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Sécurité des centrales nucléaires : la dérive anti-démocratique de Greenpeace
©FRED TANNEAU / AFP

Greenpeace part en vrille

L'ONG écologiste Greenpeace, connue pour ces actions coup de poing dans les centrales nucléaires, a porté plainte contre une députée LREM qui demandait l'autorisation du tirer sur les individus qui s'introduisaient illégalement dans ces sites sécurisés. Une offensive qui atteste de la candeur de l'organisation vis-à-vis du défi sécuritaire auquel la France a affaire dans un contexte de menace terroriste.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Le 22 mars dernier, à l’occasion d’un débat en commission parlementaire sur la sécurité des centrales nucléaires, la députée Perrine Goulet (LREM) a tenu des propos qui ont fait bouillir l’organisation écologiste Greenpeace : « Pourquoi nous ne ferions pas, un peu comme aux Etats-Unis, avec une sécurisation par mirador, et une possibilité effectivement de ne pas se poser de question, et quand il y a une intrusion, de tirer ». Concernée au premier chef par ces intrusions illégales dans les centrales, Greenpeace a aussitôt annoncé son intention de porter plainte pour « incitation au meurtre ». Un mois plus tard, c’est chose faite : l’organisation vient effectivement de passer à l’acte. On imagine que, s’il a fallu un moispour prendre cette décision, c’est que le sujet a dû susciterd’intenses débats internes. On comprend pourquoi : avec une telle plainte, n’y a-t-il pas le risque de se ridiculiser, ou pire de scandaliser ?

Le fait que Greenpeace ait finalement assumé de courir un tel risque incite à prendre au sérieux cette décision. Et effectivement, loin d’être folklorique, celle-ci en dit certainement long sur une certaine idéologie qui prévaut dans les cercles militants.

En disant cela, il ne s’agit pas de se lancer dans un dénigrement facile de Greenpeace. Quoiqu’on en pense, une association comme celle-ci a toute son utilité. Comme toutes les organisations engagées dans la défense d’une cause, Greenpeace peut apporter une voix, une manière de voir le monde, de poser les problèmes, et contribuer ainsi à la vitalité démocratique. Les tentatives d’intrusion dans les centrales sont évidemment très discutables, mais on doit admettre qu’elles ne sont pas en soi dénuées de tout intérêt : si on est optimiste, on retiendra qu’elles ont pu démontrer l’absence de véritables failles dans la sécurité des centrales (puisque les activistes ne sont pas parvenus à accéder aux endroits stratégiques ou sensibles), sinon on dira qu’elles ont permis de pointer les limites des dispositifs de sécurité, forçant ainsi les responsables à vérifier leurs protocoles, à envisager d’autres scénarios de crise, à trouver de nouvelles parades.Tout ceci n’est pas négligeable : aucun système de sécurité n’est infaillible et il est toujours bon de savoir se remettre en cause.

Le problème est cependant que les actions de Greenpeace ne sont pas menées dans un esprit positif et constructif. Le but des militants n’est pas de contribuer à améliorer ce qui existe :il s’agit juste de démontrer que le roi est nu, que la sécurité est illusoire, bref que les centrales doivent être fermées. Les opérations d’intrusion ne sont pas menées de bonne foi : elles relèvent d’une démarche engluée dans une vision idéologique dont la finalité n’est pas le progrès. Le but n’est pas d’engager un débat sur l’optimisation de la sécurité : pour Greenpeace, nul besoin de réfléchir sur la manière de contrer les éventuelles menaces. Les jeux sont déjà faits, il n’y a donc rien à discuter. Le nucléaire est un mal en soi, et ce mal doit être éradiqué. Il ne s’agit pas de chercher les solutions pour résoudre un problème, il s’agit de se débarrasser du problème.

Ce refus d’entrer dans une démarche constructive explique la virulence des réactions face à la proposition de Perrine Goulet. Le paradoxe saute ici aux yeux : Greenpeace entend montrer que les centrales ne sont pas sécurisées mais refuse la mise en œuvre de mesures draconiennes qui pourraient résoudre le problème. Pire : en décidant de porter plainte contre la députée de la Nièvre, Greenpeace confirme son manque de considération pour lesinstitutions démocratiques elles-mêmes. Car comment interpréter autrement cette volonté d’interdire à un député de s’exprimer dans l’enceinte parlementaire, instancedémocratique par excellence ? Que signifie cette volonté de censurer le débat là où celui-ci doit au contraire être le plus libre et le plus ouvert possible, y compris et surtout sur les questions qui concernent l’ordre et la sécurité ? On se doute qu’il règne, chez les militants de Greenpeace, un vieux fond de culture anarcho-contestataire hérité de Mai-68 qui les pousse à être spontanément allergiques envers tout ce qui touche à l’exercice de l’autorité. Pourtant, les questionsqui concernent l’emploi de la force sont parmi les plus essentielles pour un Etat, et la meilleure façon d’éviter toute dérive vers la tyrannie est précisément de faire en sorte que ces questions soient débattues et tranchées par le Parlement.

En temps ordinaire, cette posture de Greenpeace est déjà problématique en soi. Mais elle l’est encore plus dans le contexte actuel. En effet, par ces temps de menaces terroristes, le fait de s’insurger contre l’instauration de mesures sécuritaires dans les centrales nucléaires relève d’un déni de réalité qui confine à une forme de négationnisme. Comme le demandait la députée Perrine Goulet, qui s’est empressée de préciser qu’elle n’appelle évidemment pas à tuer des militants, ne doit-on pas s’attendre à ce que de malicieux djihadistes se fassent passer pour des militants écologistes, bénéficiant ainsi que l’indulgence de l’Etat ?

En refusant d’envisager ce genre d’éventualité, donc de prendre en compte le contexte terroriste, les militants de Greenpeace montrent que, pour eux,le monde n’a pas changé. La Bataclan n’a pas eu lieu, l’islamisme ne s’est pas imposé dans nos vies. A leurs yeux, il est encore possible dejouer à la gué-guerre avec les services de sécurité, de s’amuser à sauter en parachute sur les centrales, denarguer les autorités en leur criant « chat » sitôt l’opération réussie. Au fond, avec cette plainte, Greenpeace affirme qu’il est possible de continuer comme avant, que l’insouciance peut perdurer. Tel est le message résolument (et dangereusement) optimiste que semblent clamer aujourd’hui bon nombre de militants. Ne devraient-ils pas pourtant méditer ce slogan oublié de Mai-68,dont l’actualité paraît plus brûlante que jamais : « cours camarade, le vieux monde est derrière toi ».

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