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Jean-Jacques Régis de Cambacérès : « Le Code Civil, non, ce n’est pas Bonaparte, quand aurait-il eu le temps de l’écrire ? »
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Série de l’été : Entretiens avec ceux qui ont change le monde, les grands inventeurs de l’histoire. Aujourd'hui : Jean-Jacques Régis de Cambacérès, l'inventeur du Code Civil.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Dans cette série de l’été consacrée à l’histoire des grands inventeurs, nous avons choisi de vous les présenter en les interviewant pour qu’ils se racontent. Interviews imaginaires et posthumes évidemment, mais pour le moins plausibles. Le plaisir du journaliste qui écrit les questions et les réponses lui même l’oblige à ne pas trahir l’historien qui lui, fait parler les écrits, les témoignages et les documents. Donc que l’historien nous pardonne de quelques imprécisions. Notre intention est aussi noble que la sienne, faire connaître ceux qui ont changé le monde en profondeur par leur réflexion, leurs découvertes ou leur imagination. Après avoir rencontré Christophe Colomb, Alexander Fleming, Gutenberg et même Coco Chanel, c’est Jean-Jacques Régis de Cambacérès, le vrai père du Code Civil qui répond à nos questions.

Jean-Jacques Régis de Cambacérès est né à Montpellier en 1753. C’est un juriste né dans une famille de juristes. Il devient avocat à 19 ans, dans un cabinet montpelliérain. Mais plaider ne sera pas son activité favorite. Il fait la Révolution, vote en faveur de la mort de Louis XVI et s’engage dans les Comités révolutionnaires et républicains. Il devient ministre de la Justice en 1799, avant le coup d’Etat de Bonaparte. Mais Cambacérès conservera sa place et sera, pendant le Consulat et le Premier Empire, l’un des plus importants personnages de l’Etat, en tant que Second Consul et Prince archi-chancelier. Car pendant une bonne partie de sa vie, Jean-Jacques Régis de Cambacérès s’est attelé à une tâche colossale : faire connaître et comprendre la loi de ses concitoyens en harmonisant le droit civil français. C’est en effet sous son impulsion et sa direction qu’a été rédigé le Code Civil, dit aussi Code Napoléonien après 1807, car promulgué par l’Empereur. Un code égalitaire, applicable à tous et dont bon nombre de pays allaient s’inspirer, en tant que premier code laïc. 

« Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante bataille, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code Civil ». Jean-Jacques Régis Cambacérès, cette phrase, ce n’est pas vous qui l’avez prononcée, vous n’avez pas gagné quarante batailles. Mais c’est Napoléon Bonaparte, votre « supérieur hiérarchique ». Le Code Civil est considéré comme l’œuvre de Napoléon, alors qu’en réalité,  il en a promulgué le texte, mais il a été pensé bien avant l’arrivée au pouvoir de l’empereur. Et c’est vous, Jean-Jacques Régis, qui y avez travaillé de très longues années. Vous êtes le vrai inventeur du Code Civil, ça ne vous attriste pas de ne pas en recevoir la gloire ?

Jean-Jacques Régis Cambacérès : Non, mais je vous remercie de m’accorder l’honneur de répondre à cet entretien en tant que père du Code Civil. Je suis assez méconnu en France. A tel point que, quand mes Mémoires inédits ont été publiés en 1999 – allez savoir où et qui les cachait jusque là – le Salon du Livre de Cabourg m’a fait la gentillesse de m’inviter à signer mon dernier livre. Une tradition apparemment chez vous. Je n’ai pas osé me présenter, pensez bien, plus de 170 ans après ma mort…

Cette anecdote mise à part, non, je ne vous apprends rien si je vous dis que Napoléon n’a pas écrit le Code Civil pendant une campagne militaire, évidemment, quand en aurait-il eu le temps ? Mais, nous nous fréquentions, si bien qu’il avait connaissance des projets sur lesquels j’avais travaillé, dont celui de regrouper et d’harmoniser nos lois. Il a donc nommé un groupe de travail, comme c’est habituel pour ce genre d’initiative, dont il m’a sommé de diriger les travaux, ce que j’ai fait en bon exécutant. En fait, il a su redonner une impulsion au projet, qui après la Révolution, était tombé dans les limbes.

Imaginez-vous le droit avant le Code Civil. Une France coupée en deux, au sud du pays et en Alsace, le droit justinien hérité de l’empire romain. Et au nord, un droit coutumier, un droit d’usage où tout est oral et où tout peut changer selon les villes et les provinces.  Sans parler du droit canonique qui transparaissait beaucoup ça et là. La royauté n’avait eu ni le courage ni l’énergie de réaliser cette unité. Sous la Convention, dont j’ai été le président, on entend opérer une profonde mutation de la société qui passera par une stabilité du droit. Un Comité de législation est mis en place et me permettra de soumettre plusieurs projets.

L’idée d’un code est bien antérieure à la Révolution. Rousseau lui-même, en 1772, écrit qu’ « il faut trois codes : politique, civil et criminel ».  Vous voyez, l’idée vient des Lumières. Et faire la synthèse de ces lois, j’en avais l’envie, moi magistrat depuis mes 20 ans, depuis fort longtemps. J’y ai passé de longues heures et de longues soirées. J’ai échoué trois fois. En 1793, le travail que je rends est jugé trop long, pas assez révolutionnaire, pas assez percutant. En 1794, je révise ma copie mais cette fois, le deuxième projet est trop court. Et je ne terminerai même pas ma troisième tentative. C’était un travail long et fastidieux.

Bonaparte n’a peut-être pas eu l’idée mais il a su redonner un souffle nouveau à ce projet. Il a eu cette volonté politique et su créer l’équipe qui serait capable d’aller jusqu’au bout. 

Le Code Civil est donc un recueil de lois qui réglementent la vie civile des Français, de la naissance à la mort. Il comporte 4 parties et 2281 articles. Au final, il n’a pas été jugé si révolutionnaire que ça, à l’époque…

Jean-Jacques Régis Cambacérès : Le Code napoléonien est une unification entre ancien droit, droit révolutionnaire et droit romain. Un compromis. Les parties sur les biens et sur les contrats ont été communément admises à l’époque comme ayant une sensibilité révolutionnaire. Sur le droit de la famille, nous avons plutôt transigé en faveur de la mentalité d’Ancien Régime, c’est vrai. Il faut dire qu’après la Révolution, nous avons voulu rétablir un certain ordre. Le mariage, le divorce étaient plus stricts que dans les lois post-révolution – plus de concubinage ou de divorce par consentement mutuel. De même que l’autorité paternelle – qui anéantissait de fait l’égalité des sexes dans le mariage – était rétablie. Mais le Code a aussi été innovant pour l’époque, par sa laïcité. Nous n’avons fait état ni de confession ni de religion.

Vous n’aviez pas envie d’être novateur sur d’autres sujets qui vous touchaient personnellement ?

Jean-Jacques Régis Cambacérès : Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler. Le Code, c’est avant tout une entreprise collective, je n’aurais pas pu. Je supervisais quatre commissaires : le parisien Tronchet, le provençal Portalis, le breton Bigot de Préameneu et le girondin Malleville. Tous étaient un peu plus proches des milieux monarchistes que révolutionnaires.

Le Code Civil a permis une certaine victoire contre l’obscurantisme. Je me suis permis quelques frivolités au cours de ma vie, mais ne croyez pas qu’elles ont été inutiles. La légèreté aura surement été le moyen le plus efficace que j’ai utilisé, les gens ne s’en méfient pas, ils la trouvent charmante, sans se rendre compte qu’elle permet la subversion, le changement d’opinion. Et je sais bien que vous vous n’êtes pas gardés de faire évoluer le Code Civil. On m’a rapporté que moins de la moitié des 2200 articles avaient gardé leur formulation originelle. Napoléon n’y retrouverait pas ses petits !

Vous êtes né du côté de la noblesse, tout a été plutôt facile pour vous, non ? 

Jean-Jacques Régis Cambacérès : J’avais deux frères, Etienne-Hubert et Jean-Pierre Hugues, et comme nos prénoms vous l’indiquent, nous étions issus de la noblesse. Nous avons été au collège chez les Jésuites à Aix. Avant 1789, il existait encore des privilèges pour les magistrats mais je ne suis pas mécontent que l’on les ait abolis. Mon père, qui a été maire de Montpellier, décidera d’ailleurs, après la Révolution,  de se séparer de la particule qui accompagnait notre nom de famille et nous l’avons suivi, moi et mes frères. 

Vous fréquentiez les francs-maçons. Pourtant, 100 après, certains ont eu des mots assez crus pour vous, décrivant « une ambition d’autant moins pardonnable qu’elle s’accordait mal avec son défaut de courage »… Vous étiez un personnage important avant Napoléon, mais encore plus sous Napoléon, puisqu’il vous nomme Second Consul, puis prince archichancelier, là, il voulait vous faire plaisir. Vous étiez quoi, une sorte de Premier Ministre ?

Jean-Jacques Régis Cambacérès : Les frères peuvent être comme ça entre eux. Peut-être un peu de jalousie. J’ai eu une place importante qui fait que j’ai souvent assuré la continuité du pouvoir quand le Premier Consul était en déplacement, mais je n’ai jamais voulu prendre la place de numéro un. J’aurai été trop exposé et je ne cherchai pas la gloire. Etre le conseiller de l’ombre de Napoléon m’a très bien convenu.

Cela vous permettait surtout de pouvoir accomplir vos légèretés plus librement, comme vous les appelez et pour revenir sur ce sujet. Vous vous en fichiez du regard des autres quand vous vous pavaniez au Palais Royal, entouré d’une cour de courtisans efféminés. Il y a même eu une affaire où, une nuit, vous auriez été surpris avec des garçons de mauvaise vie.  Un rapport policier est fait mais, heureusement pour vous, qui ne sortira jamais. Sauf que Napoléon vous a à l’œil et vous ordonne de prendre une maitresse, officiellement.

Jean-Jacques Régis Cambacérès : Je ne me plains absolument pas de la vie que j’ai eue. Et vous pouvez rajouter que j’aimais faire bonne chère, j’aimais être l’hôte de dîners fastueux, cela m’a assez été reproché. J'ai pour principe que des hommes livrés aux travaux de l'assemblée et à ceux du comité doivent être pourvus de bonne alimentation, sans quoi ils succomberaient sous le poids de leur labeur, alors, j’avais une excuse. Quant à mes désirs profonds, je les assumais même si l’Empereur ne les aimait guère. Il m’a été beaucoup plus facile d’inventer et d’écrire le Code civil que d’assumer mon homosexualité un peu libertine. La transgression des bonnes mœurs à l’époque était compliquée. La révolution avait fait souffler un air libéral mais ça s’arrêtait à la porte de la vie privée. Libéral, oui mais libertaire surement pas. L’empire n’a pas fait beaucoup évoluer les choses. Il faudra attendre le neveu, le petit, Napoléon III  pour voir les façons de vivre se délier un peu. Mais je n’étais plus là. 

Même punition que Bonaparte pour vous, vous êtes exilé,  un peu moins loin. Ce sera l’Allemagne et la Belgique. Vous avez eu une fin napoléonienne, c’est ce que vous vouliez ?

Jean-Jacques Régis Cambacérès : A la différence que j’ai quasiment demandé cet exil. A un moment, je n’ai plus pensé que le système royaliste, qui était revenu, puisse assurer ma sécurité. J’ai demandé un passeport pour les Pays-Bas, on m’a attribué la Belgique, ainsi soit-il. Et puis je suis mort à Paris. Cela dit, l’époque était devenue mauvaise, les caricatures et pamphlets de mauvais goût ont pullulé.

Vous parlez des girouettes ? C’est vrai que vous avez formidablement, et à des postes remarquables, traversé toutes sortes de régimes. Ce qui vous a donné votre place dans le dictionnaire des Girouettes, qui regroupent de nombreux acteurs de la décennie révolutionnaire pris en flagrant délit de changement d’opinion, que ce soit à la fin des années 1790 ou en juin 1815. Il a été dit que ces « girouettes » comme on les appelait, auraient inauguré une longue et néfaste tradition de la vie politique française… n’est-ce pas bien trouvé ?

Jean-Jacques Régis Cambacérès : Toujours est-il que la girouette, c’est une expression des critiques politiques à courte vue, parce que dans l’histoire, ces girouettes ont toujours été capables de trouver des compromis, pourvu qu’on avance. 

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