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"Satan, va-t’en; va-t’en, Satan!" : la tragédie de Saint-Étienne-Du-Rouvray, ce cauchemar au retentissement mondial
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Bonnes feuilles

Le père Jacques Hamel, humble curé de campagne est assassiné en juillet 2016 dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray. Dieu seul sait pourquoi. Occultée en son temps par la légitime émotion ressentie et l'intérêt bien compréhensible des médias relatant le drame, la question se pose de savoir qui il était, et de découvrir l'homme qu'était le prêtre et le prêtre qu'était l'homme. Extrait de "Père Jacques Hamel" d'Armand Isnard, aux éditions Artège (1/2).

Armand Isnard

Armand Isnard

Armand Isnard est auteur et réalisateur de films pour la télévision. À travers ses documentaires, il dresse le portrait intime de ces figures trop peu connues qui marquent notre temps.

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26 juillet 2016. Le soleil d’été réveille Saint-Étienne-Du-Rouvray, commune de l’agglomération de Rouen. Il y a un peu moins d’activité en cette période de vacances, et la vie continue paisiblement dans la cité normande d’un peu moins de 30000 habitants. En ce début de journée, quelques fidèles se retrouvent à l’église SaintÉtienne, pour une messe de semaine célébrée par le prêtre à la retraite, le père Jacques Hamel. Celui-ci s’est levé de bon matin, comme à son habitude, en récitant la prière à saint Michel: « Saint Michel archange, défendez-nous dans le combat; soyez notre secours contre la malice et les embûches du démon… » Il avale son café noir et file à la boulangerie en vue de disposer du pain frais sur la table du petit-déjeuner, pour sa sœur et sa famille arrivées la veille pour quelques jours.

Dans l’église, ce matin-là, il accueille un peu moins de paroissiens qu’au cours de l’année : ce sont les vacances, mais pas question de supprimer la messe paroissiale. Il y a là un couple de retraités – Janine et Guy Coponet, ce dernier fêtant le jour même ses 87 ans –, trois sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Les religieuses déjà âgées sont toujours actives: elles rendent visite aux personnes âgées, participent à l’aide aux devoirs pour les enfants défavorisés… Les messes sont une source qui vient irriguer toute la journée. Ces eucharisties quotidiennes, célébrées dans toutes les paroisses, avec bien souvent quelques personnes seulement, dans une église vide ou une sacristie, portent le monde. Ce jour-là plus que tout autre.

À 9 heures, le père Jacques Hamel commence la célébration: il n’y a pas de petite messe pour lui. Vient la lecture de la Parole. Appuyé à l’ambon, le prêtre proclame l’évangile du jour, extrait de l’évangile de Matthieu : « L’ivraie, ce sont les fils du Mauvais. L’ennemi qui l’a semé, c’est le Diable ; la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges. De même que l’on enlève l’ivraie pour la jeter au feu, ainsi en serat-il à la fin du monde… »

Après une courte prédication, Jacques Hamel s’approche de l’autel. La prière eucharistique débute à peine lorsqu’un jeune homme, en polo clair, entre dans l’église. Une des religieuses, sœur Huguette, s’avance vers lui. Quand il lui demande les heures d’ouverture et des renseignements, elle lui propose de revenir un peu plus tard, quand la messe sera finie.

Il n’y en aurait pas pour longtemps… « Allez dans la paix du Christ »: chacun s’apprête à repartir vers ses occupations. À ce moment, deux jeunes tout de noir vêtus surgissent bruyamment, entrant par la sacristie. Il est 9h43.

Leurs intentions ne font pas de doute. Si le pistolet est factice – tout comme la ceinture d’explosifs –, leur violence est évidente : « Vous, les chrétiens, vous êtes les ennemis des musulmans! », lancent-ils, bousculant le petit groupe en invoquant Allahou Akbar. Ils donnent l’ordre à Guy Coponet de filmer, en lui confiant un portable, et enjoignent le petit groupe à se resserrer. Difficile ensuite de reconstituer l’enchaînement des faits. Les deux islamistes renversent tout ce qu’il y a encore sur l’autel, crient quelques diatribes guerrières, et le père Hamel tente d’intervenir: « Mais que faites-vous? Calmez-vous! » Ce qui ne fait qu’attiser la détermination – et la peur sans doute – des terroristes. Les agresseurs exigent alors qu’il s’agenouille et, devant la résistance du vieil homme, le frappent d’un premier coup de couteau.

« Satan, va-t’en; va-t’en, Satan! » supplie-t-il, avant d’être frappé à nouveau à la gorge, mortellement touché.

Dans le désordre semé par les djihadistes, sœur Danièle parvient à s’échapper, arrête une voiture dans la rue, prévient la police… Encore un peu de temps et les forces de l’ordre ainsi que les chaînes d’information en continu envahissent la paisible commune bientôt abasourdie. « Nous étions dans la cuisine, Sébastien et moi, se souvient Maria Velardita, sacristine. Notre petite-fille nous appelle au téléphone : “Papy, Mamie, regardez la télé, il se passe quelque chose dans votre église.” » Son mari Sébastien se penche, là dehors: il y a des policiers partout. « J’y vais! » Il est sicilien: son sang ne fait qu’un tour, malgré l’âge. Arrivé au bout de la rue là-bas, un policier lui demande :

– Vous allez où, monsieur?

– Je suis le sacristain.

– Vous ne passez pas…

Le fils de Nicole et Marc Tocco, eux aussi paroissiens, travaille dans les médias: « Il nous a appelés aussitôt. Il nous a dit: “Je veux que ce soit moi qui vous l’apprenne”…  » Consternation à Saint-Étienne-duRouvray, alors que l’on ne sait pas encore vraiment ce qui se passe dans l’église et quel sera le tragique bilan de cette matinée dramatique. Tandis que le père Hamel agonise au pied de son autel, les deux djihadistes ne semblent attendre qu’une chose : la confrontation avec les forces de police. « J’étais convaincue que nous allions tous mourir », se souvient sœur Huguette. C’est à Guy Coponet qu’ils s’en prennent ensuite, le frappant à coups de couteau, sous les yeux de sa femme. La blessure, heureusement moins profonde, n’est pas mortelle, mais l’octogénaire « fait le mort » pour ne pas être victime de l’acharnement des agresseurs. S’ensuit une étrange et surprenante conversation entre les deux religieuses et les djihadistes… « Avez-vous peur de mourir? », fanfaronne l’un des assaillants, à qui sœur Hélène réplique que la mort ne l’effraie pas: « Parce que je crois en Dieu et je sais que je serai heureuse. »

Entre-temps, le dispositif policier s’est déployé autour de l’église Saint-Étienne. Les terroristes savent ce qui les attend. Prenant les deux religieuses comme bouclier, ils vont tenter une sortie par la sacristie. Relâchant très vite les otages, Adel Kermiche et Abdel Malik NabilPetitjean sont immédiatement neutralisés par les tireurs d’élite de la brigade de recherche et d’intervention de Rouen. Il n’aura pas fallu plus d’une heure pour vivre ce cauchemar au retentissement mondial.

Extrait de "Père Jacques Hamel" d'Armand Isnard, aux éditions Artège

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