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Benalla : une affaire DE l’Etat
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Le scandale de l'été

Après les différents rebondissements de l'affaire Alexandre Benalla, il est possible de mesurer l'importance de cet ancien chargé de mission de l'Elysée.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Maintenant que chaque jour nous a apporté son lot d'informations et de révélations sur l'affaire dont Alexandre Benalla (AB) est le centre de plus en plus vilipendé, il est permis de mesurer véritablement son importance en ne se laissant plus prendre à des faux semblants.

On a le droit de s'épargner les ragots et supputations ridicules qui ont incité le président à dénier, sur le ton de la plaisanterie, que AB ait été son amant.
On a le droit de n'être pas dupe de la fausse habileté d'Emmanuel Macron qui l'a conduit tardivement et sans risque, devant une assemblée de fidèles, à revendiquer toute la responsabilité en proférant, sûr de soi, "qu'on vienne le chercher". Il lui était évidemment facile de prendre à sa charge - gratuitement - une responsabilité exclusive puisque son directeur de cabinet, sans surprendre, avait déjà dit qu'elle lui revenait (Libération).
Il est clair aussi que l'affaire Benalla n'est pas une affaire d'Etat au sens où, malgré les outrances politiques et médiatiques, si elle est susceptible un temps d'entraîner une perte de crédit du président, elle n'empêchera en rien, sur le fond, la continuation de la stratégie présidentielle ni ne fera obstacle à la poursuite de cet étrange cavalier seul, dans un univers décomposé, d'Emmanuel Macron, pourtant de moins en moins nouveau dans son registre, de plus en plus ancien dans sa pratique. Laisser croire que les retombées de cette crise pourraient profondément affecter la gestion des affaires du pays est une absurdité.
Pourtant, sur un autre plan très différent et bien plus préoccupant, cette histoire qui dure est la première, sous l’ère Macron, qui batte en brèche la morale publique et l’état de droit. A ce titre déjà, éclatant comme un coup de tonnerre dans un ciel qu’on espérait obstinément bleu pour l’éthique républicaine, il est normal qu’elle ait focalisé une attention suspicieuse qu’il serait malséant de qualifier « d’hystérie ».
Surtout, cette « première » en elle-même digne d’intérêt, offre la particularité unique, dans notre vie politique, d’être totalement plurielle, d’enfermer en son sein, comme pour une leçon de choses, une infinité de dysfonctionnements, d’irrégularités, de lâchetés et d’hypocrisies.
A propos de AB et de ses dérives, il n’est pas un service qui puisse se dire impeccable, pas une institution, pas un corps, la préfecture de police comme la gendarmerie, qui soient à l’abri de tout soupçon, le ministère de l’Intérieur lui-même est sur la sellette, le monde parlementaire avec ses moyens de contrôle est en première ligne, et surtout l’Elysée a été et est la cible de reproches fondés pour sa communication et sa part décisive dans tout ce qui a été octroyé d’exorbitant à AB.
L’affaire liée à AB est une affaire d’Etat tout simplement parce que l’Etat, à tous niveaux, est concerné et s’y trouve peu ou prou impliqué. S’il a fallu attendre pour ce désastre sous la présidence Macron, on peut soutenir que la relative indulgence dont il pourrait bénéficier en raison de son caractère pour l’instant unique est malheureusement très largement compensé par l’ampleur de ce qu’il révèle et qui se rapporte au premier chef à l’Elysée.
C’est d’ailleurs une autre avancée démocratique qui paradoxalement va être suscitée par cette effervescence qui de la base au sommet a troublé, agité et indigné. Apparemment c’en est fini des reconnaissances de culpabilité mensongères. Nulle part on n’a hésité à pourfendre, pour se défendre, le niveau d’au-dessus jusqu’à incriminer en définitive l’Elysée auquel AB était rattaché avec la confiance inébranlable que lui accordait Emmanuel Macron. Le temps où l’Elysée était forcément sauf est révolu : maintenant l’Elysée est coupable. Changement de méthode, de discours et peut-être banalisation du régalien ?
Impossible de prétendre, comme le Premier ministre, qu’il ne s’agit que d’une « dérive personnelle » alors que tout un système a failli qui l’a facilitée et permise. Le président de la République a dénoncé le comportement inacceptable de AB en déclarant qu’il s’était senti « trahi ». Sans doute par lui, je veux bien l’admettre, mais lui-même ne nous a-t-il pas trahis par trop d’indifférence à l’égard de la qualité et de la validité de certains compagnonnages adoubés seulement parce qu’ils étaient fidèles au chef ?
D'ailleurs, quand il soutient, au risque de se contredire, qu'il est "fier de l'avoir embauché et que la sanction était proportionnée (sanction au demeurant jamais effective et sans retenue de salaire !), il montre bien le fond de sa pensée qui peut laisser dubitatif.
Je regrette que pour la première fois le président de la République ait manqué d’allure en se moquant de nous. Avec lui on ne serait plus dans la République des fusibles ?
Je serais curieux de savoir ce qu’en pense vraiment son directeur de cabinet.

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