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Entre grèves et ponts à répétition, faut-il craindre la facture du printemps 2018 pour la croissance ?
©ALAIN JOCARD / AFP

Sous le plage, les factures

L'impact des conflits sociaux et des ponts du mois de mai se verront plus en fin d'année. Même si certaines activités vont bénéficier de cette situation, l'impact sera négatif pour l'économie et pour l'image de la France alors que notre pays retrouvait un peu de son attractivité.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Alors que la croissance de ce premier trimestre 2018 s’est affaiblie par rapport au rythme constaté précédemment, comment évaluer l’impact économique du conflit social et des ponts du mois de mai sur l’économie du pays ?

Michel Ruimy : Les conflits sociaux et/ou les ponts du mois de mai auront vraisemblablement des conséquences sur l’activité des entreprises et donc sur leur chiffre d’affaires. Ce principe de base établi, il est toutefois pratiquement impossible de mesurer simplement leur coût. C’est pourquoi, il faut notamment s’appuyer sur des indicateurs indirects.

Parmi eux, il y a la production d’électricité qui présente l’avantage de refléter l’activité de l’industrie, grande consommatrice d’énergie. La perte de productivité représente aussi une bonne partie de la somme : quand les transports sont perturbés, les salariés qui n’ont pas la possibilité de faire du télétravail, arrivent plus tard au travail et repartent plus tôt. Un autre paramètre est la hausse de la consommation de carburant car le surplus va absorber des montants destinés à d’autres achats, ce qui va peser sur certains secteurs. Les problèmes d’approvisionnement et de trésorerie des PME jouent également sur la facture finale. Arrivent enfin les pertes de billetterie pour les entreprises de transport. Chaque journée de mobilisation coûterait 24 millions d’euros à Air France et 20 millions à la SNCF, un calcul qui prend en compte les billets non vendus et ceux à rembourser, mais aussi les économies réalisées via les salaires non-versés aux grévistes.

Mais, tous les secteurs ne sont pas égaux face à la grève des transports. Les industriels, gros consommateurs de fret ferroviaire, s’en trouvent fortement pénalisés, en particulier l’automobile pour l’expédition de véhicules en sortie d’usine, la sidérurgie, qui s’est construit historiquement autour du rail avec des convois très lourds notamment de matières premières et de combustibles, la chimie pour le transport de produits dangereux, le BTP pour son approvisionnement en granulats et autres matériaux de construction et même l’agriculture avec les céréaliers pour le transport de céréales vers les ports d’exportation… C’est loin d’être exhaustif puisque les professionnels du tourisme de loisirs et d’affaires font, eux aussi, grise mine. Après des années 2015-2016 pénalisées par les attentats terroristes et les grèves contre la loi El-Khomri, ils comptaient sur la bonne dynamique retrouvée en 2017. Au-delà de ces secteurs pénalisés, il en existe, malgré tout, quelques-uns gagnants comme les sites de covoiturage et les lignes de bus qui enregistrent des records de fréquentation.

L’économie française risque, en définitive, d’être impactée au second semestre : au niveau macroéconomique, l’impact dépendra de la durée et de l’intensité de la grève et, au plan microéconomique, il y aura vraisemblablement des impacts sectoriels et géographiques, qui pourront être très marqués et pénalisants pour les entreprises concernées. L’INSEE estime, en première approche, l’impact des mouvements sociaux sur la croissance à 0,1 - 0,2% du Produit intérieur brut (PIB). Quant à l’impact aux ponts, il faut le relativiser. Les effets du calendrier des jours fériés varient d’une année sur l’autre. En 2018, il y a 252 jours de semaine ouvrés, 1 de plus qu’en 2017. Malgré ce jour travaillé supplémentaire, le gain attendu sur la croissance est très limité. L’Institut l’estime à 0,02 point de PIB. Une goutte d’eau dans les 2% de croissance prévus en 2018.

Toutefois, le chiffrage de cet impact est difficile et ne peut se faire qu’une fois le mouvement terminé car il faut tenir compte notamment des effets de rattrapage. Concernant la consommation des ménages, y aura-t-il un rebond ? Sera-t-elle décalée ? Annulée ? Les mêmes questions se posent pour l’investissement des entreprises.

Quels sont cependant les aspects positifs qui pourraient apparaître, notamment en conséquence de la hausse des réservations dans le secteur du tourisme en raison des week-ends prolongés ? Un équilibre entre avantages et inconvénients est-il à prévoir ?

Avec 4 jours fériés qui tombent tous en semaine, le mois de mai de cette année a des airs de mois d’août. En posant 3 jours de congés ou de RTT pendant la semaine du 7 au 13 mai, les salariés ne travaillant pas le week-end peuvent s’offrir 9 jours de vacances. La différence avec les années passées est que ceux qui ont prévu de voyager en train ou en avion doivent jongler avec deux calendriers : celui des ponts et celui des jours de grève à la SNCF et à Air France. Un vrai casse-tête auquel la compagnie ferroviaire répond en garantissant que tous les trains ouverts à la réservation jusqu’au 15 mai circuleront, même les jours de grève.

Si ces jours de repos font le bonheur des salariés, ils ont aussi un impact réel sur l’économie de notre pays. En effet, ces jours fériés pourraient ne pas être si néfastes et pourraient même avoir des effets positifs pour certains secteurs (loisirs, tourisme, hôtellerie, restauration, certains commerces…) car l’économie française souffre, en grande partie, d’un problème de demande et non d’offre depuis la dernière crise financière. Ce problème pourrait être pallié notamment par ces jours fériés où les Français pourront consacrer plus de temps à consommer que lorsqu’ils sont au travail.

Néanmoins, les professionnels du tourisme, et plus précisément ceux du secteur des voyages, craignent les conséquences des grèves, qui ont déjà perturbé les vacances scolaires du mois d’avril. Tout d’abord, il y a les conséquences financières liées à l’impossibilité d’utiliser des prestations déjà payées (impossibilité de rejoindre le port de départ pour une croisière, circuit à l’étranger irréalisable en raison de l’annulation du vol Air France, annulation d’un voyage scolaire en train...) Ensuite, les réservations de vacances (prises de commandes) sont en baisse d’environ 20% par rapport à la même période de 2017. Enfin, l’attractivité touristique et économique de la France est fortement altérée (on organise ses vacances d’été en avril-mai et les arbitrages de voyages risquent de s’effectuer au profit de destinations jugées plus sereines que notre pays).

Au final, comme par le passé, ces ponts risquent d’avoir globalement des conséquences négatives mais limitées sur l’économie française. Dans ces conditions, cela nécessiterait-il, comme le MEDEF le demande dans son « petit livre jaune », abandonner 1 ou 2 jours fériés ? Selon l’organisation patronale, la suppression de 2 jours fériés, qui pourrait débuter en accolant certains jours fériés à des week-ends pour éviter les phénomènes de ponts, permettrait d’allonger la durée annuelle travaillée de 1,2 jour soit environ 1% de croissance et la création de 100 000 emplois supplémentaires.

Quels sont les autres facteurs de risques qui pourraient encore peser sur la croissance, ou les facteurs permettant un retour de l’optimisme pour ce printemps 2018 ?

Tout d’abord, il est beaucoup trop tôt pour évaluer ce que pourraient être l’impact sur l’économie française d’autant qu’il y a plusieurs estimations possibles. Si la mesure effectuée par l’INSEE est une bonne métrique, elle n’est pas toujours pertinente car elle ne prend pas l’ensemble des coûts. Par exemple, lorsque les Français se mettent à consommer plus de carburant du fait d’une grève des transports, ceci est enregistré comme un surplus de consommation, donc plus de PIB mécaniquement. Autrement dit, on compte comme étant favorable quelque chose qui, en réalité, ne l’est pas.

Une autre mesure est celle qui évalue le coût économique d’une grève en termes de bien-être et de dépenses contraintes (dépenses en carburant, coût écologique du transport routier, pertes d’heures de travail, pertes de productivité…).

Mais, au-delà de ces constats, c’est l’image d’une France instable qui refait surface au moment où elle retrouve une certaine attractivité : les relations sociales mettent très longtemps à s'améliorer… si jamais elles s’améliorent. Une addition invisible qui peut être la plus pénalisante, à terme, aux yeux des investisseurs étrangers.

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