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Astérix contre Rastignac : Deschamps ou l’anti Macron
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Sept différences

Vue de loin ou du petit écran, leur destinée se ressemblent un peu. Erreur : tout oppose les deux hommes. Et de cette distance ressentie par les Français vient certainement l’absence d’effet « coupe du Monde » sur la popularité du Président

Guillaume Bigot

Guillaume Bigot

Guillaume Bigot est membre des Orwéliens, essayiste, et est aussi le Directeur Général d'une grande école de commercel. Il est également chroniqueur sur C-News. Son huitième ouvrage,  La Populophobie, sort le 15 septembre 2020 aux éditions Plon.

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Le Président de la République s’était lui-même mis en garde autant qu’il avait prévenu son entourage : il ne faut surtout pas mettre la main dans le pot de confiture de la récupération politique de la victoire des Bleus.

Est-ce parce qu’il n’aurait pas tenu sa promesse que la deuxième étoile française tarde à redorer celle d’Emmanuel Macron ?

Certains commentateurs n’hésitent pas à considérer que l’absence d’effet bleu sur sa côte de popularité du chef de l’Etat récompense une gloire qu’il a maladroitement usurpée.

Un tel procès semble injuste.

L’homme qui incarne la France se devait de rendre hommage aux joueurs et de les remercier pour l’immense fierté et l’incommensurable bonheur qu’ils ont procurés aux Français.

Emmanuel Macron, l’homme privé a certes laissé exploser sa joie mais il a aussi tenu son rôle de représentant de la nation.

Et dans ce rôle, n’en déplaise aux rabats joies, il aura juste été juste parfait. La présence d’un militaire blessé au Mali dans les vestiaires était parfaitement légitime. La visite de cet adjudant-chef meurtri a rappelé à tous et d’abord à nos jeunes dieux du stade que certains sacrifices sont autrement douloureux que ceux exigés de sportifs, même de très haut niveau.

Sans abaisser sa fonction, le Chef de l’Etat a su jouer de sa jeunesse et des codes Instagram de manière habile ou chanceuse. Puisque c’est le photographe de Poutine ou les joueurs qui ont immortalisé ou partagé certaines scènes légèrement hors cadres. On a vu le corps physique d’un quadragénaire, authentique fan de foot percer l’armure qui corsète le corps symbolique du monarque républicain. Et alors ?

Cette communication macronienne, maitrisée jusque dans son relâchement, à la fois habile et sincère, digne et spontanée, ni trop peu, ni too much était particulièrement bien calibrée. Mais alors comment expliquer que des éclats de la gloire de nos champions n’aient pas rejaillit sur le Président ?

Cette absence de coup de pouce dans les sondages est d’autant plus surprenante que les analogies entre la victoire de Deschamps en juillet 2018 et celle de Macron en mai 2017 ne manquent pas.

Il y a un côté attaque de la diligence dans la geste des Bleus que l’on n’attendait pas au Mondial, comme il y eu un braquage du siècle sur le monde politique d’avant chez l’ancien conseiller à l’Élysée. Avant sa frappe décisive, personne ne connaissait Benjamin Pavard. Avant qu’il se mette en marche, qui connaissait Macron ?

La jeunesse, la surprise et le côté sorti de nulle part relient indiscutablement les Bleus à ce Bleu de la politique qu’était Emmanuel Macron. La victoire de ces bluets a pu parfois sembler manquer de panache, elle n’a jamais manqué de génie. Cette façon de jouer en contre, d’exploiter si astucieusement les failles de l’adversaire, de le faire trébucher sous son poids voire son arrogance offensive, de l’épuiser et puis de le piquer au bon moment, ce style n’est pas sans rappeler la tactique mise au point par un ex Ministre de l’économie.

La France sur le toit du monde, n’est-ce pas la métaphore parfaite pour illustrer la pertinence du projet d’une France qui gagne grâce à ses premiers de cordée ?

La ligne politique du « en même temps » prônée par Macron qui célèbre la réconciliation des Français avec la gagne, tout en prônant la défense du modèle social semble elle aussi confortée par le fabuleux destin des Onze. Au fond, la victoire des Bleus est à la fois celle du tissu associatif, des fédé, des clubs locaux, des bénévoles, autrement dit du foot à la française d’un côté et de l’autre d’un modèle ultra compétitif, ultra sélectif, celui des clubs européens et mondiaux financés à coup de milliards et de sponsors planétaires ?

La campagne victorieuse de Russie ne signifie-t-elle pas que la France, à condition d’être jeune, de bosser dur et d’y croire, peut triompher à l’échelle globale ? La dream team juvénile de Dédé ne sont-ils pas la première start-up du pays ?

Tout ceci est vrai mais ne suffit pourtant pas à doper Macron.

Ni la séquence passion au Château, parfaitement orchestrée, ni la séquence émotion, savamment dosée dans les vestiaires, ni le merveilleux cliché volé d’un président en bras de chemise exultant de dos ne suffiront à faire de Macron le bénéficiaire symbolique d’une victoire qui n’est décidément pas la sienne.

Macron ne sera jamais le 12 ème homme. D’abord car cet homme existe déjà.

La place du père et celle du chef sont déjà prises.

Contrairement à Macron, celui qui l’occupe n’est pas sorti de nulle part. Contrairement au petit prince du château, l’Astérix rusé qui a soulevé la coupe ressemble à ses compatriotes. Didier Deschamps ou le genre d’homme dont Macron aurait pu dire, en le croisant dans une gare, qu’il n’est rien. Comme Macron, c’est un provincial monté à la capitale mais alors que le premier est l’illustration parfaite du Rastignac, l’autre est un footeux de Bayonne, la cité ouvrière du riche Pays Basque qui s’est fait au forceps. Ses succès furent foudroyants mais sa réussite n’a pas été instantanée. Emmanuel Macron n’est certes pas sorti de la cuisse de Jupiter mais de la botte de l’ENA, ce qui, sous la Vème République est presque l’équivalent. L’inspection des finances, le grand corps auquel appartient l’ex banquier d’affaire est une noblesse au concours, une noblesse de robe mais une noblesse tout de même, avec ses codes, ses privilèges, sa solidarité et sa morgue. Le Bayonnais lui n’a pas d’ancêtre comme disait Ney à d’imbéciles aristos qui lui en faisait le reproche. Mais comme Ney, Deschamps n’a pas d’ancêtres mais c’en est un. Le jeune président de la République est volubile et brillant. L’ex élève de Brigitte Trogneux parle une langue ciselée, même lorsqu’il utilise des noms d’oiseau, il s’exprime au moyen de mots choisis. L’entraîneur des Bleu est un taiseux. Laconique comme les Spartiates, il parle peu mais bien. Pour Deschamps faire, c’est dire. Pour Macron, dire c’est faire. Nuance qui sépare l’homme armé du verbe sur le terrain du verbeux de tribune ou de plateaux télés.

Macron est un surdoué de l’ambition. Deschamps est un génie malgré lui.

Si Macron peine à capitaliser sur la victoire des Bleus, c’est que celle-ci est celle de son patron, Didier Deschamps et que tout sépare Macron de Deschamps.

C’est la victoire du travail face à celle de la facilité, du bénévolat contre le fric. C’est le retour du collectif face au tout à l’égo. C’est la revanche du long terme sur l’instantané et du mérite sur le réseau. La liste des oppositions est interminable tant l’antithèse est radicale. Mais c’est surtout la victoire de la France d’en bas contre celle d’en haut.

Tout dans l’attitude de Pogba, de Mbappé, de Griezmann et d’abord de leur leader incontesté est tourné vers la notion d’intérêt général.

Ce n’est pas le groupe au service de l’individu. C’est, au contraire, l’effacement de l’individu au service du groupe. Nous sommes aux antipodes de la philosophie de Macron ou de celle du CAC 40. Il ne s’agit pas d’utiliser le collectif, la RSE, les idéaux de sacrifice et de bravoure pour servir l’actionnaire, pour favoriser une poignée d’individus doués ou chanceux mais au contraire, de mobiliser les surdoués et chanceux au service du collectif.

Nous sommes tellement loin de l’exaltation du rêve ou de l’ambition individuels. Ces dimensions existent bien sûr. Rien de grand ne se fait sans passion personnelle. Mais la démonstration a été brillamment apportée par la bande à Deschamps que seul le collectif donne du sens et permet de se transcender. Ce qu’un individu est en mesure d’accomplir au nom de tous, jamais il n’en fera un centième par et pour lui-même.

Les déclarations de Griezmmann, celle de Deschamps, celle de Pogba ou de Mbappé renvoient au néant non seulement les illusions d’une France BBR mais réduisent au silence les envolées de Macron sur l’absence d’une culture française sur « je vois ici des Comoriens, des… ». La France n’a vu que du bleu et des étoiles, ce n’est pas la peine de lui refaire le coup des différences ou des énergies des quartiers. Si cette victoire a politiquement un sens, c’est d’abord celle d’une grande nation qui n’en peut plus d’exalter ses différences et qui crevait de ne pas avoir le droit de communier dans l’unité et la grandeur retrouvées.

Quant à l’énormité finale si l’on peut dire, c’est le décalage entre Macron et son peuple. Dans son programme de campagne, dans son discours fondateur de la Sorbonne, dans toute son action, Macron est orienté sur et axé par l’Europe. Pour lui, c’est le bon niveau décisionnel, c’est le cap, l’avenir, la stratégie, à la fois le moyen et la fin, le vecteur et la charge. Or, ce triomphe français mondial exprime bien en creux l’absence totale affectio societatis continental. Combien avons-nous vu de drapeaux européens dans les rues ? La symphonie de Berlioz a-t-elle retentie ne serait-ce qu’une fois ? Quoi, Français, n’avez pas senti frémir la fierté d’appartenir à la zone euro lorsque nous avons défait l’Uruguay ?

Certes, il ne s’agit que de foot. Mais la politique et, à fortiori, un État et un projet historique se fondent sur des réalités qui articule la raison et l’émotion dans le passé, le présent et le futur. La grande leçon du triomphe de 2018, c’est que l’Europe est morte dans les cœurs.

C’est Deschamps qui est la France et c’est la France qui est l’avenir.

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