La guerre civile qui affaiblit l’Occident<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
La guerre civile qui affaiblit l’Occident
©LEON NEAL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

Voir la bio »
Londres, 
10 juin 2018
Mon cher ami, 

Ce que cache la comédie du sommet de La Malbaie 

Ce sommet des sept aura mérité son nom, « La Malbaie ». Samuel de Champlain avait ainsi désigné l’endroit, lorsqu’il y planta le drapeau français, en 1608, à cause de la vase qui encombrait la baie, la rendant difficile à la navigation. Sans doute, pour ne pas être prisonnier de la signification des lieux, Emmanuel Macron aurait-il dû prêter attention au nom de l’hôtel où se déroulait le sommet, le Manoir Richelieu. Mais votre président n’avait visiblement pas décidé de se placer dans la continuité de l’histoire de France. Ni l’évocation de Richelieu, ni la litanie des toponymes français, ni le souffle encore puissant du Général de Gaulle au Québec ne l’ont inspiré au point de lui faire adopter une position d’indépendance nationale lors du sommet. Là encore, il aurait fallu prêter attention aux symboles. Avez-vous regardé, mon cher ami, les armes de la ville de La Malbaie? On y voit un aigle couleur d’or, dont le chef est surmonté de trois fleurs de lys! Si cela n,’était pas une incitation à se placer du côté du président américain et progressivement devenir indispensable dans les relations internationales en faisant de la France  ce qu’elle est de par sa vocation historique, la grande médiatrice !  mais non, Emmanuel Macron a préféré rester partisan, solidaire de Justin Trudeau et des libéraux. 
Que le président français soit un libéral pur jus, à l’origine, qui le contestera? On est élu à la tête d’un parti. Pur produit de la haute fonction publique française ralliée à la « mondialisation heureuse »,  le président français a réalisé, lors de la campagne de 2017, le vieux rêve de Valéry Giscard d’Estaing: être élu au centre, sur un programme libéral et européen. Mais « le roi de France ne doit-il pas oublier les combats du duc d’Orléans? », selon la formule consacrée. Une fois élu, il faut prendre de la hauteur de vues. Votre président est aisément loué par vos médias pour sa présence sur la scène internationale. Mais à l’étranger - et de plus en plus en France - il commence à se murmurer que M. Macron n’obtient pas de résultats à la hauteur de l’énergie qu’il y met. A-t-il forcé Vladimir Poutine à faire quoi que ce soit? A-t-il obtenu que Madame Merkel fasse évoluer la vision allemande de l’euro? A-t-il modéré Donald Trump en quoi que ce soit concernant l’accord sur le nuclméaire avec l’Iran? 
Vous demandez-vous pourquoi? Il me semble que la raiuson en est assez simple: M. Macron ne donne jamais l’impression à ses interlocuteurs qu’il pourrait s’éloigner de la position libérale qui est la sienne. C’est aussi contreproductif avec MM. Trump et Poutine, qui ne voient pas que le président français soit  prêt à faire du chemin vers eux qu’avec Angela Merkel, qui se dit qu’elle n’a pas besoin de bouger puisque son interlocuteur ne sort pas, fondamentalement, du dogme monétariste et libre-échangiste auquel tient l’Allemagne. Au fond, c’est bien pour cela que le sommet de La Malbaie a fini en farce: Macron, Merkel, Trudeau, ont pensé pouvoir se payer la tête de Donald Trump et continuer à professer leur credo libre-échangiste au-delà de ce qu’ils avaient négocié pour un communiqué final, qui devait témoigner d’un esprit de compromis. 

Cette guerre civile qu’ont déclenchée les libéraux et dans laquelle ils s’acharnent

Il est extrêmement impressionnant de constater que les libéraux ne bougent pas d’un iota, depuis le Brexit et l’élection de Donald Trump. Loin de les conduire au réalisme, le basculement que connaît actuellement une partie de de l’Occident les pousse à plus d’idéologie. Regardez comme la Commission Européenne, avec le soutien de Madame Merkel, mène les négociations sur le Brexit dans un esprit punitif: il s’agit de dissuader un autre pays de sortir de l’Union Européenne - et a fortiori de la zone euro. C’est le même état d’esprit qui maintient beaucoup de dirigeants de l’Union Européenne et des grandes organisations internationales dans l’illusion que M. Trump puisse être « empêché »; ou qui les empêche de traiter avec le président russe. Il y a en l’occurrence quelque chose de religieux dans l’attitude de tous ces libéraux. Ils mènent une guerre des croyances. le libre-échange est pour eux un dogme, tout comme l’absence de contrôle aux frontières pour les personnes ou le droit absolu de transgresser les codes éthiques. 
Si vous voulez identifier de manièrte quasi-infaillible, qui est libéral et qui ne l’est pas, posez la question du droit à limiter la liberté d’expression. Il fut un temps où être libéral était synonyme de générosité et de liberté. Mais aujourd’hui, cela veut dire traquer les fake news, c’est-à-dire en fait interdire potentiellement toutes les idées et les déclarations qui pourraient mettre en danger la domination des libéraux sur les leviers du pouvoir et l’organisation de la société. 
C’est une véritable guerre - guerre civile à l’échelle de l’Occident, guerre à l’échelle du monde - que mènent les libéraux. Ils l’ont déclenchée au lendemain de la chute du Mur de Berlin. L’effondrement du communisme soviétique les débarrassait d’un ennemi, le socialisme; ils ont décidé d’écarter par la même occasion le conservatisme. Contre l’évidence de l’histoire en train de se faire (nation et démocratie avaient été unies dans la lutte contre l’oppression socialiste), les libéraux ont décidé de s’opposer systématiquement à une organisation du monde fondée sur la liberté des peuples et la libre expression du suffrage universel. Que l’on égrène la sinistre dérie des guerres d’ingérence américaines ou que l’on analyse en détail la construction de l’Union Européenne et de la zone euro, on croisera toujours les mêmes tendances: mépris religieux de la souveraineté des Etats, haine métaphysique des frontières, idolâtrie des droits de l’individu, croyance dans la toute puissance de la création monétaire occidentale. Les libéraux sont engagés dans une véritable guerre de religion; Et plus les faits viennent contredire leur dogmatisme plus ils intensifient le conflit qu’ils mènent contre leurs ennemis. 
Les années 2007-2009 ont marqué un tournant, dans la mesure où la finance libérale est venue se briser sur la réalité de l’économie mondiale. Qu’à cela ne tienne: les dirigeants libéraux ont accru encore la création monétaire à l’origine de la crise, en limitant simplement le cercle de ceux qui y ont accès; ils ont poussé les droits de l’individu à leur paroxysme en faisant adopter l’idéologie du genre comme une sorte de doctrine officielle; ils ont ouvert les frontières aux mouvements de personnes comme ils ne l’avaient encore jamais fait; ils ont piétiné plus que jamais la souveraineté des Etats qui résistaient aux dogmes libéraux et qui avaient le malheur de ne pas être assez gros ni assez puissants pour dissuader d’une attaque. 

De la riposte populiste à la reconstruction conservatrice? 

Mis en coupe réglée par le dogme libéral, les peuples se sont partiellement révoltés. A beaucoup d’endroits, des mouvements sont nés, qualifiés - ou plutôt disqualifiés! - de populistes par les libéraux, trop heureux de pouvoir enfermer l’opposition dans une caricature. Tels Monsieur Purgon chez Molière ramenant toutes les maladies « au poumon », les analystes libéraux n’ont cessé de crier « au populisme ». Trump? Un populiste! Le vote pour le Brexit? Un vote populiste! La Ligue du Nord ou le Mouvement Cinq Etoiles? Des partis populistes! Viktor Orban? Un populiste! Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon? Des ,populistes! Poutine? ......
Il s’est agi, bien entendu, d’une imposture intellectuelle. Ceux qui nous avaient expliqué contre tout réalisme qu’il fallait déclencher la guerre en irak, en 2003, pour voir la démocratie s’emparer du Proche-Orient; ou bien ceux qui nous avaient annoncé des millions d’emplois créés grâce à l’euro commencent seulement à devoir rendre des comptes. En sont largement responsables tous ces socialistes qui se sont ralliés au libéralisme par opportunisme après 1990; et tous ces conservateurs qui se sont laissés intimider par l’amalgame systématique entre l’amour de la patrie, le respect de la souveraineté, la défense des frontières, le souci de cohésion de la société, le respect du droit naturel d’une part, et « le fascisme » mis à toutes les sauces du terrorisme intellectuel d’autre part. 
Le socialisme a peu de chances dans le monde qui vient. d’abord parce que les spécimens encore existant - Corée du Nord, Cuba, Chine, Venezuela - sans que l’on veuille forcément les assimiler, ne donnent pas envie. Ensuite, parce que la révolution de l’information, et la maîtrise qu’elle procure à l’individu qui sait en faire le meilleur usage, conduisent inévitablement l’anti-libéralisme, s’il veut s’imposer, à faire toute sa part à l’individu. Enfin, parce qu’à l’âge de l’intelligence artificielle et des biotechs, le grand enjeu c’est la défense de l’humain contre tous les « meilleurs des mondes » que nous préparent les transhumanistes californiens ou les ingénieurs sociaux du parti communiste chinois. 
C’est bien pour cette raison que le parti conservateur britannique avait apparemment mis toutes les chances de son côté après le Brexit. Cependant, les tâtonnements de Madame May montrent bien le chemin qui reste à parcourir. Après un bon démarrage, quelle mollesse: tout devrait inciter à une nouvelle politique d’investissements industriels; au lieu de cela le gouvernement conservateur s’obstine à vouloir garder un accord de libre-échange avec l’UE. Tout devrait conduire Madame May à bien s’entendre avec Donald Trump; mais elle succombe à la terreur du « politiquement correct » et ne cesse d’afficher ses distances avec le nouvel hôte de la Maison Blanche. Un immense effort d’investissement dans l’éducation devrait être entrepris; mais notre Premier Ministre préfère s’engager dans une guerilla avec les universités sur le salaire des vice-chancellors. Alors que l’islamisme devrait être combattu avec la même détermination que le communisme autrefois - ne représente-t-il pas un mélange assez semblable de fanatisme idéologique et de subversion des sociétés où il cherche à s’implanter ? - Madame May fait refouler aux frontières ou arrêter des journalistes connus pour leur anti-islamisme sous prétexte qu’ils inciteraient à la haine. Tandis que tout devrait conduire Madame May à trouver une entente avec la Russie, grande puissance conservatrice, elle fait de la surenchère par rapport à Madame Merkel en termes de russophobie. 

Retour sur un sommet manqué

Mon cher ami, voulez-vous imaginer avec moi quelques instants ce qui aurait pu se passer à La Malbaie? Si Madame May était une Tory démocrate dans la grande tradition de Benjamin Disraëli l’Ancien et de Lord Randolph Churchill, n’aurait-elle pas dû imaginer de faire cause commune, au moins partiellement, avec Donald Trump? La question des tarifs douaniers n’est-elle pas essentielle à la réussite du Brexit? Pourquoi ne pas proposer à Donald Trump une relation commerciale privilégiée entre la Grande-Bretagne, le Canada et les Etats-Unis? Pourquoi ne pas essayer d’attirer le Japon, l’Italie  et la France dans une discussion constructive? Pourquoi ne pas appuyer Donald Trump qui voudrait rouvrir « le G7 » à la Russie? 
On ne demande pas à Theresa May d’être une nouvelle «Dame de Fer »; simplement de réussir la reconstruction conservatrice pour laquelle elle a été portée au pouvoir. Il ne s’agit pas qu’Emmanuel Macron, de libéral, devienne conservateur; mais qu’il contribue à la désidéologisation du libéralisme. La vérité, c’est qu’un consensus eût été possible à La Malbaie, appuyé par une majorité autour de la table: Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Japon, Italie. Ces cinq là auraient pu isoler Justin Trudeau et Angela Merkel s’ils s’étaient obstinés à défendre le système en place. 
Au lieu de répéter de manière pavlovienne que tout est de la faute de Donald Trump, les observateurs devraient identifier la vraie responsabilité: l’obstination des libéraux à féfendre des croyances et un système de plus en plus éloigné des réalités de l’économie mondiale et des aspirations des peuples. Et ils devraient mesurer les conséquences d’une division artificiellement - mais brutalement - entretenue de l’Occident. La Russie n’a pas d’autre choix que de se rapprocher de la Chine. Celle-ci se sent poussée à mettre en place, pour se protéger du libéralisme occidental, un système néo-totalitaire. Quant au monde arabo-musulman, ses dirigeants se sentent autorisés à continuer de louvoyer entre l’islamaisme qui les menace directement et « la rue » toujours difficile à convaincre.  Dans tous les cas, l’Occident, divisé par la guerre civile que mènent les libéraux contre leurs peuples, a du mal à se faire respecter dans le monde.  
Je vous souhaite une bonne semaine
Fidèlement à vous 
Benjamin Disraëli

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !