D’abord parce qu’au début, il ne pouvait pas faire autrement, en voulant Make America Great Again : l’activité économique américaine était déjà au-delà de ce qu’on pensait être ses limites. De fait, en forçant l’économie américaine par la baisse de la fiscalité et la montée des dépenses publiques, il crée une bulle boursière, puis une inflation salariale, qui font toutes deux monter les taux courts et longs américains. Ensuite, la montée des taux longs se répand dans tous les marchés et fragilise partout les croissances, les bourses et les entreprises endettées en dollars, notamment dans les pays émergents. Ce sera donc la crise mondiale.
Ensuite parce, maintenant, il se dit que cette issue financière tragique est devenue sa meilleure carte. Elle fait en effet des États-Unis l’économie, à la fois, la meilleure et la plus sûre. Make the Dollar Great Alone, Make America Safe Alone ! En forçant l’économie américaine, Donald Trump creuse en effet les écarts entre elle et les autres, plus ses pressions directes pour réduire les déficits extérieurs américains avec le Mexique, le Canada, le Japon, en attendant la Chine, puis la zone euro (en fait l’Allemagne). Il augmente en même temps les risques de certains pays émergents avec ses interventions plus directement politiques contre la Turquie, l’Iran ou encore le Venezuela. En ligne de mire permanente, il a la Chine. Il veut la faire décélérer, en contraignant ses exportations aux États-Unis, en faisant monter son taux de change, en la poussant à faire plus de crédits à ses entreprises publiques, souvent de piètre qualité, pour maintenir sa croissance et son emploi, et sauvegarder ainsi sa paix sociale. En fait, Donald Trump veut des États-Unis plus capitalistes et efficaces, ses ennemis (Venezuela, Iran, Turquie) en crise sociale et son concurrent mondial chinois plus communiste que jamais. Il fragilise ainsi la Chine de l’intérieur et la fait servir, à l’extérieur, de repoussoir.
La stratégie trumpienne est ainsi faite qu’elle accroît les risques politiques mondiaux, à partir d’une base boursière, Dow Jones et surtout Nasdaq. Elle commence par un soutien à la bourse, alors qu’elle était déjà haute, parce qu’il sait bien comment elle fonctionne : au profit futur, et surtout qu’elle est l’outil le plus réactif de tous. Cette stimulation boursière passe par la baisse des impôts, puis par la réduction des contraintes et régulations, notamment bancaires et écologiques, enfin par l’ouverture violente des marchés extérieurs et la protection du marché intérieur, avec la renégociation des traités commerciaux.
Au total, la croissance américaine atteint actuellement un rythme annuel de 4,2%, alors qu’on pensait qu’elle devait être plutôt de 2,5%, puis de 2,8%, puis de 3% ces derniers mois. Une étude du Trésor français d’avril 2016 (Trésor-Éco n°169) pensait même à une croissance potentielle entre 1,7-2%, contre 2,5 % avant l'entrée dans la crise ! Cette étude imputait, pour environ 40 %, la baisse de croissance potentielle au recul de l’investissement. Elle notait que « cet impact est à relativiser étant donnée la ré-accélération récente de l'investissement : la contribution du capital à la croissance potentielle devrait ainsi retrouver, voire dépasser son niveau pré-crise à partir de 2016. » Mais, même si l’investissement est reparti à la hausse, il n’a jamais atteint ni son niveau, ni encore sa tendance, d’avant crise. Nous sommes donc dans une autre situation.
La bourse, avec l’effet patrimoine, est en effet l’outil trumpien de dopage économique par excellence : les ménages et les entreprises se sentent plus riches. Les marchés financiers sont en hausse depuis le 9 mars 2009, soit bientôt 3 500 jours, un rally sans exemple historique. Une situation même miraculeuse puisque, même si le dernier chiffre de création d’emplois (134 000 en septembre) est plus faible que les précédents (270 000 en août), sans doute en liaison avec les cyclones, le taux de chômage s’inscrit à 3,7% (le plus bas depuis un demi-siècle), avec une hausse du salaire horaire de 2,8% et une inflation de 2%, hors produits agricoles et alimentaires et énergie ! Le plein emploi sans beaucoup d’inflation !
La stratégie trumpienne tient donc sur la hausse anticipée des profits, même si Jeff Bezos décide de faire passer à 15 $ le salaire minimal dans son entreprise, ce qui est obligatoire (pour lui) face à la pénurie de personnel et soutient aussi la demande, avec des consommateurs plus optimistes que jamais ! Certes, le prix du pétrole monte aussi, la Russie et l’Arabie Saoudite ne semblant pas favorables à produire plus. Certes, les rachats d’actions embellissent le paysage. Certes, les hausses de taux courts (2,1%) et longs (3,1%) vont rendre cette politique plus onéreuse.
Certes, les risques géopolitiques sont là aussi, et les élections intermédiaires américaines approchent. Mais les marchés américains montent et ceux des autres pays développés baissent. Certes, les valorisations boursières sont très élevées pour les valeurs technologiques, mais à 21 fois les profits du S&P elles ne sont qu’à 7% au-dessus de la moyenne des trois dernières années : toutes les « bonnes raisons » s’ajoutent pour continuer. Certes, Jerome Powell, le patron de la Banque centrale américaine vient de préciser qu’il ne se précipiterait pas au chevet de la bourse si elle devait corriger. Certes, les marchés se disent qu’elle pourrait baisser de 25%, mais en cas de crise où aller… sauf aux États-Unis ! En cas d’inquiétude, le vrai marché, sûr et liquide reste en effet celui des bons du trésor américain (le marché japonais ne rapporte rien et l’allemand est trop étroit). Donc les taux longs américains baisseraient – ce qui soutiendrait la bourse !
Pourquoi donc Trump conduit-il le monde à la crise ? Parce qu’il est sûr d’y perdre moins que tous les autres, autrement dit d’y gagner !
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