Bloqués
La France, pays du chômage... et pourtant 6 entreprises sur 10 rapportent des difficultés de recrutement : voilà ce qui bloque vraiment
Le baromètre trimestriel Coe Rexecode et BPI France publié ce 15 mai a pu mettre en évidence le fait que 52% des dirigeants de PME estiment que les difficultés de recrutement brident le développement de leur entreprise.
Jean-Paul Betbeze
Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.
Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.
Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com
Alexandre Vincent
Spécialiste sur les questions relatives à l'investissement et au système de retraites.
Atlantico : Quelles sont les causes de ces difficultés ? Des problèmes de compétences à la rémunération, en passant par la localisation et les problèmes de logements induits, quelles sont les causes de cette situation ?
Jean-Paul Betbeze : Voilà des mois que l’on voit venir le problème français : le mismatching, autrement dit la non correspondance entre les offres d’emploi des entreprises et les capacités requises, l’inadéquation en français. Voilà des années que l’on alerte sur les lacunes de l’apprentissage, sur l’impréparation technique aux métiers industriels et serviciels, aux langues ou aux codes. On se lamentait alors, plutôt, sur la désindustrialisation, en se comparant à l’Allemagne et en se disant que le processus était inévitable. En même temps, les pouvoirs publics réduisaient enfin les charges pesant sur les entreprises (CICE), tandis que de son côté le chômage pesait sur les salaires. Bref, les marges se reconstituaient peu à peu, en même temps que la croissance s’accélérait en 2017.
Alexandre Vincent : L'une des raisons les plus basiques qui est aussi la plus fréquente (81% des cas) c'est l'absence de candidat. Pour être plus précis cette absence doit être interprétée comme une absence de candidats adaptés, ne présentant pas les qualifications et le niveau d'expérience requis. Quand on rentre dans le détail, ce sont ces deux critères qui ressortent. Dans 45% de cas, le candidat est inadapté et dans 26% des cas il manque d'expérience.
On voit que les problèmes de localisation qui fait obstacle dans certaines régions, mais le cœur du problème, ce sont bel et bien les deux premiers critères.
L'INSEE avait également pu mettre en avant un tel phénomène au cours de l'année passée, tout en montrant que la progression de ces difficultés étaient encore inférieures à celles rencontrées lors de la période 2000-2008, c'est-à-dire avant la crise, et ce qui n'avait pas empêché au baisse du chômage pendant cette même période. Que peut-on en apprendre sur les moyens utilisés par les entreprises pour faire face à ces difficultés ?
Alexandre Vincent : Face à ces difficultés, les chefs d'entreprise dans 55% des cas ont une première réponse d'urgence qui est de modifier leur mode de recrutement. Ils s'interrogent avant tout sur leur propre pratique de recrutement pour aller chercher là où peuvent se retrouver les candidats bien qualifiés. Ils doivent sortir de la routine, être plus innovant, passer d'avantage par les réseaux sociaux. Mais on voit bien que cette première réaction est insuffisante pour résoudre le problème.
Ce qui vient ensuite, c'est une externalisation des difficultés. On recourt d'avantage à l'intérim (30% des cas) et aux travailleurs détachés. Ou encore à des sous-traitants (21% des cas). Là aussi, nous avons à faire à une réponse très fréquente, mais si elle est individuellement rationnelle, elle ne permet pas de répondre à des problèmes de fond. D'ailleurs l'intérim lui-même est un secteur en tension sur ses recrutements. On déplace ainsi le problème sans le résoudre.
Une autre solution serait d'accroître la durée du travail des salariés en place ou de proposer des salaires plus élevés pour les postes à pourvoir (27% des cas). Mais ce sont des solutions qui vont tendre à mettre en place une mécanique inflationniste. Des solutions qui de faits sont des solutions micro, mais qui à l'échelle macro ne permettent pas de résoudre le problème.
Quelles sont les implications d'une telle situation en termes de politiques publiques ? Que peut faire le gouvernement pour aider les entreprises confrontées à une telle situation ?
Jean-Paul Betbeze : On comprend que les « barrières traditionnelles » ont baissé en importance, sans doute avec les nouvelles lois qui ont réduit les risques sociaux (coût et risque associés au licenciement) et avec les tentatives en cours pour simplifier l’activité économique. En fait, les entreprises citent (selon l’Insee) 2,8 barrières, mais elles sont groupées. Les barrières « réglementation » sont liées à celles du « coût du travail » et à la « situation économique » (incertitude), tandis que les entreprises qui se plaignent de compétences trop rares ne se plaignent en fait ni de normes, ni de salaires, ni d’incertitude économique. Elles avancent.
Alexandre Vincent : C'est une question de long terme, structurelle, que les pouvoirs publics abordent aux moyens de réponses au moyen long terme. C'est tout l'enjeu de la politique de formation sur laquelle le gouvernement entend mettre des moyens. Cela passe par un ciblage des filières en tension, par la revitalisation de pans entiers de l'enseignement qui ont pu être un peu délaissés. Les enjeux de cette formation sont souvent pour des postes de niveau de technicien très qualifiés (bac+2 +3). C'est là que sont les manques.
En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.
Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !