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Clientélisme, communautarisme et retrait de l’Etat : radioscopie de la situation catastrophique des villes de banlieue
©LUDOVIC MARIN / AFP

Seuil critique

Comme le canari signalant les coups de grisou dans les mines de charbon, la "démission ras-le-bol" de Stéphane Gatignon, le maire de Sevran, pourrait bien être le signal d’une alerte rouge dans les quartiers difficiles, où la République n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Antoine Jardin

Antoine Jardin

Antoine Jardin est chercheur associé au Centre d'études européennes de Sciences Po. Jeune docteur, il a soutenu sa thèse intitulée "Voter dans les quartiers populaires : dynamiques électorales comparées des agglomérations de Paris, Madrid et Birmingham" le 5 décembre 2014.

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Atlantico : Stéphane Gatignon​, maire de Sevran, a pu annoncer sa démission ce mardi 27 mars, en raison du manque de moyens attribués aux politiques publiques pour les banlieues. Au-delà des questions des moyens, comment décrire la situation actuelle de ces banlieues ? Quelles sont les situations concrètes auxquelles sont confrontés ces maires ? De l'évolution de la sociologie de ces villes, à la montée de l'Islam radical pointé également par Stéphane Gatignon, du communautarisme, de l'antisémitisme, aux problèmes de drogues, quel panorama des difficultés peut-on dresser ?

Antoine Jardin : Le maire de Sevran cherche ici à attirer l’attention sur la situation des banlieues, qui est largement passée au second plan de l’agenda politique. Cet élu avait déjà effectué une grève de la faim en 2012 pour soulever les difficultés budgétaires auxquelles font face les communes marginalisées. La situation sociale et économique des banlieues ne s’est pas améliorée au cours de la dernière décennie. Depuis la crise de 2008, elles ont été frappées par la montée du chômage et de la précarité. La légère amélioration de la situation économique nationale n’a pas eu d’effet significatif dans ces quartiers, notamment dans les banlieues des métropoles régionales ou des agglomérations ultramarines. Dans ce contexte, il est plus facile pour des entrepreneurs religieux ou identitaires d’apparaître comme une solution aux difficultés incessantes auxquelles font face les habitants depuis de très longues années, et ce en dépit des politiques publiques spécifiques dont bénéficient certains quartiers. Toutefois il serait trop rapide et réducteur de tracer une équivalence entre banlieue et communautarisme, banlieue et antisémitisme ou banlieue et drogue. Le sentiment communautaire et identitaire est fort dans plusieurs pans de la société française, l’antisémitisme n’est pas spécifiquement concentré dans les quartiers marginalisées et la consommation de drogue, notamment de cannabis, est très largement répandue  en France (au point d’entraîner un changement législatif à l’initiative du Ministre de l’Intérieur).

Du point de vue des habitants, comment a pu évoluer la situation au cours de ces dernières années ?

Pour les habitants des quartiers populaires, le sentiment de marginalisation est profond. L’absence d’amélioration économique et sociale tangible est perçue comme la conséquence d’un rejet par les institutions, les partis politiques et les personnalités politiques importantes. Nombreux sont les habitants qui oscillent entre un sentiment fataliste et un espoir de finir par dégager une perspective d’amélioration. Les politiques publiques engagées sont très longues à mettre en oeuvre, comme l’illustre les retards du métro du “Grand Paris Express”. La ligne 16 prévue pour désenclaver les communes du Nord Est de la Seine-Saint-Denis ne verra le jour qu’en 2024 au plus tôt, soit près de 20 ans, une génération, après les émeutes de l’automne 2005. Face à cette inertie, beaucoup d’habitants souhaitent quitter leur quartier pour rejoindre des espaces où il est plus facile de trouver un emploi qualifié, de poursuivre des études ou de bénéficier d’une prise en charge de ses enfants. La montée du djihadisme en France depuis 2012 a également provoquée une profonde angoisse dans beaucoup de familles qui craignent l’influence de la propagande islamiste et des réseaux terroristes sur leurs enfants et leur entourage.

Face à ces problématiques, quels sont les moyens dont les maires disposent pour faire face ? Comment en a pu évoluer la situation au cours de ces dernières années, dans un contexte budgétaire restrictif sur le plan national ? Dans quelle mesure ces maires peuvent-ils être considérés comme abandonnés ? En quoi certains maires ont-ils pu participer à une forme de "clientélisme communautaire" ?

L’action des maires est contrainte, au plan légal comme financier, par les procédures contractuelles avec l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine, et par la complexification des structures administratives locales (avec les EPCI comme la communauté urbaine ou la communauté d’agglomération). Le contrôle de ressources importantes n’est plus à la portée des pouvoirs publics municipaux. S'ils ne sont pas abandonnés, ils disposent toutefois de peu de marges de manoeuvre et les thématiques essentielles pour les banlieues sont quasiment inexistantes dans l’espace politique et médiatique. Par ailleurs, les évolutions économiques placent certaines municipalités dans une situation inextricable. C’est par exemple le cas lorsqu’une grande usine ferme comme le site de PSA à Aulnay-sous-Bois. L’angle de la sécurité reste l’approche la plus fréquente des difficultés de ces territoires. Il présente une ressource pour les élus locaux qui peuvent ainsi souligner que l’amélioration des conditions de vie est nécessaire pour faire face à l’influence des réseaux criminels. Mais il s’agit aussi d’une certaine stigmatisation qui n’envisage la situation des banlieues et le sort de leurs habitants que comme un problème. Cette approche a conduit à l’adoption de nombreuses politiques publiques spécifiques, alors que de nombreux élus, de droite comme de gauche, insiste sur l’importance de l’amélioration des dispositifs de droit commun. SI les banlieues n’ont jamais été des “territoires perdues” de la République comme le prétend une expression populaire, elles demeurent des territoires en marge des préoccupations politiques et de la solidarité nationale.

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