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Cette étrange obsession pour nos Institutions qui nous fait oublier que la démocratie française est bien plus menacée que la République
©LUDOVIC MARIN / AFP

Effrondrement

Et si le vrai danger venait de l'effondrement des classes moyennes ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Discours à l'occasion du 60e anniversaire de la Constitution de 1958, réforme constitutionnelle...en quoi ce débat constant sur les institutions françaises rate sa cible en oubliant de prendre en compte la menace que fait peser la disparition des classes moyennes sur la démocratie ? 

Edouard Husson : D’un côté, la France devrait se réjouir, d’avoir une continuité institutionnelle qui confirme la solidité de la construction gaullienne. D’un autre côté, il faudrait se rappeler que la IIIè République a duré....soixante-dix ans; soit dix ans de plus que la Vè République. Mais, surtout, l’histoire de la IIIè République constitue un avertissement pour toute nouvelle république française. Aussi solides soient-elles, des institutions ne peuvent pas à elles seules absorber des tensions politiques, sociales, culturelles, spirituelles permanentes. Après tout, les institutions de la IIIè République avaient une forme de stabilité, sinon elles n’auraient pas duré aussi longtemps. Mais elles ont été rongées de l’intérieur par des tensions créées par ceux-là même qui auraient dû s’assigner pour mission de faire vivre la République. L’incapacité de la gauche à modérer, dans les années 1880 puis, surtout, dans les années 1900, son envie d’en découdre avec le catholicisme, a miné de l’intérieur les institutions. Passe encore dans les années 1880, on pouvait penser que la majorité des catholiques restait monarchiste; mais après le ralliement des catholiques à la République dans les années 1890, à la demande du pape Léon XIII ! La passion anticatholique de la gauche, dans les années 1900, a complètement déstabilisé la République. Celle-ci n’a retrouvé son équilibre que par une sorte de fuite en avant dans l’hostilité à l’Allemagne. Faire la guerre a réconcilié droite et gauche, catholiques et anticléricaux. Mais à quel prix! Une saignée terrible d’un peuple démographiquement moins dynamique que ses voisins. La IIIè République était suffisamment solide pour absorber, apparemment, ce choc. En fait, 1940 a prouvé que le pays était à la merci d’un nouveau coup de boutoir extérieur. 

Nous devrions tirer des leçons de cet enchaînement. Car la Vè République, aussi solides soient ses institutions, n’est pas à l’abri d’une catastrophe politique et sociale. Cette fois, c’est un autre aveuglement des élites qui est en cause. Depuis les années 1970, les présidents successifs, la haute fonction publique, les grands dirigeants d’entreprises sont d’accord pour imposer au pays une politique qui n’est pas sans performances mais au profit d’un petit nombre. Si vous ajoutez que l’école a été prise en étau entre l’idéologie des pédagogistes et l’égoïsme social des soixante-huitards, vous obtenez cette politique contraire aux intérêts du plus grand nombre, dont Christophe Guilluy décrit brillamment, ouvrage après ouvrage, les effets ravageurs socialement mais aussi politiquement! De Giscard à Macron, on a mis les institutions, que de Gaulle voulait appuyer sur la plus large intégration sociale possible, au service d’un projet économique, l’adhésion à la mondialisation et d’une architecture monétaire, l’euro, qui ne considèrent pas que la cohésion sociale soit un critère de performance. 

De la désindustrialisation qui a pu conduire à l'affaiblissement des syndicats, des difficultés des partis à garder le contact avec les citoyens, en passant pas l'isolement des élites, quels ont été les processus qui ont pu produire un tel résultat d'un peuple devenu population, venant affaiblir la nécessité, pour une démocratie, de définir un projet commun à tous ?

La faiblesse de beaucoup de critiques de la politique suivie depuis quarante ans vient de ce qu’elles se contentent de décrire les symptômes économiques, sociaux, politiques sans revenir aux fondements de la démocratie. Je voudrais renvoyer ici aux analyses de Norman Palma (www.normanpalma.fr) qui nous rappelle qu’aux sources du projet démocratique il y a d’abord, pour reprendre les catégories de la philosophie grecque, une isothymie, une égalité en dignité de tous les êtres humains qui composent une société politique. C’est la première couche du soubassement. L’isothymie conduit à l’isonomie: l’égalité de tous les citoyens devant la loi, deuxième couche du soubassement. L’isonomie permet à la démocratie de répondre à ce qui est sa raison d’être: isocratie, c’est-à-dire le gouvernement des égaux. Au fond, quand un président français issu du PS parle en privé des « sans-dents »; ou quand une candidate à l’élection présidentielle américaine traite les électeurs potentiels de son adversaire de « déplorables », cela veut dire que la gauche occidentale ne croit plus à l’égalité en dignité de tous les électeurs. Les fondations du pacte politique sur lequel reposent nos démocraties sont ébranlées. L’isonomie est détruite car les lois sont faites, de plus en plus, pour ceux qui adhèrent au projet de l’élite et en profitent. Regardez comment les derniers paysans français sont en train d’être broyés par l’incapacité de nos gouvernements successifs à soit défendre la PAC soit lui substituer une autre politique agricole, qui serait conforme, elle, à l’intérêt national. L’isocratie n’existe plus: nos gouvernants passent plus de temps avec leurs semblables d’autres pays qu’avec leurs concitoyens; quand ils doivent colmater une brêche dans le tissu économique et social, ils préfèrent appeler une grande entreprise ou une grande banque internationale à la rescousse, dans un objectif de communication de court-terme, plutôt que se demander comment protéger toutes les catégories de la population. 

Comment en sommes nous arrivés à une situation ou les positions "populistes" semblent aujourd’hui incarner le mieux la démocratie, dans le sens de la définition d'un projet commun, intégrant l'ensemble de la population ? 

Au fond, la notion de « populisme » n’est pas si mal trouvée car elle rappelle que ces hommes et ces femmes politiques que nos médiasmainstream et nos intellectuels, qui ne croient plus à la société, vouent aux gémonies, se font le porte-voix du peuple, non seulement des « sans-dents » et des « déplorables » mais aussi des classes moyennes de plus en plus précarisées. Quand la démocratie renonce à être une isocratie, quand l’isonomie, l’égalité devant la loi, n’existe plus car vous ne pouvez faire valoir vos droits qu’à condition de pouvoir payer très cher des juristes qui vous aideront à tourner à votre avantage la primauté du droit communautaire sur le droit national ou la prépondérance du droit anglo-saxon sur le droit romain et germanique. Quand l’isothymie n’existe plus dans les esprits des dirigeants au point que les chômeurs soient systématiquement soupçonnés d’être rétifs au travail ou les retraités d’être des pleurnichards, le pacte démocratique est très ébranlé. 

Comprenons bien ce qui est en jeu: on pouvait bien, dans les années 1980, décider de réduire le train de vie de l’Etat-providence; après tout la social-démocratie des années 1960 et 1970, avait habitué la société à vivre au-dessus de ses moyens; mais alors il fallait, parallèlement, réduire les flux de main d’oeuvre à bon marché issus de l’immigration et amener les entreprises à investir non pas dans de la main d’oeuvre à très bas salaire mais dans la modernisation de leurs chaînes de production, la robotisation etc....Une politique libérale intelligente en matière économique était possible: elle consistait à réduire les dépenses sociales donc le taux d’imposition et inciter les entreprises à investir les marges ainsi dégagées dans les transformations de la « troisième révolution industrielle ». La croissance ainsi générée aurait augmenté, de fait, les rentrées fiscales de l’Etat et permis à celui-ci d’investir plus et mieux dans la formation scolaire, universitaire et permanente. L’enjeu était celui d’accompagner ce que les analystes de l’iconomie (www.iconomie.org) appellent le passage d’un besoin de « main d’oeuvre » à un besoin de « cerveau d’oeuvre » - les emplois dont a besoin l’industrie d’après la révolution de l’information. Cela entraînait naturellement - et sans aucun besoin de polémique idéologique - le passage d’une immigration de main d’oeuvre bon marché à une immigration qualifiée là où le pays n’était pas capable de fournir immédiatement les diplômés adéquats à nos entreprises. Au lieu de cela, droite et gauche de gouvernement se sont abandonnées à la ligne de plus grande pente et se sont régulièrement sauvées politiquement en mobilisant des classes moyennes en voie de précarisation mais pas très lucides, contre les populismes. La nouveauté, c’est qu’après quelques décennies, cela ne marche plus. 

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