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Voilà comment se passe le douloureux jour où votre parent va devenir amnésique
©MARTIN BERNETTI / AFP

Bonnes feuilles

Lorsque Michel comprend que sa mère Geneviève, solide et truculente Gasconne, perd la tête, il décide de se faire le greffier de sa mémoire en fuite. Ce livre est la chronique pleine d'humour et d'émotion de l'année passée auprès d'elle à tenter de colmater les brèches. C'est l'histoire de "L’étrange et drolatique voyage de ma mère en amnésie" par Michel Mompontet, aux Editions Jean-Claude Lattès. Extrait 1/2.

"Appel MAMAN

Comme une minuscule secousse tellurique annonçant un tremblement de terre mon téléphone se met à vibrer.

Appel MAMAN. Appel MAMAN.

C’est elle et ça ne peut pas être elle.

La nuit est bien trop avancée pour qu’elle me téléphone si tard, nous ne nous appelons que le matin, toujours à la même heure, 9 heures, juste avant que je prenne le métro, juste après qu’elle a bu son café dans sa cuisine face à ses grands arbres et à son champ de maïs, et ce depuis quarante ans, sans presque aucun raté, elle et moi, rassurés, d’un monde à l’autre.

Mais cet Appel MAMAN à 23 heures, non. Qu’est-ce qui lui prend ?

Je décroche sans deviner que ma vie vient de basculer. On ne devine jamais ça.

Au début de la communication, je n’entends rien, si ce n’est un silence opaque, contre lequel mes questions s’enlisent, et puis un souffle résonnant dans mon oreille.

— Allô maman, c’est bien toi ? allô, allô ? allô ! Mais parle-­moi maman !

Mon attente, lourde comme un marécage.

— Je crois que je suis très fatiguée, très…

Sa voix, ce n’est pas sa voix. Ses mots, je ne les comprends pas. Je ne l’ai jamais entendue se plaindre. Je ne la reconnais pas.

J’ignore tout alors, de l’effort gigantesque, de volonté et de concentration, qu’il lui a fallu mobiliser, pour composer mon numéro ; j’ignore encore que, dans son état, c’est un exploit. Je suis à Paris où le printemps éclate, elle est à Dax, si loin, et vient d’entrer dans son hiver.

— Michel ? T’es là ?

Je suis à 727 kilomètres de ma mère.

— Mais que fais-­tu réveillée à cette heure-­ci ? As-­tu mal quelque part ? As-­tu appelé Roberte ?

À chacune de mes phrases elle répond un oui vaseux, et s’arrête. Au bout de cinq ou six minutes de monologue, une éternité, elle finit par réussir à assembler dans le bon ordre ces mots :

— Je crois que j’ai besoin de toi. Je suis si fatiguée…

— Je suis là maman, je suis là !

J’essaie de l’imaginer. Elle doit être assise sur le petit tabouret du couloir, contre la table du téléphone. Moi, je suis à Paris et demain je travaille.

— Tu ne pourrais pas me venir me voir ? S’il te plaît.

Ce « s’il te plaît » crie dans mon oreille, sirène d’alarme. Pour la première fois de nos vies, c’est elle qui m’appelle à l’aide et rien ne peut me désarçonner davantage que ce renversement. Mais qui au juste m’appelle ? Ça ne peut pas être Geneviève la forte, ni Geneviève la drôle, ni Geneviève la fière, l’éternelle Geneviève, ma mère ? Ce n’est pas elle au bout du fil. Je parle avec une inconnue."

Extrait de "L’étrange et drolatique voyage de ma mère en amnésie" par Michel Mompontet, aux Editions Jean-Claude Lattès.

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