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Ce qu’Emmanuel Macron ne comprend pas à l’Allemagne
©John MACDOUGALL / AFP

Weiss es nicht

Jeudi, le chef de l'Etat français ne s'est pas montré tendre envers le voisin d'outre-Rhin, lors de son discours prononcé à Aix-la-Chapelle à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Atlantico : Emmanuel Macron, à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne a eu des mots inhabituellement durs, dont le fameux : « réveillez-vous, la France a changé ! » adressé à l’Allemagne ! Qu’en pensez-vous ?

Bruno Alomar : Sur la forme, c’est d’abord une faute diplomatique : se rendre en Allemagne pour insulter les Allemands et leur faire la leçon ! C’est aussi la démonstration d’une impatience et d’une frustration. Mais ceci n’est pas aussi étonnant qu’on semble le croire. D’abord, parce qu’Emmanuel Macron a fait de la rapidité de mouvement un élément tactique. C’est le cas au niveau international comme au niveau national. Ensuite, plus profondément, parce qu’étant le chef de l’exécutif français, comme Nicolas Sarkozy lors de la gestion de la crise des dettes souveraines, le Président français a naturellement tendance à s’exaspérer que Berlin ne décide pas aussi vite que Paris. Mais c’est bien comme cela que l’Allemagne a été rebâtie à dessein après 1945.

Sur le fond, il a doublement tort. Tort, car évidemment la France n’a pas changé. Elle a engagé des réformes, qu’on peut juger bonnes ou mauvaises, mais qui n’ont pas encore produit de changements substantiels : le chômage reste élevé, la compétitivité extérieure dégradée. Surtout, à l’aune des critères que la France elle-même a définis avec l’Allemagne il y a vingt ans (dette publique, déficit public), la France n’a pas changé. L’Allemagne, elle, a changé et les chiffres le montrent : elle est en excédent budgétaire, sa dette publique reviendra d’ici quelques semestres sous les 60% du PIB. Par ailleurs, la scène politique allemande d’après Deuxième Guerre Mondiale, largement du fait de la décision folle prise dans le domaine migratoire en 2015, dont on ne dira jamais assez combien elle a été un coup majeur pour l’Europe, est fracturée pour longtemps.

Emmanuel Macron a-t-il raison de brusquer l’Allemagne ?

Emmanuel Macron est le pur produit d’élites administratives et politiques qui ont vécu dans l’admiration de l’Allemagne, et disons-le, qui ont été complices - par leur absence de réaction et leur incapacité à mener des réformes  - de l’accroissement phénoménal de l’influence de l’Allemagne dans les institutions européennes. En ce sens, l’on est parfois surpris, y compris Outre-Rhin, que la France, créatrice de l’Europe, puissance diplomatique et militaire, tape du poing sur la table. Il faut plutôt s’en réjouir car l’on ne dira jamais assez cette vérité d’évidence, qu’Emmanuel Macron ne peut méconnaître et qui explique aussi son impatience : c’est l’Allemagne qui a le plus à perdre d’une éventuelle dislocation de l’Union européenne.

Pour le reste, c’est plutôt Emmanuel Macron qui rêve quand il regarde l’Allemagne. Il ne sait pas/ ne veux pas voir, sans doute les deux, ce que sont les allemands. Ceci se résume assez simplement.

D’abord, les Allemands, par culture et par construction institutionnelle, prennent les sujets avec plus de rationalité, et donc de lenteur, que nous-même. Pascal dirait que l’esprit de géométrie est plus fort chez eux que l’esprit de finesse. Ceci est fondamental : la crédibilité perdue par la France en deux décennies ne peut pas se reconquérir en un an ! Les Allemands attentent des résultats ! Or d’une part, ces résultats exigent du temps. D’autre part, l’Allemagne, et avec elle tous ceux qui veulent bien porter un regard froid sur l’état de la France, se rend à l’évidence : l’amélioration de la situation économique française tient largement à un effet de cycle, indépendant de l’arrivée d’Emmanuel Macron ; surtout, et c’est l’essentiel, tel l’éléphant au milieu du magasin de porcelaine, la France n’a pas attaqué son problème économique central : la dépense publique. Il y a urgence.

Ensuite, Emmanuel Macron bute sur une réalité brutale que personne ne veut voir dans les beaux quartiers parisiens : les Allemands, économiquement, sont de droite. Par-là, il faut entendre que la vulgate keynésienne qui est dominante en France et dans laquelle nos élites, y compris de droite, ou dites de droite, baignent, est minoritaire en Allemagne. Etre de gauche (SPD) en Allemagne, c’est penser que la monnaie doit être neutre et le budget en excédent. Cette réalité condamne le couple franco-allemand. Emmanuel Macron n’y peut rien. Pour l’Allemagne, l’Union européenne, en ce qu’elle est un lieu de construction de politiques économiques, est forcément de droite ! Le comprend-il ?

Il faudrait sans doute s’interroger sur les raisons d’une telle myopie vis-à-vis de l’Allemagne. Emmanuel Macron fait partie d’élites françaises, majoritairement de gauche, qui depuis 30 ans, instruits des nécessités économiques que leur ADN socialiste leur empêche d’avouer publiquement, voudraient que les français soient les allemands (discipline salariale etc.), et ont d’ailleurs vu dans l’euro un moyen d’y arriver en rendant impossible la dévaluation. Mais il connaît mal l’Allemagne, comme d’ailleurs la plupart des français. Il ne l’a approchée qu’au cours des réunions qu’il a eues comme sherpa de François Hollande : mais ce ne sont pas des discussions feutrées – surtout sachant son talent pour désamorcer la contradiction – dans un cadre diplomatique qui permettent de toucher vraiment la réalité de ce que sont les allemands. Emmanuel Macron n’a ainsi pas travaillé en Allemagne. Il n’a jamais travaillé avec des allemands, au même rang hiérarchique, expérience qui fait comprendre comment ils raisonnent : leur rigueur, l’importance essentielle qu’ils accordent à la règle de droit…parfois jusqu’à la paralysie. Il n’a au fond qu’une connaissance livresque, diplomatique, fantasmée de l’Allemagne – comme d’ailleurs de l’Europe, qu’il ne connaît pas vraiment. C’est aussi la raison pour laquelle il croit, à tort, que les élites allemandes sont capables de forcer la population allemande à renier son ADN en termes d’austérité budgétaire ou de neutralité monétaire, ce qui est une erreur fondamentale. Erreur faite par ses prédécesseurs, dont il ne se distingue finalement en rien.

Pourquoi Emmanuel Macron insiste-t-il autant ?

Pour de bonnes et de moins bonnes raisons.

Au rang des bonnes raisons, il y a évidemment une accélération de l’Histoire, dont chacun prend la mesure. Il y a aussi, peut-être, une véritable inquiétude de la part des autorités françaises concernant la zone euro. Les améliorations apportées au cours des dernières années (union bancaire, nouveau traité budgétaire) ont consolidé la zone euro. Mais ces changements sont limités. De deux choses l’une. Soit l’on considère que la question de l’euro est centrale et qu’une prochaine Grande Crise financière risque de l’emporter, et il est alors urgent de la consolider. Cela semble l’idée française. Soit l’on considère que la zone euro est, par nature, sous-optimale, et que la consolider exige d’abord et avant tout que les Etats se réforment, et alors l’urgence n’existe pas. C’est pour partie la position de l’Allemagne.

Au rang des mauvaises raisons, il y a la continuité d’évidence entre des Présidents de la République qui depuis François Mitterrand inclus voient dans la construction européenne le moyen de sans cesse masquer leur échec interne, ainsi que le supplément d’âme d’élites d’un pays qui a inventé l’Etat Nation et se sent coupable aux yeux du monde. Emmanuel Macron l’a redit au Parlement de Strasbourg, s’inscrivant délibérément dans les pas de François Mitterrand : le nationalisme c’est la guerre !

Quel regard porter sur Emmanuel Macron « l’Européen » ?

Il faut bien constater, quelle que soit l’opinion que l’on a au fond, que le « rêve européen » du Président français est brisé.

Aucune des avancées proposées depuis le discours de la Sorbonne n’est susceptible de déboucher sur quelque chose de concret dans les 2-3 années à venir. Il n’y aura pas d’approfondissement de la zone euro au sens institutionnel, autre que cosmétique. Les questions de défense européennes verront peut-être quelques progrès, mais somme toute limités.

En fait, Emmanuel Macron a sans doute pêché par orgueil. Il a cru sincèrement que son volontarisme européen, à l’image de ce qu’il a réussi à faire en France, permettrait de sortir l’Europe de l’ornière. Mais les problèmes de l’Europe se sont cristallisés au cours des vingt dernières années. L’affaiblissement du couple franco-allemand en un. L’incapacité à comprendre ce que sont et pensent les pays de l’Est et du Centre européen en est un autre. Emmanuel Macron, homme du « en même temps », de la fluidité, de l’ubiquité, connaît ses classiques mais pas Auguste Comte qui rappelait que l’Humanité est plus gouvernée par les morts que les vivants. Il faut espérer pour lui que dans son impatience il ne force pas l’Union européenne à des avancées trop brutales qui auraient pour effet paradoxal d’en précipiter l’effritement.

Alors que devrait faire Emmanuel Macron ?

Il ne semble avoir besoin de personne…

Au plan stratégique, comprendre qu’être « Européen », pour un Président français, c’est prendre acte du fonctionnement réel de l’Europe, des rapports de force qui le sous-tendent, et cesser de croire que cette Europe se dirige comme au plus beau temps du couple franco-allemand.

Au plan tactique, et c’est aussi peut être une explication de la verdeur de ses propos, perdu pour perdu, il faut sans doute, selon l’expression anglaise « put the blame on the germans », c’est-à-dire faire endosser à l’Allemagne la responsabilité historique d’avoir manqué de courage en refusant la main tendue de la France. En tous cas, la violence de ses remarques le 10 mai laisse cette option si ouverte qu’il faut bien imaginer qu’il l’a en tête…

Dans ce contexte, êtes-vous pessimiste pour l’Europe ?

Oui, car l’Union européenne est très malade. La Commission, que JC Juncker qualifiait lui-même de « Commission de la dernière chance », a, comme il fallait s’y attendre, échoué, et se termine dans le vaudeville avec l’indigne affaire Selmayr. L’esprit communautaire s’érode partout. L’Union européenne n’a aucune stratégie autre que son logiciel traditionnel : l’Europe n’a pas d’ennemis, juste des partenaires commerciaux qui s’ignorent. Qu’il s’agisse de questions migratoires, des rapports avec la Chine et l’Inde, de la génération perdue de ceux qui dans les pays du Sud de l’Europe ont eu vingt-cinq ans en 2008, l’Union européenne n’a pas de réponse. Et que dire du Brexit qui est un échec tragique de l’Union avant d’être une difficulté considérable pour le Royaume-Uni.

Non, car l’Union européenne n’a pas l’importance dans nos vies que les fédéralistes forcenés et les souverainistes enragés lui prêtent. L’essentiel des politiques économiques demeure entre les mains des Etats membres. Les différences de performance entre les Etat de la zone euro le montrent : on peut faire partie de la zone euro et avoir beaucoup ou très peu de chômage, des finances publiques en ordre ou en désordre, une compétitivité forte ou dégradée etc. Encore faut-il s’adapter et regarder l’Europe telle qu’elle est et ne peut qu’être, et non pas telle qu’on la fantasme.

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