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Le conservatisme culturel, croire en la supériorité éthique des valeurs traditionnelles
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Bonnes feuilles

L’image d’Épinal du conservateur nostalgique, réactionnaire, dont la pensée, comme toujours en deuil, ne semble tournée que vers le passé se trouve fortement remise en question par Roger Scruton, qui révèle l’étendue et la richesse insoupçonnée de cette tradition intellectuelle. Extrait de "Conservatisme" de Roger Scrutin, publié chez Albin Michel. 1/2

Roger Scruton

Roger Scruton

Agé de 72 ans, Roger Scruton est un philosophe anglais. Depuis 1993, il est professeur invité à plusieurs universités (Boston, Saint-Andrew, Oxford). Il a parallèlement créé une revue politique conservatrice, "Salsbury Review", qu'il dirige depuis 18 ans. Il a également écrit une trentaine d'ouvrages dont beaucoup sont consacrés à l'esthétique : Art and Imagination (1974), The aesthetics of music (1997), Beauty (2009); ou à la pensée politique conservatrice :  "A political philosophy : arguments for conservatism" et "The Palgrave MacMillar Dictionary of Political Thought" (2007).

Par ailleurs, il a écrit deux romans et composé deux opéras. Pendant la guerre froide, il a participé à la création d'université clandestines en Europe centrale. 

En 2014, il écrit " De l'urgence d'être conservateur". Traduit en français par Laetitia Bonard, spécialiste du conservatisme, ce livre a été publié en France  en 2016.

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Le conservatisme culturel

Beaucoup accusent le conservatisme de n’être qu’une œuvre habitée par la conscience de la perte, une traduction dans le langage politique de la nostalgie de l’enfance que chacun porte en soi. Et il est vrai que la prose de Ruskin peut accréditer ce reproche. Mais, heureusement, il n’est ni le seul ni même le plus reconnu des avocats du conservatisme culturel face à l’État et l’économie modernes.

Son contemporain Matthew Arnold (1822-1888), une figure centrale du conservatisme culturel, ne pensait pas que la foi dont dépend en dernière instance notre culture pouvait revivre sous la forme qui avait donné naissance au monde enchanté de la cathédrale gothique. Dans son grand poème, La plage de Douvres (1867)1, il parle de « la mer de la foi » et de « son rugissement, long et mélancolique », suggérant que les hommes de la modernité doivent mobiliser leurs propres ressources intérieures, notamment leur amour, pour sauvegarder la paix intérieure dont dépend la stabilité extérieure. C’est précisément pour cela, pensait Arnold, que nous devrions apprécier notre héritage culturel qui nous offre le savoir social dont nous avons besoin, que nous possédions ou non la foi religieuse pour le nourrir. 

Dans Culture et anarchie (1869) , Arnold définit la culture comme « la poursuite de notre perfection totale par le moyen de la connaissance, sur tous les sujets qui nous concernent le plus, de ce qui a été pensé et dit de meilleur dans le monde ; et, grâce à cette connaissance, le moyen de diriger un courant de pensée nouvelle et libre sur nos idées et nos habitudes toutes faites, que nous suivons, à l’heure présente, résolument mais mécaniquement, nous imaginant vainement que les suivre résolument est une vertu qui compense le tort que nous avons de les suivre mécaniquement ». Arnold considère que la culture et l’accès à celle-ci sont essentiels à la rectitude du pouvoir politique : sans la culture, il ne saurait y avoir de conception juste des fi ns de la conduite humaine ; seule s’exprimerait une obsession mécanique des moyens. Arnold critique ainsi un grand nombre « d’idées établies » du libéralisme et de l’utilitarisme du XIXe siècle, en particulier leurs visions matérialiste, rationaliste et individualiste du progrès humain. 

L’idée de liberté qui est au cœur de l’ensemble de la pensée libérale lui semble trop abstraite – « un très bon cheval à monter, mais pour aller où ? » – et dépourvue de fondement sérieux pour s’opposer, en son nom, à l’État. L’État est, selon Arnold, « le pouvoir agissant représentant la nation » ; il doit, par conséquent, pouvoir agir au nom à la fois de la liberté et de l’ordre. Sans cette exigence, la vie publique serait au service d’une seule classe sociale. 

Arnold distingue trois classes : les « barbares » ou l’aristocratie, les « philistins » ou la classe moyenne, la « populace » ou la classe laborieuse. Un État agissant au service exclusif de l’une d’entre elles engendre l’anarchie. Au sein de chaque classe se trouve cependant une volonté dévouée au bien commun, à l’ordre public, et hostile à l’anarchie : c’est cet esprit que la culture éveille, nourrit et approfondit. L’État, pour accomplir l’ordre politique, doit ainsi garantir la transmission de la culture ; cela implique que l’éducation des hommes soit aussi largement accessible que possible. 

Pendant une partie de sa vie, Arnold a été inspecteur de l’éducation nationale, notamment au moment, crucial, où l’État a mis en place le système d’éducation pour tous. Il pensait, comme son père, Thomas Arnold, célèbre principal du collège de Rugby, que l’ordre social dépend du « caractère », et que le véritable rôle de l’école est de forger le caractère. Pour Matthew, l’attitude utilitariste et technicienne des « philistins » – c’est ainsi qu’il désigne les propriétaires terriens, les capitaines d’industrie ou les bureaucrates – menace la traditionnelle harmonie sociale, dans la mesure où elle est responsable de l’érosion de ses valeurs intrinsèques. Une éducation digne de ce nom restaure le sens des valeurs en familiarisant les élèves avec « le meilleur de ce qui a été pensé et dit » dans le domaine des arts, de la littérature et des sciences de l’homme. Bien que le conservatisme d’Arnold reproduisît les réserves burkéennes à l’égard de l’individualisme et soulignât le sens de la pérennité des sociétés et des traditions dans des termes proches de ceux de Burke, sa véritable cible était moins le libéralisme que la croyance mécanique dans le progrès « matériel » et les valeurs utilitaristes de la nouvelle espèce de réformateurs sociaux.

Extrait de "Conservatisme" de Roger Scrutin, publié chez Albin Michel

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