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Retour de la Russie au Conseil de l’Europe ? Sous certaines conditions
©GERARD CERLES / AFP

Choix cornélien

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe se prononcera début octobre sur une proposition de changement de son règlement. Celle-ci, décidée jeudi, vise à apaiser les tensions avec la Russie.

Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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En crise depuis l’annonce de la Russie de ne plus contribuer à son budget, le Conseil de l’Europe se trouve face à un choix cornélien. Doit-il, pour retrouver les faveurs du géant de l’Est, redonner à Moscou son droit de vote au sein de son assemblée parlementaire ? Une possibilité qu’il convient de ne pas écarter, mais qui s’inscrirait en contradiction avec les valeurs défendues par le Conseil si elle n’était précédée d’importantes concessions russes. Sur le plan des libertés publiques notamment.  

Le Conseil de l’Europe est une organisation mal connue du grand public. Certes, c’est le cas de toutes les institutions de l’Union Européenne, opaques pour la plupart des citoyens des Etats-membres. Mais la particularité du Conseil de l’Europe, précisément, est qu’il n’a rien à voir avec l’Union européenne, à part de rassembler des pays européens. En effet, les deux organisations n’ont ni la même assise, ni les mêmes objectifs. 

La construction de l’Union Européenne est le produit de préoccupations essentiellement économiques et géopolitiques, portées par la nécessité de reconstruire le continent après la Seconde Guerre mondiale, d’une part, et d’autre part de trouver une manière de continuer à peser dans le concert mondial entre les nouvelles nations industrielles géantes : les USA et l’URSS. 

Le Conseil de l’Europe est né de préoccupations plus « morales » ou « humanistes » : il s’agissait de policer les relations au sein du continent, pour éviter que ne se reproduisent des horreurs comme celles que l’on venait de connaître. En résumé, il a pour objectif une harmonisation par le haut des systèmes juridiques et politiques du continent, en aiguillonnant les Etats-membres dans le sens d’un plus grand respect des libertés publiques. 

Il réunissait à sa fondation, en 1949, le Benelux le Danemark, la France, l’Irlande, l’Italie, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suède ; très rapidement rejoints, avant la fin de 1950, par la Grèce, la RFA et la Turquie. Aujourd’hui, il compte 47 membres, s’étant fortement élargi à la suite de la chute du rideau de fer : la Russie a ainsi rejoint le Conseil en 1996. 

Depuis plusieurs années, ce Conseil de l’Europe traverse une crise assez inquiétante, dans le cadre plus large de la renaissance des tensions sur le continent depuis le début du conflit ukrainien, en 2014. L’annexion de la Crimée et l’intervention russe dans le Donbass ont entraîné en janvier 2015 la privation des droits de vote de la Russie à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), qui depuis boycotte les réunions de l’Assemblée. En juillet 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), organe du Conseil de l’Europe, avait condamné la Russie à payer une indemnité de 47 milliards d’euros aux actionnaires du groupe Ioukos, l’entreprise de Mikhail Khodorkovski, opposant à Vladimir Poutine. A la suite de quoi la Cour constitutionnelle russe, saisie par des députés de la Douma, a affirmé la supériorité de la Constitution russe sur les décisions de la CEDH.

La situation s’est encore aggravée le 30 juin 2017, avec la décision russe de suspendre la contribution au budget du Conseil. La Russie en était jusque-là l’un des six plus gros contributeurs, concourant à elle seule à hauteur de 33 millions d’euros au budget annuel de l’institution. En outre, Moscou accuse régulièrement l’organisation paneuropéenne de la cibler spécifiquement sans s’en prendre aux Occidentaux, mêlant le discours de victimisation et le whataboutism dans la pure tradition diplomatique soviétique.

Les difficultés budgétaires entraînées par le gel de la contribution russe sont d’autant plus menaçantes pour le Conseil que l’autre grand homme malade de la démocratie en Europe, la Turquie, a réduit des deux tiers sa propre contribution. L’organisation, aujourd’hui, est en pleine crise existentielle, et la sénatrice belge Petra De Sutter a été chargée par une commission de l’Assemblée de présenter « des propositions relatives à la contestation et au réexamen des pouvoirs et/ou droits de représentation et de participation des délégations nationales ».

Des déboires qui rappellent ceux, en son temps, de la SDN : rappelons-nous que cet ancêtre de l’ONU, incapable de gérer la remontée des tensions en Europe dans les années 1930, avait dû faire face au départ de l’Allemagne en 1933, puis exclure l’URSS en 1939 après son agression sur la Finlande. Aujourd’hui, ce sont à nouveau les tensions provoquées par deux dirigeants autoritaires, Erdogan et Poutine, qui font vaciller l’organisation chargée du maintien de la paix et du dialogue en Europe.

Le risque de voir se dissoudre le Conseil est d’autant plus grand qu’en cas de rupture plus ou moins franche de la Turquie et de la Russie avec l’organisation, il ne deviendrait qu’une annexe de l’Union Européenne, et perdrait donc son statut de forum et d’arbitre européen. Or, l’Union européenne, rappelait-on en commençant, a pour but premier la défense des intérêts de ses Etats-membres, pas le dialogue et la défense des droits. L’effacement du Conseil de l’Europe aurait donc pour effet d’accroître la logique de confrontation entre l’UE, la Turquie et la Russie, et le jeu des luttes d’influence sur les autres Etats européens indépendants. 

Sachant que c’est déjà ce jeu et cette logique qui ont provoqué la crise ukrainienne, laquelle est à l’origine de la crise du Conseil, il apparaît clairement qu’en Europe, depuis plusieurs années, s’est enclenché un cercle vicieux qui n’incite pas à l’optimisme.

Le Conseil de l’Europe ne peut donc pas se permettre d’échouer, et doit impérativement trouver le moyen de gérer cette crise. Son avenir en dépend. Pour autant, il faut garder à l’esprit que la survie de l’organisation ne peut passer par un reniement, même ponctuel, de ses principes : aucune réadmission de la Russie ne saurait précéder des concessions de sa part, sans quoi le prestige du Conseil en serait anéanti, et sa capacité d’action future avec. Il faut aussi se souvenir que, si le dernier acte d’ampleur de la SDN fut l’exclusion de l’URSS, c’est parce que cette exclusion, si nécessaire fût-elle au plan moral, fut décidée contre les propres règles de la Société, et constitua donc un suicide institutionnel. La seule issue est donc une ligne de crête, alliant la fermeté des principes et le refus du jeu de chantage de la Russie, sans pour autant céder à la tentation de l’escalade et de l’exclusion. A terme, le sort de la paix en Europe sera déterminé par la capacité du Conseil à surmonter cette épreuve. 

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