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Après avoir promis une relance budgétaire, la grande coalition allemande réduit (encore plus) l’investissement public outre-Rhin
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

GroKo(nnerie)

Selon les annonces faites par le nouveau ministre allemand des finances, Olaf Scholz, remplaçant de l'emblématique Wolfgang Schäuble, ​l'objectif à horizon 2022 serait de parvenir à un endettement inférieur à 50% du PIB.

Xavier Timbeau

Xavier Timbeau

Xavier Timbeau est directeur du département "Analyse et prévision" à l'Ofce.

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Atlantico : Du côté des investissements publics, malgré des annonces qui avaient pu laisser entendre une progression de ce poste, les annonces font état d'une baisse, passant d'un total de 37.9 milliards d'euros en 2018 à 33.5 milliards pour 2022. Comment interpréter ce qui peut ressembler à un changement de cap par rapport à certaines annonces faites lors de la campagne ? Comment s'inscrivent de telles prévisions dans la perspective d'une réorientation européenne souhaitée par Emmanuel Macron ?

Xavier Timbeau : C'est assez spectaculaire. La coalition entre la CDU et le SPD a eu du mal a émerger. Le SPD avait obtenu le poste de ministre des finances, perçu comme le poste clef pour la stratégie économique et européenne de l'Allemagne. La France et Emmanuel Macron avait largement anticipé cette carte pour proposer un programme de réforme européen ambitieux et devant apporter une réponse concrète et constructive aux eurosepticismes qui caractérisent les extrêmes. Mais en fait, Scholz n'a pas caché un grand conservatisme et surtout, le compromis a été de conserver toutes les équipes du ministère des finances allemand en place afin d'assurer la continuité. L'accord de négociation a minimisé les avancées européennes et reste empreint d'une grande rigueur budgétaire. Ce qui se révèle aujourd'hui est très décevant pour la la France, puisque l'Allemagne ne cédera rien sur l'Europe et va s'en tenir à un statu quo critique du manque de rigueur de ses partenaires. Les déséquilibres du système de paiement TARGET II restent très commentés en Allemagne et sont toujours vécus comme une dette que leurs partenaires ont contractée auprès des Allemands sans leur dire et qui ne sera sans doute pas remboursées un jour. La doctrine Schauble qui impliquait que chaque pays devait faire le ménage chez lui d'abord et que la contribution de l'Allemagne vertueuse aux déséquilibres européens est une pure vue de l'esprit ou une mauvaise excuse. C'est un sérieux revers pour Emmanuel Macron qui se retrouve stoppé dans son programme de réformes européennes.

Du côté des Etats Unis, la question des excédents allemands a pu être mentionnée à plusieurs reprises par Donald Trump. En quoi un tel budget pourrait-il avoir des effets sur la situation ?

Donald Trump est préoccupé par le déficit courant des Etats Unis. Pour lui, une des causes de ce déficit considérable (480 milliards de dollars en 2016) est la manipulation de change. Hors, si le déficit commercial des Etats Unis est si grand vis à vis de la zone euro, c'est parce que la BCE manipule le taux de change et empêche, par sa politique monétaire non conventionnelle, l'appréciation de l'euro. Fort de ce diagnostic, celui d'une manipulation du taux de change, le président américain peut demander un certain nombre de mesures, à commencer par la fin du quantitative easing et l'appréciation de l'euro par rapport au dollar. Si cela n'ets pas fait, il pourra s'engager dans des sanctions commerciales, par des droits de douane par exemple. Non n'en sommes pas là, bien sûr, mais la pression va aller croissante. Le choix budgétaire de l'Allemagne conduira à décroître la dette publique allemande, mais également à augmenter l'épargne nationale allemande. Cela se traduira presque mécaniquement par un maintien de l'excédent courant allemand voire son augmentation. Les Allemands expliqueront que c'est dû à l'extrême compétitivité de leur économie, les Américains en concluront que l'euro doit s'apprécier. L'appréciation de l'euro fera deux victimes. D'une part cela diminuera la compétitivité des économies de la zone euro, dont celle de l'Allemagne mais surtout celle des économies qui n'ont pas un surplus phénoménal. Et puis cela dépréciera les actifs accumulés par l'Allemagne, contrepartie de l'excédent de sa balance courante et de son épargne record. Depuis une décennie l'Allemagne a accumulé plus de 30 points de son PIB en actifs et ses actifs ne sont pas en zone euro, puisque les autres pays de la zone euro sont presque à l'équilibre depuis 2010. Ces 30 points d'actifs seront directement dépréciés par une appréciation du change. Cette appréciation peut être de plus de 20%, c'est en tout cas ce qu'il faut pour résorber l'excédent courant de la zone euro, et ce sont presque 10 points de PIB de richesse que l'Allemagne perdra. Ce qui la poussera à continuer à épargner et entretiendra les déséquilibres à l'intérieur de la zone euro. Au final, c'est un puissant mécanisme pour faire éclater la zone euro.

Comment anticiper la situation économique de la zone euro, dans un contexte de ralentissement de la croissance constaté lors de ce premier trimestre, à l'aune des prévisions budgétaires allemandes ?

A court terme, ceci aura peu d'impact. D'autant que le canal de transmission de la politique budgétaire allemande n'est pas le canal direct de l'activité en Allemagne et de ses retombées sur les pays voisins. Ce canal existe, mais il est dominé par le canal de l'appréciation potentiel du change (euro dollar ou euro effectif), en lien avec les pressions américaines et la politique monétaire de la BCE. D'autant que c'est le poison des déséquilibres internes à la zone euro qui pèsera à la longue sur la viabilité politique et sociale de l'euro. Par exemple, si l'euro s'apprécie et que l'Allemagne continue d'accumuler des excédents, mais cette fois ci sur la zone euro, la pression sera forte sur les salaires et en particulier les salaires des moins qualifiés, ce qui implique un accroissement des inégalités. Mais si l'euro signifie plus d'inégalités, l'eurosepticisme trouvera de plus en plus de fondements et gagnera un poids de plus en plus fort sur la scène politique. Le ralentissement relatif du premier trimestre reporte la pression sur la BCE et nous permet de gagner quelques mois. Mais il n'est pas sûr que ces quelques mois permettront de bousculer le blocage allemand.

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