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L’autre guerre économique qui se joue en silence : pourquoi Trump est obsédé par l’euro et le yuan
©PETER PARKS / AFP

Cibles de choix

En attaquant la Réserve fédérale américaine ainsi que l'euro, le président américain est-il dangereux... ou rationnel ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Rationnel, mais pris à son propre jeu. Ces derniers jours en effet, Donald Trump a franchi deux lignes rouges en même temps. La première, en attaquant la Fed (la banque centrale américaine) et Jerome Powell (son Président) sur la chaîne CNBC le jeudi 19 juillet. Puis la seconde, dans ce même interview avec Joe Kernen, en attaquant l’euro et le Yuan. Selon lui, ils seraient manipulés, avec tweet à l’appui. « La Chine, l’Union européenne et d’autres ont manipulé leurs monnaies à la baisse, tandis que les US montent leurs taux et que le dollar devient plus fort chaque jour – nous prenant notre avantage compétitif. Comme toujours, pas un jeu égal ». Du Trump !

Mais, « normalement », critiquer la Fed ne se fait pas, celle-ci étant indépendante. Mais on sait bien que Donald Trump n’agit pas « normalement ». J’avais écrit un papier dans Atlantico le 23 avril à ce sujet (« Vers une périlleuse bataille entre Trump et la Fed ? ») où je notais : « Trump contre Powell ? Du jamais vu, qui choquerait profondément les marchés, au risque de faire baisser le dollar et monter les taux longs ! Mais ce qui se passe aux États-Unis, depuis quelques mois, est déjà du jamais vu, dira-ton. Oui, mais cette fois c’est le dollar qui est en jeu. »

De fait, Donald Trump est pris dans une seringue, qu’il explique d’ailleurs dans son interview du 19 juillet : il répète qu’il fait tout pour soutenir la croissance aux États-Unis (baisse des impôts, dérégulation, formation…), et alors Joe Powell monte les taux (« et je ne suis pas heureux de cela ») ! Et comme, toujours selon lui, les autres pays ne mènent pas de politiques de croissance aussi volontaristes, le déficit commercial américain se creuse et le dollar américain monte. Au fond, la Fed joue contre lui, et se retrouve du côté de l’Union européenne et de la Chine !

Ces discours de Donald Trump vont évidemment ennuyer la Fed, qui fait tout ce qu’elle peut pour se protéger… de lui. D’abord, elle a déjà publié la séquence des hausses de taux qu’elle en prévoit jusqu’en 2020. Il y en aura « normalement » deux autres en 2018 (donc un total de quatre), puis trois en 2019 et 2 en 2020. Trump est prévenu. Ensuite, pour lisser les hausses et éviter tout choc, Joe Powell parlera et commentera ses décisions chaque mois. Enfin, pour bien montrer « qu’il n’en fait pas trop », il indiquera à chaque fois à quel point ses décisions sont commandées par les chiffres de croissance, d’emploi et surtout d’inflation.

Mais le mal est fait : si Jerome Powell augmente ses taux comme il l’a dit, il sera de plus en plus sous pression politique (de Trump, rejoint par les « Démocrates de gauche »), ce qui freinera le dollar – et « alimentera » les débats. Et s’il ralentit, il sera encore plus sous pression des marchés - et « alimentera » les débats. Au fond, le mieux pour Jerome Powell est de continuer ses hausses, et de gagner des galons d’indépendance, face à une volatilité croissante des marchés. Trump est donc rationnel dans ses critiques, mais il est pris à son propre jeu : celui de la réduction des déséquilibres américains, en les creusant d’abord, avec un dollar fort !

Deuxième ligne rouge, quand Donald Trump attaque la Chine qui manipule le Yuan, même si les autorités américaines disent le contraire dans les rapports officiels (!), il fait pression sur son alter ego Xi Jinping. Et de fait le Yuan remonte un peu ces derniers jours, les exportations chinoises faiblissent et la croissance chinoise ralentit. Trump est donc rationnel dans ses critiques sur la manipulation du Yuan, mais il est pris à son propre jeu : celui d’être de plus en plus dépendant des achats chinois de ses bons du trésor. Le deuxième semestre devrait voir en effet les émissions américaines passer à 695 milliards, soit 20% de plus qu’au premier semestre, alors que la Russie vient de liquider son portefeuille et que la Chine ne l’augmente plus.

Deuxième ligne rouge bis, en attaquant l’euro, en fait l’Allemagne, Trump ne joue pas si mal. En effet, Mario Draghi ne monte pas ses taux, même si la croissance est repartie à 1,2% et surtout l’inflation à 2%. Donc l’euro est relativement faible par rapport au dollar, même si la balance des paiements est en excédent, du fait de l’Allemagne, qui donc en profite. L’ « euro-mark » est plus bas de 10 à 20% de ce qu’il devrait être, ce qui aide les exportations allemandes, notamment d’automobiles. D’où l’idée américaine de les taxer pour affaiblir la zone en mettant l’accent sur ses contradictions : l’Allemagne (et les Pays-Bas) en bénéficient, mais pas les autres. D’où l’autre demande américaine adressée à l’Allemagne de dépenser plus pour sa protection dans l’Otan.Là aussi, Trump est rationnel dans ses critiques, maispris à son propre jeu : il n’y a aucune raison pour laquelle un euro plus fort, donc une zone euro en plus grande difficulté, l’aiderait plus car la Chine pourrait en profiter, en renforçant ses liens avec l’Europe !

Trump attaque donc la Fed, qui ferait trop monter le dollar, puis le Yuan et l’euro,qui seraient trop faibles. Il veut donc un dollar globalement plus faible : le voilà pris à son propre jeu ! Un jeu dangereux.

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