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La surchauffe de l’économie américaine est-elle la preuve que de nouvelles trente glorieuses sont possibles si on en s’en donne les moyens ?
©Pixabay

La croissance, ça ne se décrète pas... mais ça se travaille

Les derniers chiffres de l'emploi aux Etats-Unis, avec 223 000 emplois créés et un taux de chômage de 3.8% (soit le plus bas depuis 2000) et une hausse des salaires de 2.7%, ont pu surprendre par leur vigueur.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Les derniers chiffres de l'emploi aux Etats-Unis, avec 223 000 emplois créés et un taux de chômage de 3.8%, soit le plus bas depuis 2000, et une hausse des salaires de 2.7%, ont pu surprendre par leur vigueur. Selon Goldman Sachs, cette tendance devrait se poursuivre et un taux de chômage de 3.5% serait désormais à portée de main, soit un plus bas de 48 ans, mais également des hausses de salaire de 3 à 3.25%. Faut-il voir dans ces chiffres la réfutation de l'idée que les 30 glorieuses seraient derrière nous ? Faut-il y voir le résultat d'une politique économique ou s'agit-il de causes qui échappent aux pouvoirs publics ? 

Alexandre Delaigue : Tout d'abord, il faut nuancer ces chiffres en n'oubliant pas que le taux de chômage aux Etats-Unis est minoré par un taux d'activité -c’est-à-dire le nombre de personnes an âge de travailler qui travaillent effectivement- qui a du mal à récupérer son niveau d'avant crise. Ce sont des gens qui ne sont pas comptés comme chômeurs parce qu'ils n'essayent pas de travailler. Ce qui est préoccupant, c'est que cela touche beaucoup des jeunes, et en particulier la population masculine d'âges compris entre 25 et 35 ans, ou les taux d'activité ont du mal à redémarrer.

Néanmoins, cela reste quand même de très bonne conditions économiques et d'emploi mais qui ne sont pas inédites parce que cela ressemble en réalité au contexte de la deuxième moitié des années 90. Ce n'est pas tant un retour à la période des 30 glorieuses qui, comme leur nom l'indique, ont duré 30 ans, mais cela traduit le fait que l'économie américaine, quand elle se porte bien peut se retrouver avec un fort taux de croissance pendant longtemps, rattraper les circonstances liées à la crise et se rapprocher du plein emploi.

Ce qui a permis cette situation -si on veut faire la comparaison avec l'Europe- on peut constater que du point de vue de la politique économique, cela semble plutôt confirmer le fait que la politique monétaire qui a été menée a porté ses fruits. Elle a été extrêmement agressive et a consisté à éviter une crise de type 1929 d'abord puis à soutenir l'activité ensuite, en partant du principe que le risque inflationniste était très faible. On peut vraiment féliciter les présidents de la Banque centrale américaine depuis 2008 qui ont dans l'ensemble bien estimé la situation économique et ont eu le courage de mener la politique qu'il fallait mener, une politique visant à soutenir l'emploi d'abord sans avoir de craintes par rapport à de prétendues pressions inflationnistes.

Du point de vue de la politique du gouvernement américain, il n'y a pas grand-chose à dire de manière générale. Il y a eu un plan de relance que beaucoup d'économistes ont jugé un peu trop timoré au moment de la crise. Depuis, la politique budgétaire n'a ni été véritablement été du côté du soutien de l'activité ni particulièrement problématique. Ce que l'on peut dire, c'est que cela confirme ce que l'on appelle le consensus en matière macroéconomique tel qu'il prévalait dans les années 90, à savoir, la politique monétaire permet, si elle est bien menée d'atteindre le plein emploi et il n'y a pas de raisons d'imaginer que les choses soient différentes aujourd'hui.

Les États Unis ont pu créer 17.5 millions d'emplois depuis le creux de la crise atteint en décembre 2009 pour le pays. Comment a pu se démarquer la reprise américaine de ce qui a pu avoir lieu en Europe et en France ? 

En Europe, on peut noter plusieurs choses. D'une part, il y a eu un resserrement trop anticipé de la politique monétaire  au début des années 2010. Après deux ou trois ans pendant lesquelles on a fait du soutien -avec une politique monétaire expansionniste et un petit peu de politique budgétaire de relance- les banquiers centraux ont décidé d'arrêter tout de suite en disant qu'il y avait des menaces inflationnistes. Le résultat, c'est que la politique monétaire a subi un resserrement à contretemps par la Banque centrale européenne et dont nous avons payé les conséquences. S'y est ajouté une préoccupation pour l'austérité budgétaire qui a commence à ce moment et qui a été ensuite unifiée avec les différentes crises de la zone euro et pour lesquelles le seul résultat a été de rajouter des turbulences, et d'empêcher la Banque centrale de pouvoir avoir la politique qu'elle aurait du avoir. D'autre part des politiques budgétaires ont été beaucoup trop dans le sens de l'austérité.

Ce n'est qu'au moment du fameux "whatever it takes" de Mario Draghi que l'on a pu avoir un contexte de politique macroéconomique un petit peu moins mauvais que ce qui était auparavant, avec enfin une politique monétaire visant à soutenir l'activité économique. Mais, malgré cela, des politiques budgétaires trop restrictives et des déséquilibres importants au sein de la zone euro ont annulé une partie de l'effet de politiques favorables dans certains pays. Des politiques qui ont été inadaptées dans un certain nombre de pays ont produit une reprise économique qui a été probablement trop lente.

Dans le cas de la France, on peut dire que l'on se trouve un peu au milieu du chemin dans la mesure nous n'avons pas été victime de la crise comme ont pu l'être les pays d'Europe du sud, nous avons ensuite eu une reprise assez poussive.

Mais dans l'ensemble, ce sont des erreurs de politiques macroéconomiques qui sont à rechercher pour expliquer la situation en Europe ; avec le contexte de la zone euro, de ses déséquilibres internes qui ne sont pas résolus, et des politiques qui ne permettent pas vraiment d'apurer la situation, en particulier une union bancaire qui n'est pas terminée et qui empêche la résolution des problèmes bancaires. C'est ce que l'on voit en Italie par exemple. Bref, en Europe, ce sont vraiment des erreurs de politiques économiques qui expliquent cette situation.

Après, le contexte politique en Europe fait qu'il est difficile d'avoir des politiques économiques adaptées. La politique monétaire est contrainte par les oppositions entre deux tendances, une tendance plutôt restrictive et d'autres qui voudraient faire comme aux Etats-Unis. Et du point de vue des politiques budgétaires, le consensus s'établit toujours autour de politiques d'austérité. En ce qui concerne l'amélioration des structures de la zone euro comme l'union bancaire, dès qu'il n'y a plus la pression d'une crise de la zone euro, personne n'est très pressé d'améliorer les choses. Dans la zone euro, nous sommes structurellement dans une situation ou les politiques économiques sont moins bien adaptées qu'elles ne le sont aux Etats-Unis.

Dans quelle mesure de telles conditions pourraient-elles être atteintes au sein de la zone euro et en France ? 

Cela est assez compliqué. Cela nécessiterait dans un premier temps de changer l'orientation générale de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Il est assez clair que cela n'est pas quelque chose que l'on pourrait voir venir facilement. Cela nécessiterait aussi de modifier aussi les latitudes en matière de politiques budgétaires et là encore on voit mal comment les choses pourraient évoluer. Il y a d'autres éléments qui pourraient améliorer cela qui tiennent un peu au fonctionnement interne de la zone euro, comme faciliter la mobilité géographique pour permettre aux salariés des zones en difficulté d'aller dans des zones ou la conjoncture économique est un petit peu meilleure, mais beaucoup de structures de la zone euro ne le permettent que très difficilement.

Que cela soit du point de vue macro-économique ou du point de vue microéconomique, il est difficile pour l'instant dans la zone euro d'envisager que les choses puissent changer.  Il faudrait vraiment un gros changement dans l'équilibre politique de la zone euro pour que des mesures soient prises à la fois en termes de politiques macroéconomiques et de politiques structurelles pour que l'on se rapproche de ce à quoi ressemble l'économie américaine. Mais pour l'instant, nous en sommes loin, le blocage étant plutôt du côté politique.

Il ne s'agit donc plus d'un blocage politique que d'une "fatalité" économique ?

Oui, ce sont des choix. Avant de dire que cela est une fatalité, il faudrait déjà régler ces choix.

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