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Faux-semblants à Meseberg : le sommet Merkel-Macron accouche d’une souris
©LUDOVIC MARIN / AFP

Pschit

Mardi 19 juin, Emmanuel Macron était reçu par Angela Merkel au château de Meseberg. Un accord a été signé, présenté par certains confrères comme "historique". Historique, vraiment ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Gavroche et le technocrate

Je ne vous connais pas, jeune insolent qui avez interpelé « Manu » et vous êtes attiré cette leçon de morale qui aurait ravi Flaubert: « Tu apprends à faire les choses dans l’ordre. Le jour où tu veux faire la révolution,  tu passes d’abord un diplôme et tu apprends à te nourrir toi-même. Et à ce moment là tu pourras donner des leçons aux autres ». Je voudrais que vous n’ayez pas été le rebelle d’un court instant, impressionné par le coup de matraque de quelques phrases présidentielles, de l’argument d’autorité. Chez chaque jeune Français, il y a cette petite flamme de la révolte contre la bien-pensance. Mais souvent elle s’éteint, faute d’aliment, confisquée par un système scolaire qui s’emploie à écraser l’originalité, à formater les intelligences, à éteindre les consciences. Gavroche meurt moins souvent d’une balle perdue que d’être rentré dans le rang trop tôt. Je vous ai vu intimidé, Gavroche du Mont Valérien; mais puisque j’ai passé un diplôme et que j’ai donc le droit de penser à la révolution, je vous dédie cette tribune. Ah! Manu vous a fait le coup du 18 juin, de la Marseillaise et du Chant des Partisans pour vous impressionner? Mais vous l’avez regardé avec la Chancelière allemande ce jour en conférence de presse? Moi aussi j’ai envie de poser la question: « Ca va, Manu? ». Mais contrairement à ce qu’il croit, on n’a pas envie de faire la leçon à qui que ce soit; on a envie de faire éclater, pour tous les Gavroche de France et de Navarre, ceux d’aujourd’hui et ceux de demain, le carcan d’un système qui asphyxie notre pays à petit feu depuis une génération. 

Emmanuel Macron et Angela Merkel ont parlé 45 minutes pour ne rien dire 

Aujourd’hui 19 juin, plus question de se camoufler derrière l’évocation du Général de Gaulle. Malgré le cadre agréable du cheâteau de Meseberg, à une heure de de Berlin, on montre aujourd’hui une soumission bien peu gaullienne, Angela Merkel vient de réciter la litanie des succès historiques atteints par le sommet franco-allemand. 10 minutes au style profondément ennuyeux: la Chancelière ne s’est jamais débarrassée de la rhétorique de la RDA où ele a grandi. Eh bien voilà! Passons aux questions. Ah, non! Le président français doit avoir son discours lui aussi. 15 minutes pour dire exactement la même chose que la Chancelière. Chacun son style. En l’occurrence, on a connu le président français plus flamboyant. Mais aujourd’hui nous n’avons plus, devant nous que le premier des hauts fonctionnaires français. Du sommet de la nomenklatura française tombe le satisfecit: un pas décisif a été franchi pour assurer la solidité - entendez la survie - de la zone euro. Mais qu’ont-ils annoncé, au fait? Essentiellement des mécanismes de stabilisation, de sauvetage en cas de crise. Et puis un loufoque « budget de la zone euro » à propos duquel aucun chiffre ne peut nous être donné Et pour cause, Emmanuel voudrait des centaines de milliards, Angela ne veut que des dizaines. C’est elle qui l’emportera au terme de négociations avec les partenaires européens dont on nous dit qu’elles vont durer jusqu’à la fin de l’année. Puis il faudra une révision des traités en 2019 - après les européennes, s’il vous plaît, cela permettra de faire croire à une relance de l’Europe. Puis le premier simulacre de budget européen verra le jour en 2021. On nous assure qu’il permettra de résoudre le problème structurel de la zone: l’absence de convergence entre les économies. Terrible inefficacité de l’Union Européenne et de la zone euro en son sein! Terrible soumission de la France à une vision apolitique de l’avenir! 

Mais quand donc cessera la prosternation devant un « modèle allemand » déstructurant pour la France et l’Europe? 

Nous autres qui aimons l’Europe, ce continent fait de peuples vibrants et créatifs, ce continent des révolutionnaires, des inventeurs, des artistes et des créateurs de richesses, nous avons le devoir de protester, bruyamment, en Gavroche, diplômés ou non, que nous sommes. Depuis Paris et Berlin on vient de nous expliquer que l’on a bien conscience que la zone euro est fragile, qu’elle est traversée par les divergences. Mais on ne changera rien aux principes directeurs. On n’est pas prêt à accepter la supériorité du modèle anglo-saxon de gestion de la monnaie, au service de la croissance. Un peu avant la triste conférence de presse Merkel/Macron, une scène revigorante s’était jouée à Francfort. Lary Summers et Mario Draghi, à la BCE, se renvoyaient la balle et plaidaient pour une politique active des banques centrales. Mario Draghi est allé aussi loin qu’il pouvait dans le cadre des traités européens mais d’ici quinze mois il ne sera plus là. Et nous aurons, nous dit-on, Jens Weidmann, le monétariste ultraorthodoxe ) côté duquel Jean-Claude Trichet est un boute-en-train,, pour diriger la BCE.

En écoutant Emmanuel Macron, l’observateur de l’Allemagne et des relations franco-allemandes se révolte en moi: mais qu’ont donc les hauts fonctionnaires français, depuis quarante ans à ne jurer que par un « modèle allemand » peut-être bon pour l’Allemagne elle-même - au trou noir démographique près - mais destructeur de croissance et de richesses ailleurs en Europe? Le modèle anglo-américain de gestion pragmatique de la monnaie au service de la croissance dans un environnement de changes flottants n’a t-il pas fait la preuve de sa supériorité? Je comprends bien qu’il s’agit chez nos grands argentiers et nos énarques d’une conviction d’ordre religieux. « Le salut  vient des Allemands ». « Pas de salut pour la France hors de la zone euro ». Eh bien je réclame le droit de ne pas croire à une religion qui a privé bien des Gavroche, surtout les non diplômés ou les mal-diplômés, de l’accès à l’emploi. Une religion qui a installé la France dans un durable - et croissant - chômage de masse et qui nous empêche de suivre aux côtés de la démocratie américaine le rythme de transformation du monde. 

Il y a bien d’autres motifs de rire avec impertinence quand on entend le président français  nous faire le coup de « Tout va très bien Madame la Marquise !» et la Chancelière celui de « Circulez, il n’y a rien à voir! ».  Exaltante cette coopération militaire qui porte sur « le char du futur » et « l’avion du futur »; c’est vrai qu’il vaudrait mieux se préparer à la guerre de l’avenir et que les dirigeants français mènent le plus souvent la guerre de la fois précédente - Vous auriez pu rappeler à Manu, cher Gavroche, que ça n’a pas changé depuis juin 1940 ! Et puis il y a de la part de Macron et Merkel ce reniement sur les questions migratoires, qui chagrinera le libéral authentique: voici que Giuseppe Conte, Viktor Orban, Horst Seehofer commencent à imposer leur vision des choses en matière de contrôle de l’immigration. Mais le conservateur que je suis (oui, Gavroche! Si vous voulez rester fidèle à  votre envie de rébellion toute votre vie, ne choisissez pas Che Guevara, choisissez Disraëli, de Gaulle ou Churchill comme modèles. Aimez ce que nos pères nous ont transmis; la flamme de la vraie rébellion est celle qui se transmet d’une génération à l’autre) le conservateur, donc, ne se réjouira pas trop vite. Les populistes européens n’ont pas encore attaqué le coeur du système de Schengen. Voulez-vous maîtriser durablement l’immigration vers l’Europe? Rétablissez partout les frontières nationales; cela n’empêchera en rien la coordination européenne mais cela convaincra tous les trafiquants de vrais ou faux réfugiés que ce sont désormais les Etats européens qui choississent d’ouvrir leurs frontières ou non. 

« Manu! J’ai rétréci l’Europe! »

Mais au fond, ce 19 juin 2018, n’avons-nous pas assisté à un non-événement? Gavroche, à l’avenir soyez rebelle comme cette journaliste qui a demandé sans sourciller 1. à Emmanuel Macron s’il pouvait donner un ordre de grandeur du futur budget européen, ce qu’il n’a pas fait. 2. à Angela Merkel si elle ne prenait pas à la légère des engagements dont, aussi minimes soient-ils, sa majorité gouvernementale ne voudra pas - question que la Chancelière a esquivée. 

L’absence de réponse des deux disait bien la réalité: tout cela est largement de la poudre aux yeux. C’est très fragile. Effectivement, Angela Merkel peut être renversée à l’automne. Surtout, le leadership politique de l’Europe échappe largement à l’Allemagne malgré toutes les prières au dieu des technocrates de la haute fonction publique française. L’Europe centrale a basculé dans le conservatisme; l’Italie s’essaie à une synthèse des populismes de gauche et de droite. La Grande-Bretagne est sortie de l’Union. La substitution systématique par la Chancelière de l’éthique de la conviction à l’éthique de la responsabilité - aussi bien sur la question monétaire que sur celle des réfugiés - a conduit son influence sur l’Europe à diminuer à grande vitesse, aussi bien que son emprise sur la vie politique allemande. Pour parodier le titre d’un film célèbre, on aurait pu faire dire à Angela, ce 19 juin à Meseberg: « Manu! J’ai rétréci l’Europe!  » Cependant, je ne sais pas si nous autres Français avons des raisons de sourire longtemps. La croyance de nos dirigeants dans les vertus du « modèle allemand » est telle que la France restera sans doute  la dernière partenaire de l’Allemagne dans une Europe qui aura rejeté, en général, le leadership allemand; la dernière à vouloir appliquer le « modèle allemand ».  

Debout Gavroche! Relevez-vous vite, le combat ne fait que commencer. Nous aimons l’Europe telle qu’elle est et non telle qu’on la rêve à Paris, à Bruxelles ou à Berlin. Nous voulons rester les meilleurs amis de l’Allemagne; mais aussi de l’Italie, de l’Espagne et de la Hongrie; de la Grande-Bretagne et de la Russie. Pour que vive la culture européenne et pour que prospèrent ses nations, il va falloir d’abord nous débarrasser de conceptions d’un autre âge!  

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