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Pourquoi les Français sont nuls en économie (et voilà les données sur l’ampleur du problème)
©ERIC PIERMONT / AFP

Au piquet (de grève?)

Une étude réalisée par OpinionWay pour le Cercle Jean-Baptiste Say est sans appel : les Français n'y comprennent trop rien en économie. La bonne nouvelle étant qu'ils semblent vouloir progresser.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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François de Saint-Pierre

François de Saint-Pierre

Associé-Gérant chez Lazard dont il dirige l’activité de gestion privée, il est diplômé de Science-Po, où il a également enseigné. Il s’est passionné pour l’œuvre de Jean-Baptiste Say, dont il loue l’approche rationnelle, la vision et la pédagogie.

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Atlantico : Selon un sondage OpinionWay réalisé pour le Cercle Jean-Baptiste Say,  "les Français et l'économie, une soif de connaissances" 63% des Français regrettent de ne pas avoir les connaissances nécessaires pour comprendre. A ce titre, des questions posées aux Français concernant la croissance, les inégalités, ou la fiscalité, révèlent effectivement un décalage entre perception et réalité. Quels sont les domaines les moins bien compris par le grand public en matière économique ? Quels sont ceux qui pénalisent réellement la compréhension de la situation du pays et l'établissement d'un diagnostic ?

François de Saint-Pierre : Nous n’avons pas posé énormément de questions à cet échantillon, juste quelques questions que nous jugions illustratives. L’idée était de savoir où en étaient les Français par rapport à l’économie et la connaissance économique. La première découverte de ce sondage, et qui n’était pas forcément évidente, c’était que les Français s’intéressent effectivement à l’économie. Ils sont 63% qui disent s’intéresser à l’économie. Ce n’était pas évident, parce que dans notre pays, je croyais qu’on avait toujours cette considération un peu méprisante vis-à-vis de l’économie qui pousse à dire que l’économie c’est du comptable, que l’esprit français vole bien au-dessus de tout ça, que c’est ennuyeux, que c’est de l’intendance, cette tendance moraliste des Français en somme qui voit en économie l’affaire des « petits commerçants ». Et ce d’autant plus quand on connait le rapport qu’on entretient à l’argent. Mais bien à rebours de ce cliché, cette enquête montre que les Français ont de l’intérêt pour l’économie et regrettent de ne pas avoir les connaissances pour les comprendre. Et c’est le problème soulevé : les Français ont la sensibilité sur les enjeux mais en même temps ne se sentent pas capable de comprendre. Du coup, ils émettent une très grande attente vis-à-vis de l’éducation, que ce soit les hautes études, le lycée ou plus tôt, mais ils sont 89% à considérer qu’il faudrait qu’on y apprenne les connaissances de base. Ce qui est certain, c’est que pour la très grande majorité, l’économie qui leur a été enseignée n’a pas été retenue. Ils attendent qu’on améliore la pédagogie de la part de l’Etat, mais aussi de la part des médias et de la politique, et ce dans des propensions très large parce que c’est le cas pour 86% pour les deux. C’est un point important : il y a une sensibilité, une envie et une attente en matière de compréhension de l’économie. 

Une autre façon d’observer le problème a été de poser des questions précises au panel, et leurs réponses ont confirmé que les Français ne comprenaient rien en économie. On leur a demandé quelle était la croissance du PIB français par habitants entre 2007 et 2017, soit une information générale qui exprime l’évolution de l’économie française sur les dix dernières années. Et bien 70% d’entre eux ne savent pas, et n’osent même pas donner leur avis. Et il n’y a que 5% qui donnent la bonne réponse (et 20% se trompent). Et il y a 10% qui disent que cela ne les intéresse pas. On leur a posé la même question sur l’Allemagne, et on a obtenu le même résultat.

La réalité, c’est que le PIB/habitant en France a augmenté de 0,2% par an, soit 2%. Et qu’il a progressé de 10% sur la même période en Allemagne. On a décroché de 8% en une décennie, ce qui n’est pas rien. C’est une information d’autant plus importante quand on sait que sur la même période, notre endettement public a été multiplié par deux. 

On s’est aussi penché sur une « tarte à la crème » qu’on entend souvent en France et qui consiste à dire que les inégalités ont augmenté. D’abord, il faut poser les choses : de quoi parle-t-on ? Il y a les inégalités de patrimoine et les inégalités de revenu. Et il en est plein d’autres… Nous avons posé une question sur les inégalités de revenu. Les inégalités de revenu en France ne se sont pas accrues au cours des 10 dernières années contrairement à ce que tous les uns et les autres disent à la télévision, à la radio et dans les journaux. Nous avons pour cela pris une mesure - celle de l’OCDE - et il y en plusieurs, mais on préfère plutôt que de regarder ces données compliquées s’appuyer sur une idée générale qui est fausse. Nous sommes un pays de redistribution assez formidable, y compris un pays de redistribution entre le futur et le présent, puisque on s’est beaucoup endetté. Notre niveau d’inégalité ne s’est pas distordu comme cela a été le cas en Angleterre ou aux Etats-Unis ces dernières années. Encore une idée fausse à un moment important puisqu’on a l’impression qu’on a à la tête du pays quelqu’un qui veut vraiment réformer et remettre les choses à plat, et où on a besoin que les Français sachent dans quel état est le pays. Si le projet est de réduire les inégalités, je me rends compte qu’on se trompe, parce que cela ne répond pas à un problème réel. Et ce d’autant plus qu’on réduit beaucoup plus les inégalités quand on crée de la richesse que quand on n’en crée pas. 

Une autre question a été posée sur l’impôt sur le revenu, qui est très mal perçu, et ce même s’il n’y a pas un foyer fiscal sur deux qui paye l’impôt sur le revenu. Les Français ne connaissent donc pas son extrême concentration et son extrême progressivité. Et c’est un élément potentiel de risque, surtout quand on a 10% des foyers fiscaux qui payent 70% d’impôt sur le revenu, c’est une distribution assez particulière pour un des derniers impôts direct qui va disparaitre avec les derniers impôts à la source, et ce pour les salaires et pour les pensions. Avec la suppression de la taxe d’habitation, avec le fait que plus d’un Français sur deux ne paye pas l’impôt sur le revenu, ils peuvent penser que les impôts directs sont très faibles. La perception de cet impôt est donc biaisée, parce qu’ils ne perçoivent pas la charge fiscale qui pèse sur eux collectivement, et qui est très importante.

Alexandre Delaigue : Ce genre de sondage est un exercice récurrent. Chaque fois, le résultat est le même. Les français déclarent "vouloir connaître plus de choses en économie" et sont assez loin du compte lorsqu'on leur pose quelques questions macroéconomiques, et on en déduit qu'il faudrait améliorer leur information. Le problème est double. Premièrement personne ne va répondre dans un sondage "je m'en fiche de l'économie"! en pratique les gens ne s'informent pas beaucoup, malgré d'abondantes sources disponibles, et s'informent mal quand ils le font. Et préfèrent de beaucoup les sources qui les confortent dans leur point de vue que les informations qui dérangent leurs a priori.

J'ajouterai que souvent les questions de ces sondages sont mal posées. On pose des questions quizz en macroéconomie (croissance du PIB, etc) mais les réponses n'ont rien d'évident même pour des spécialistes! quand on parle de croissance, parle-t-on de croissance nominale, réelle, par habitant, etc... 

Les questions par ailleurs peuvent être tendancieuses et orienter les résultats. Ici par exemple on demande qui de la France ou de l'Allemagne a eu la plus forte croissance depuis 10 ans (en l'occurence, l'Allemagne). Mais depuis 20 ans le résultat est l'inverse! Que doit-on en conclure exactement? La connaissance économique est nécessairement contextualisée, elle a des limites. Si les gens connaissent peu d'économie, c'est aussi que cette connaissance est en pratique assez peu utile dans la vie de tous les jours, et que plutôt que s'encombrer le cerveau de statistiques, on a plutôt intérêt à aller les chercher quand on en a besoin! 

Autre biais, le biais pessimiste. Demandez aux gens comment l'économie fonctionne, vous aurez immanquablement des biais vers le négatif. c'est une caractéristique permanente en France!

Il y a enfin un biais cognitif classique dans ces études: le biais de projection, qui consiste à penser que les autres pensent comme nous et que les différences d'opinion ne peuvent s'expliquer que par des différences d'informations; si les autres savaient ce que je sais ils penseraient comme moi! mais c'est faux. 

Le domaine dans lequel le manque de connaissance est le plus dommageable est probablement celui des finances personnelles. Avoir des bases permettant de comprendre comment fonctionne un emprunt, des bases sur la gestion de ses propres revenus, c'est utile à tout le monde, mais ce genre de connaissance est peu diffusée. Elle est assez largement absente de l'enseignement et l'information fournie par les médias est de piètre qualité. Mais on préfère les grandes questions macroéconomiques qui sont liées au débat politique.

En se basant sur le contenu des débats économiques actuels qui peuvent être suivis par les Français, par les politiques, par les médias, quel est le décalage qui peut être constaté entre des questions sur-représentées par rapport à leur importance réelle, et celles qui sont sous-représentées par rapport à leur importance ? 

François de Saint-Pierre : D’abord il y a les questions qui sont mal présentées. Un exemple : celui du déficit public. Aujourd’hui on affirme en bombant le torse que c’est merveilleux parce qu’on passe à moins de 3% du PIB. Mais la réalité, c’est que le rapport entre le déficit public et le PIB ne dit rien seul. Ce qui est important, c’est que les recettes de l’Etat dans le projet loi finance, voté par nos députés, sont de 243 milliards et que les dépenses de l’Etat sont de 330 milliards. Cette loi a été voté malgré le fait que les dépenses sont 36% supérieures aux recettes. Et donc un déficit de 87 milliards. Et cela ne dérange personne. Il n’y a pas une entreprise, un foyer, un individu qui pourrait se permettre cela. Et comment faisons-nous cela ? En nous endettant. La question des 3% de PIB n’est donc pas présentée comme elle devrait l’être. Le problème, c’est qu’on ne peut pas rembourser 2300 milliards de dette que nous avons qui eux-mêmes gainèrent 45 milliards d’intérêts. Soit le budget de la défense nationale. Cela se compare à l’enseignement scolaire, qui est de 72 milliards. Dans l’enseignement supérieur, il y a 25 milliards. Il est aberrant de dépenser 45 milliards pour payer les intérêts et uniquement 25 pour les études supérieures. Et ce d’autant plus que ces 45 milliards, à la différence des Italiens ou des Japonais qui eux-aussi ont une grosse dette, nous les payons aux deux tiers à des étrangers, car ils possèdent plus de 60% de notre dette. On a donc 25 milliards qui partent à l’étranger - soit le budget de l’éducation nationale - chaque année. C’est ce genre de raisonnements qu’il faudrait avoir. Par exemple, si on voulait d’un coût de baguette magique rembourser la dette, il faudrait porter la TVA de 20 à 30% ou doubler l’impôt sur le revenu. C’est une présentation simple qui est autre chose que de se satisfaire d’un passage de 3% à 2,7%. Et c’est un vrai problème qui est devant nous, étant donné que nous payons aujourd’hui des intérêts très faibles, et que ces intérêts ne vont pas rester là où ils sont étant donné la reprise de l’inflation en Europe. Il y a un moment où cela viendra encore distraire la création de richesse par les Français. Il y a une urgence sur ce sujet-là. 

Cet enjeu de la dette publique est pas assez traité. Il regroupe tout. La souveraineté nationale vote ces déficits parce qu’ils savent que les Français n’accepteraient pas qu’on double leurs impôts. C’est bien qu’on est arrivé à un point de prélèvement obligatoire qui est maximal en termes de tolérance ou de compétitivité. Cette perte est liée au fait qu’on a financé cet état providence sur la production au lieu de le financer sur la consommation comme d’autres le font. C’est ainsi qu’on a perdu notre compétitivité et notre capacité industrielle. Et ça, c’est aussi un problème qui a été un peu évoqué, mais il faut bien avoir en tête qu’il y a une vingtaine d’années, l’industrie pesait à peu près 20% du PIB en France et 25% en Allemagne contre 10% en France et 21% en Allemagne aujourd’hui. Nous avons perdu la moitié de notre production industrielle en une dizaine d’année. Sachant que chaque emploi industriel génère entre deux et trois emplois de services, c’est dire comment cette désindustrialisation par perte de compétitivité vis-à-vis de la Suisse, de l’Autriche, l’Allemagne, des Pays-Bas - et pas vis-à-vis de la Chine - nous a mis en mauvaise posture. Et c’est aussi vis-à-vis de l’Allemagne dans le secteur agricole que nous perdons des parts. C’est que nous ne pouvons plus supporter les dettes publiques non financées de notre pays. C’est un sujet qui n’est pas tellement évoqué en ces termes-là. Nous ne mettons pas les choses en perspective. Notre problème, ce n’est pas seulement parce que le coût horaire est moins cher en Pologne ou ailleurs.

Alexandre Delaigue : On est obsédés par les questions ayant un impact sur le débat politique, et sur lesquelles il y a en réalité assez peu de consensus parmi les économistes. Est-ce que la privatisation du ferroviaire va réduire les tarifs? En pratique on ne sait pas, cela dépend de la forme prise, certains secteurs ont beaucoup bénéficié de privatisation et mise en concurrence, d'autres beaucoup moins. Bref, la réponse est "c'est compliqué et on ne sait pas à l'avance" si on veut être honnête. C'est la même chose pour beaucoup de débats économiques! De même, on a un débat permanent sur la fiscalité et ses effets globaux, alors qu'en réalité c'est essentiellement une question de répartition, de gains des uns par rapport aux autres. Mais ce n'est jamais présenté de cette manière, toujours sur le thème de "c'est bon pour l'économie" alors qu'en pratique on n'en sait rien. Il n'y a aucun moyen de savoir quel sera l'effet général de la réforme de l'ISF, mais au fond cela n'intéresse personne. Si on démontrait avec certitude que cela n'a pas bénéficié à l'économie (ou au contraire que cela a eu un effet) croyez vous que cela changera l'opinion de qui que ce soit?

De la même manière on parle très peu des politiques européennes, alors qu'elles ont un effet considérable en matière économique. On en reste à des aspects superficiels, mais ce n'est pas une spécificité du débat économique et cela vient de ce que les gens ne s'intéressent pas à ce qui pourrait aller à l'encontre de leur avis.

Dès lors, quels sont les enjeux permettant un débat "éclairé" concernant l'économie du pays ? Est-il possible de permettre un débat aussi sérieux que pédagogique, et éviter une inutile complexité ? Ou est-ce que ces débats sont voués à être réservés aux initiés ? 

François de Saint-Pierre : Je suis bien d’accord. Il y a d’un côté les experts en complexité, les économistes atterrés d’un côté, Jean Tirole qui se livrent à des joutes un peu stériles et de l’autre la caricature du discours politique qui consiste à dire que les riches paierons, qu’on aime pas les riches, qu’il ne faut rien changer à rien. C’est une question d’éducation qui s’explique par le fait, notamment par le fait que notre système de retraite soit un système par répartition. Dans un pays où le système de retraite se fait par capitalisation, les individus sont obligés de se projeter sur le long terme. Notre système de répartition est très horizontal, où on ne manque pas de perspectives temporelles. Evidemment on ne changerait pas les mentalités en passant à un système à capitalisation, nous sommes d’accord. Mais je crois qu’il y a un travail pédagogique à faire notamment sur la dette publique. Je pense que le gouvernement qui a oeuvré - chacun jugera - pour adopter une direction raisonnable, rien n’a été fait sur la dette publique. Cela relève des politiques, car la presse économique ne parvient pas aux oreilles des Français. Sur le service public, il n’y a rien à part Cash Investigation qui est une espèce de provocation systématique et qui n’apprend rien, qui ne fait que chercher des coupables. Tout cela est préoccupant. 

Alexandre Delaigue : On peut faire de la pédagogie économique, mais dès que les débats sont très passionnels, touchent à des questions au coeur de l'identité politique des personnes, ou peuvent avoir un effet important sur leur situation, il ne faut pas rêver, on n'ira jamais très loin. Le mieux est d'attiser la curiosité des gens, leur faire comprendre qu'il y a des choses à connaître et de les laisser libres de décider de s'informer ou non. Et cesser ce discours intimidant consistant à poser des questions de trivial pursuit auxquelles personne ne connaît la réponse, pour ensuite s'exclamer "vous voyez, les français sont nuls en économie, voilà pourquoi la France est foutue". Le point de départ d'une bonne pédagogie économique c'est le respect, ne pas prendre les gens pour des ignorants sous prétexte qu'ils pensent différemment. Ecouter, et essayer d'élargir la perspective et la réflexion. Cela ne va pas avec une médiatisation centrée sur la politique politicienne et l'actualité immédiate, mais on peut faire de bonnes choses et en cherchant un minimum, on peut trouver des informations de qualité.

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