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Ces terribles pièges auxquels font face les victimes de violence conjugales et familiales
©HOANG DINH NAM / AFP

Piègé

Se rendre compte que l'on vit avec quelqu'un de violent ou avec un pervers narcissique est souvent le début d'une épreuve très difficile à surmonter. Car porter plainte, l'étape suivante est loin d'être une sinécure.

Geneviève Schmit

Geneviève Schmit

Geneviève Schmit est psycho praticienne, analyste et coach depuis plus de 15 ans. Elle pratique la psychologique positive avec une approche globale centrée sur la personne. Elle a également été formée à différentes techniques de thérapies brèves telles que l'hypnose Ericksonienne, l'EMDR et l'IMO. Elle propose des consultations individuelles par téléphone ou Skype pour toute personne parlant le français. Elle est également l'auteur du livre "Le manipulateur pervers narcissique. Comment s'en libérer. Victimes prenez le pouvoir sur votre vie!" aux éditions Grancher. Un autre livre, offrant un modèle de reconnaissance du pervers narcissique et de sa victime, paraîtra sous peu aux éditions du Cherche Midi.

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Atlantico : Dans votre article* "La plainte et la justice face au pervers narcissique", vous expliquez que "la plainte n’indique pas la fin d’un problème, mais bien le début d’un autre : celui d’être prise au sérieux". En matière de divorce, quelles sont les principales difficultés rencontrées par celles qui en font la demande ?

Geneviève Schmit : Effectivement, la prise sincère de décision de se séparer, ou de divorcer d'une personne manipulatrice et abusive est un choix étourdissant, affolant même. Ce choix signe un point de non-retour, et cela même s'il y a déjà eu des "menaces" ou des tentatives avortées dans le passé. Dans tous les cas, il y a une nouvelle dynamique relationnelle dangereuse qui se met en place. En demandant, et parfois même en acceptant le divorce, la victime, homme ou femme, commet un crime de lèse-majesté; elle brise le pacte, elle brise l'image et devient la personne à abattre.

Ce moment ne doit pas être pris à la légère. L'idéal étant de prendre le temps de bien préparer son "coup", son dossier, et de mettre immédiatement à l'abri tout ce qui peut encore l'être. Il est essentiel que la victime se prépare à l'annonce de sa séparation ou du divorce. Il est impératif qu'elle sache se taire, garder le secret de son choix le plus longtemps possible tout en contre manipulant et en se préparant avec détermination.

Le temps joue contre la victime, le temps joue pour le pervers narcissique ou le manipulateur. Le temps joue contre la victime car elle s'épuise, cherchant vainement à se faire entendre, à être crue, à être comprise et aidée. Elle s'épuise aussi dans la panique et l'inquiétude toute légitime qui la ronge. Elle s'épuise à lutter contre elle-même, contre cette partie d'elle qui souhaite rétablir le lien comme si elle pouvait sortir du cauchemar.

Le temps joue pour le pervers narcissique car son flair de prédateur aura su l'informer de ce qui se trame dans son dos et il saura mettre tout cela à profit pour créer des situations critiques pour sa proie. Il saura rassembler une foultitude de témoignages, plus ou moins sérieux, en sa faveur et bien sûr à charge de celle qui est maintenant l'adversaire à abattre. 

Bref, le manipulateur pervers saura mettre à son profit tout ce qu'il a emmagasiné comme informations concernant sa proie, et ce depuis le début de la relation, ne reculant pas devant des révélations de confidences qui auront pour unique but la destruction de sa proie.

Les principales difficultés rencontrées par la victime sont: l'inconscience de l'enjeu réel, la difficulté d'être entendue en tant que victime, d'être crue et prise au sérieux, la difficulté de rassembler les preuves surtout pour ce qui concerne la souffrance psychologique. En effet, même si une loi place la violence psychologique au rang de délit, c'est la preuve qu'il sera bien difficile d'apporter pour que la justice puisse poser une condamnation. N'oublions jamais que la justice se base sur des faits prouvables…

Perdue dans ses émotions, souvent contradictoires, dans la panique et l'angoisse, la victime aura tendance à attendre de la justice ce qu'elle ne peut donner: la validation du statut de victime. C'est un deuil supplémentaire à faire, le deuil de la reconnaissance par la justice de la souffrance psychologique vécue, souvent durant des années.

La plus grande difficulté sera alors d'apporter la preuve du non prouvable… C'est là que des stratégies peuvent parfois se montrer efficaces.

Quelles sont les attitudes, comportements et procédures des personnes manipulatrices face à la justice? Jusqu'où peuvent-elles aller pour ne pas perdre?

Ces personnalités peuvent aller jusqu'à l'abject pour ne pas "perdre". Perdre, perdre la face, est inconcevable pour lui et justifie tous les coups. 

J'ai pris l'habitude d’expliquer aux personnes que j'accompagne de penser au pire qu'il ou elle puisse faire, et de se dire que cela ira surement au-delà de cela. La pensée du pire n'est pas là pour démoraliser, mais bien pour se préparer, pour tenter d'anticiper et ainsi vivre moins de surprises dans la procédure et, pourquoi pas, contre manipuler soi-même.

Il y a pourtant des constantes : pour exemple, la partie adverse qui donne ses pièces la veille au soir de l'audience, si ce n'est dans le couloir juste avant que les portes du tribunal ne s'ouvrent. Que cela ne soit pas autorisé ne dérange nullement un pervers narcissique puisque, comme j'ai déjà pu le dire, tous les coups lui sont permis. Agissant avec une assurance déconcertante, cela passe bien souvent comme une lettre à la poste! 

C'est avec autant d'aplomb que le manipulateur, au travers de son avocat qui lui ressemble bien souvent, assène des mensonges qu'il faudra écouter en silence sous peine d’être mal vu par le juge. L'objectif est de détruire toute crédibilité de la victime et surtout, de la déstabiliser au plus haut point. J'appelle cela du terrorisme.

Il n'est pas rare que le pervers narcissique crée son insolvabilité. Il se met ainsi à l'abri de l'obligation de "donner" quelque chose à celle où celui qui lui fait affront. De la même manière, la motivation pour une garde partagée est bien souvent économique puisqu'ainsi il n'y a pas de pension alimentaire à payer. Donner un centime d'euro à son "adversaire" est probablement la pire souffrance pour un pervers narcissique.

Face à la justice, comme face à la Police ou les éventuels "témoins", le pervers narcissique saura convaincre de sa "bonne foi". Il saura feindre à la perfection le mari (ou la femme) dévoué, voir bafoué devant les conciliateurs. Il saura montrer un calme Olympien et un esprit vif et ouvert devant les experts psychologiques qui n'y verront que du feu, alors que la victime, souvent dans un grand état de détresse psychologique pourra passer pour hystérique. Tous ces moments sont, pour le pervers narcissique, autant de scènes où il pourra exhiber ses talents d'orateur et de mime.

On peut également s'attendre à ce que le manipulateur pervers noie la justice avec des dossiers qui n'en finissent plus. Même avec la meilleure volonté du monde, le juge ne pourra trouver le temps de les décortiquer. Il en est de même pour la victime qui va tenter d'apporter la preuve de la perversion par la multitude d'échanges mails ou textos qui ne seront probablement pas lus ou en tout cas pas compris.

Comment se préparer à affronter le système judiciaire et réagir face à ces stratégies de déstabilisation ?

Se préparer à affronter un pervers narcissique dans un système judiciaire qui n'a pas les moyens de le déceler en tant que tel est extrêmement difficile, mais pas impossible.

Un bon accompagnement est indispensable et, comme me l'avait dit une de mes patientes, il faut "monter sa petite armée". Elle va se composer d'amis fidèles, de la famille si elle est encore là. Il y aura également la présence d'un avocat qui, si possible, connait le comportement du pervers narcissique et saura anticiper les coups. Elle suivra les conseils d'une personne qui saura la préparer psychologiquement et l'aidera à réfléchir aux différentes stratégies et contres manipulations envisageables, et, si possible, bénéficiera d'un accompagnement dans la gestion du stress et des angoisses.

Une bonne gestion émotionnelle est vitale dans cette situation. Le climat de terreur dans lequel le pervers narcissique tente de noyer sa proie peut avoir raison d'elle. Cette gestion passe aussi bien par un bilan que fera le médecin, que par la prise d'Oméga 3, de vitamines, de magnésium marin, que par l'apprentissage de techniques simples pour gérer, ou mieux, anticiper les crises paniques. Pour cela il y a la cohérence cardiaque, la respiration pleine conscience, l'autohypnose, etc…

Il me semble essentiel que la victime ne se trompe pas d'objectif. La stratégie choisie, et la possibilité de réussite ne sera pas la même si la proie exige de faire reconnaitre son statut de "victime" par la justice, et lui demande de désigner l'autre comme manipulateur pervers afin d'obtenir réparation, ou si elle se concentre sur la volonté farouche de survivre à ce drame en sauvant sa peau et celle parfois de ses enfants.

Les juges ne connaissent pas forcément ce fonctionnement, comment démontrer que ces personnes savent manier les principes juridiques, mentir et reconstruire toute l'histoire?

Non seulement les juges connaissent rarement le fonctionnement manipulateur pervers, mais il en est de même pour les avocats, la Police, les services sociaux, les experts psychologiques … Pour réellement comprendre ce mécanisme il faut l'avoir vécu soi-même.

Ce sera le rôle de personnes comme moi et d'autres, ainsi que d'avocats sensibles à ces comportements pervers qu'il revient de démontrer la manipulation, et, pourquoi pas, d'attaquer le pervers sur son terrain.

En alliance avec son avocat, la proie du pervers narcissique, va trouver ses points faibles pour les exploiter avec justesse. L'une des personnes que j'accompagne a pu voir ainsi son bourreau partir en vrille devant le juge offrant ainsi la preuve par l'image. Mais ce genre de situation reste rare et demande une grande préparation. 

Le choix de l'avocat est essentiel dans ce cas de figure. Quels sont les risques de faire un mauvais choix, ou tout simplement avoir recours à l'aide juridictionnelle faute de moyens ?  

Il est vrai que le choix de l'avocat va être extrêmement important pour la réussite de l'affaire et qu'il n'est pas simple de choisir cette personne qui va détenir entre ses mains les cartes pour jouer l'avenir. Je parle volontairement de "jeu" car il y a tellement de paramètres qui vont s'engager, que la réussite va plus tenir du hasard que du contrôle.

Il est indéniable que la préparation psychologique de la victime va être l'un des paramètres déterminant pour cette lutte. Son comportement avec l'avocat choisi va également être important. Il ne faut pas confondre "avocat" avec "thérapeute". Chacun son métier, et, même si les avocats peuvent tout à fait se montrer compatissants et empathiques, ils ne sont pas là pour gérer les crises paniques et les actes inconsidérés qui pourront alors être posés. Ils ne peuvent matériellement pas lire et analyser les masses de mails que les victimes envoient. Ils n'ont pas qu'un seul client, et c'est parfois très difficile à gérer par les victimes qui prennent cela pour une mauvaise considération portée à leur souffrance.

Je pense même que c'est à la victime de "monter" son dossier, pour offrir à son conseil la meilleure situation pour l'analyser correctement et apporter une défense efficace. Mais pour cela, encore faut-il que la victime soit sortie de la panique et du piège du désir de revanche. 

Un avocat désigné par l'aide juridictionnelle (AJ) ne sera pas mauvais en soi, mais il ne sera payé que pour une poignée d'heures par procédure, alors même que l'étude et le plaidoyer d'un tel dossier en nécessite très grande quantité. Pour exemple, un divorce contentieux est payé 900€ que l'avocat ne touchera qu'une fois celui-ci prononcé, donc, après plusieurs années. Pour une procédure devant le juge des affaires familiales (JAF), hors divorce, il touchera à peu près 300€ en 2018.On ne peut donc lui tenir rigueur s'il ne peut offrir tout le temps nécessaire.

Alors oui, les victimes ne sont pas toutes égales devant la justice mais, si elles arrivent à apaiser la colère qui gronde en elles, si elles arrivent à recentrer le débat sur l'essentiel, et si elles ont un peu de chance aussi, elles peuvent, comme beaucoup, sortir grandies de cette terrifiante expérience de vie.

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