les pays du Moyen-Orient, afin de lutter contre la pénétration communiste. Mis sur pied en 1955, le Pacte de Bagdad fut paralysé par les rivalités entre ses membres régionaux, avant que le coup d’Etat bassiste en Irak (1958) ne le vide de substance. Deux décennies après le retrait irakien, la révolution islamique en Iran mit fin à ses jours (1979). 
Dans l’intervalle, les Etats-Unis ont été contraints de s’engager plus directement, au moyen d’un système d’alliances bilatérales. Institué en 1981, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) s’est révélé n’être en effet qu’un forum régional. A certains égards, l’actuel projet d’une alliance multilatérale s’explique donc par la volonté de mieux répartir l’effort militaire, mais la précipitation des événements et la gravité des menaces priment sur le « burden sharing » (le « partage du fardeau »). 
Dès 2011, les développements et contrecoups du « Printemps arabe », expression emphatique désignant des séditions aux fortunes diverses, ont fait resurgir l’idée d’une alliance couvrant le Moyen-Orient. Les Etats-Unis et leurs alliés du CCG mettent alors en place des groupes de travail. Le surgissement de l’Etat islamique pousse ensuite l’Arabie Saoudite à créer une coalition arabo-sunnite qui comprend une quarantaine d’Etats (2015). Il est vrai qu’il s’agissait d’une marque de défiance à l’encontre de l’Administration Obama. 
L’impéritie de nombreux dirigeants locaux, les oppositions entre les régimes arabes sunnites ainsi que les ambivalences de la politique américaine au Moyen-Orient expliquent l’échec de ces différentes initiatives. En fait, l’Administration Obama a privilégié la signature d’un accord sur le nucléaire iranien et s’est tenue en retrait du conflit syrien. En travaillant à l’instauration d’un équilibre régional entre Riyad et Téhéran, elle a voulu prendre ses distances avec la géopolitique régionale, ruinant ainsi les projets d’alliance arabo-sunnite. 
En novembre 2016, l’élection de Donald Trump à la Présidence des Etats-Unis et la priorité qu’il accorde à la menace iranienne changent la donne. Lors de sa visite d’Etat à Riyad, en mai 2017, l’idée d’« OTAN arabe » est abordée. Toutefois, la tentation isolationniste, la difficulté à élaborer une stratégie américaine cohérente ainsi que le conflit diplomatique entre le Qatar et ses voisins ont repoussé l’échéance. Pour mémoire, Doha se voit accusé d’un certain nombre de faiblesses à l’égard de l’islamisme sunnite (cf. le paiement de rançons extravagantes) et de complaisance pour la politique iranienne. 

La primauté des alliances bilatérales

Perçus comme une menace majeure au Moyen-Orient, avec des répercussions dans toute la « plus grande Méditerranée » et jusqu’en Europe, la volonté iranienne de dominer la région, les agissements des Pasdarans et le programme balistique sont donc pointés du doigt, mais le djihadisme de facture sunnite est également mentionné. Enfin, il est probable que la percée russe au Moyen-Orient, via l’alliance avec Damas et Téhéran, et le jeu de go chinois dans la région soient pris en compte par les promoteurs américains d’une « OTAN arabe ». Toutefois, sa concrétisation est très hypothétique. 
Il reste que le projet d’« OTAN arabe » souligne l’importance du Moyen-Orient dans la géopolitique mondiale. Outre la détention des plus abondantes réserves mondiales d’hydrocarbures, extractibles à faible coût, la région constitue un espace pivot entre l’Europe et l’Asie, ciblé par les « nouvelles routes de la soie » de Pékin. Ainsi l’Iran pourrait-il devenir l’une des plaques tournantes du maillage eurasien et moyen-oriental promu par la République populaire de Chine. Dans cette partie du monde, les enjeux de circulation sont décisifs.
Surtout, il convient de s’interroger sur la place du Moyen-Orient dans nos représentations et notre inconscient collectif. Le grand historien Pierre Chaunu voyait en cet espace le « nœud de toutes les aventures humaines », et ce depuis l’époque du Croissant fertile, des villes de Sumer et Akkad, de l’épopée de Gilgamesh. En d’autres termes, l’attraction exercée par cette région n’est pas le simple fait de contingences matérielles ou d’un orientalisme désuet : le Moyen-Orient demeure le nœud gordien du monde ; il n’est pas possible de s’en détourner. 
Aussi le sort de cette région ne peut-il reposer sur l’incertaine destinée d’un projet d’« OTAN arabe », les liens bilatéraux conservant toute leur importance. On songe immédiatement à la vieille alliance américano-saoudite (le Pacte de Quincy, 1945). Toutefois, l’inertie de l’Arabie Saoudite et les aléas de la modernisation voulue par le prince héritier, Mohammed Ben Salman, ne sauraient être négligés. La sécurité régionale ne pourra être sous-traitée à Riyad. 
A l’inverse, la politique générale des Emirats arabes unis (EAU), leur engagement sur le double front de la lutte contre le régime irano-chiite et le djihadisme sunnite devraient être appréciés à leur juste valeur. Le régent, Mohammed Ben Zayed est l’un des rares dans la région à conduire une stratégie d’ensemble. Aussi les EAU constitueront-ils un point d’appui essentiel pour contrer les menaces régionales. 
Enfin, les questions soulevées par l’« OTAN arabe » et ses incertitudes devraient conduire à un aggiornamento de la politique française dans le golfe Arabo-Persique. Les variations rhétoriques sur la « puissance d’équilibre », avec la prétention au rôle d’« honest broker » en guise de grandeur, sont déconnectées des réalités géopolitiques régionales. Au-delà des réassurances dispensées à ses alliés, il importe que la France renforce ses liens avec les plus solides et les plus fiables d’entre eux. 

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