Déni ou aveuglement ? Le gouvernement semble oublier de s’attaquer à la (large) zone grise des complaisances envers le terrorisme<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Déni ou aveuglement ? Le gouvernement semble oublier de s’attaquer à la (large) zone grise des complaisances envers le terrorisme
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Il n’y a pas que le sécuritaire

Les annonces ont été nombreuses. Les analyses philosophiques profuses et très développées. Mais pour ce qui est de la mise en oeuvre d'un début de solution aux questions épineuses de déradicalisation ou de la zone grise, Emmanuel Macron est moins expansif.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

Voir la bio »

Atlantico : En février dernier, Emmanuel Macron annonçait se lancer dans la réforme de l'Islam de France afin de combattre la montée d'un islamisme politique et violent. Mais s'il a dressé un plan philosophique consistant sur l'esprit qu'il souhaitait voir défendu dans son action, qu'en est-il dans la pratique ? Comment aborde-t-il par exemple la question de la "zone grise", espace dans lequel on retrouve des soutiens informels du terrorisme par exemple ?

Guylain Chevrier : Tout d’abord, on ne peut que constater sur ce sujet comme sur d’autres, qu’Emmanuel Macron joue la politique des deux fers au feu. D’un côté, lors d’une rencontre avec les représentants des principaux cultes à l’Elysée, courant décembre, il a exprimé selon le président de la Fédération protestante de France (FPF) François Clavairoly, que le chef de l'Etat aurait fait montre d'une conception plutôt "ouverte" de la laïcité. "Il a dit : 'c'est bien la République qui est laïque et non la société, les cultes peuvent s'exprimer dans l'espace public'", qui pouvait être entendu comme un encouragement au communautarisme, les piétistes musulmans défendant pour cela justement que seul l’Etat est laïque et en dehors de lui, tout est permis. On sait combien la fermeture communautariste est contraire à notre vivre-ensemble et ferait voler en éclat la citoyenneté, l’individu de droit s’effaçant derrière des groupes religieux. La liberté de conscience de l’individu garantie par la loi ne s’arrête pourtant pas aux bâtiments publics. Il s’est aussi "interrogé de manière critique sur la radicalisation de la laïcité » pour se dire « vigilant là-dessus". Une appréciation à contre-sens plutôt mal venue. Quelques jours plus tard, le 4 janvier dernier, lors de ses vœux aux autorités religieuses, il exprime que, dans sa volonté de recomposition générale, il n’entend pas ignorer la laïcité. Il en a résumé le principe par cette adage: « la laïcité, oui, mais pas sans les religions ». On ne peut pas être plus dans la confusion quant à la laïcité.

De l’autre, il missionne Gilles Clavreul sur celle-ci, l’ancien préfet à la tête de la Dilcra, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT, sous le gouvernement précédent, proche de Manuel Valls, qui est tout sauf favorable à la laïcité dite « ouverte ». Il livre un document explosif qui fait état de nombreuses dérives identitaires et de remises en cause de la laïcité et préconise des mesures fortes. Il souligne la contestation des valeurs républicaines, et le non-respect des exigences minimales de la vie en société, particulièrement dans les quartiers prioritaires et là où existe une forte présence de population musulmane, avec en toile de fond des troubles qui sont majoritairement le fait d'un «islam rigoriste voire radical», mais aussi de la radicalisation d’autres courants religieux, «catholiques intégristes», «évangéliques et juifs orthodoxes» Il met donc en lumière les failles du respect du principe de laïcité dans certains territoires. Un diagnostic qui devrait inspirer au Président de la République une toute autre posture que celle qu’il affiche vis-à-vis des rapports qu’entretiennent les religions avec la République.

D’autant plus que ce rapport arrive en amont d’un plan de lutte contre la radicalisation du gouvernement plein de bonnes intentions et de propositions, publié le 23 février dernier, qui parle de développer un « contre-discours » et de « prémunir les esprits contre la radicalisation », de formation de tous les acteurs de terrains qui peuvent y jouer un rôle... Pour autant, on n’y trouve rien de clair sur le contenu de ce contre-discours, et comme Gilles Clavreul le souligne au début de son rapport : « Force est de constater qu’il n’y a pas de consensus sur la définition et la portée de la laïcité, » Il ajoute même que la dynamique de ces dernières années en a été affectée et que les valeurs de la République sont en recul sur notre territoire. Ce qui devrait attirer de façon sérieuse l’attention du Président de la République, d’autant plus au regard d’une évolution qui veut que nous soyons passés en quelques années, d’un millier de radicalisés à environ 20.000 selon les chiffres de ce Plan de prévention de la radicalisation. Aussi, ce qui fait principalement problème, c’est bien cette absence de définition claire de ce dont l’Etat et les partenaires associés à cette démarche de prévention de la radicalisation, entendent défendre comme contenu et sens. Définir cela donnerait déjà une indication sur les intentions du chef de l’Etat.

Notre Président ne cesse de donner des signaux brouillés à notre société et « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » dirait quelqu’un. Il y a mille canaux par lesquels on se fait subventionner par l’argent public pour faire du prosélytisme, comme ce cas d’une association de vacances se faisant financer par des bons Caf donnés aux familles modestes, qui a été repérée comme proposant des séjours à caractère religieux et prosélyte. Mais quels moyens existent aujourd’hui de contrer ce genre de dérive, sinon en s’y attaquant par la loi ? Il existe tout un milieu associatifs pseudo-culturel et en réalité cultuel, oeuvrant à la radicalisation religieuse, qui n’a pas pour l’instant à être inquiet et peut compter sur cette zone grise, qui va avec le flou du discours, qui lui laisse largement les mains libres.

La philosophie du "en même temps" masque-t-elle une absence de vision politique ou une certaine démission de la part du Président de la République ?

Cette stratégie qui consiste à jouer sur tous les tableaux, ne lui a pas trop mal réussi, que ce soit dans sa conquête du pouvoir ou sa façon de gouverner jusqu’à alors, sur différents thèmes. Mais sur ce sujet-là, il en va tout autrement, rien de moins que de notre paix civile.

Pour l’instant ce qu’il semble, c’est que la voie choisie soit celle d’un aménagement de la laïcité, très proche d’un Nicolas Sarkozy, consistant à donner aux religions un rôle d’encadrement en pensant pouvoir mettre celles-ci sous des conditions qui les rendraient politiquement maitrisables. Ceci, à l’image de la proposition de Gérard Collomb, ministre de l'intérieur, d’installer auprès de lui « une instance dite « informelle » « de dialogue et de concorde entre les autorités des principaux cultes ». Ce mélange, entre l’Etat et les religions, contraire à nos institutions, ne peut qu'inquiéter, d’autant plus qu’il se fait sous le signe d’une volonté » d’accompagner la structuration de « l’islam de France ». Pour en faire quoi ? La Fondation pour l’islam de France n’est pas à écarter, mais si elle est fondée sur ce biais, elle risque de ne pas mieux faire que le Conseil français du culte musulman (CFCM) qui a été une catastrophe. On a fait voter nos concitoyens de confession musulmane dans les mosquées pour leurs représentants, une instance peu représentative (9% des musulmans) alors que cette instance n’a jamais joué franc-jeu avec nos principes communs tout en victimisant à outrance l’islam, encourageant le port du voile comme prescription religieuse, pour participer finalement du découragement à adhérer à nos principes républicains, sinon à les considérer avec défiance.

Gilles Clavreul dans son rapport fait des propositions essentielles pour tenter d’endiguer ce mal de la radicalisation religieuse: 1-Conditionner le soutien de l'État (subventions, emplois aidés) au respect de la laïcité  et à l'engagement de respecter et promouvoir les valeurs républicaines. 2- Former tous les agents de l'État à la laïcité «d'ici à 2020» ainsi que les publics à former en priorité, à savoir «les adultes-relais, les membres des conseils citoyens, les éducateurs sportifs, les intervenants dans le secteur périscolaire, les professionnels de la petite enfance, les acteurs de la prévention spécialisée, les agents du service public de l'emploi, ou encore les personnels de la fonction publique hospitalière». 3 - Intégrer la laïcité dans les épreuves du BAFA ainsi que de «conditionner l'agrément des centres de formation au respect de cette exigence». 4 - Cartographie des «situations problématiques», avec la mise en place «au niveau national, de diagnostics fiabilisés des incidents relatifs à la laïcité, à la contestation des valeurs républicaines, et au non-respect des exigences minimales de la vie en société». 5 - Établir un «corps de doctrine» sur les «atteintes à la laïcité» en «transformant» les Comités opérationnels de lutte contre le racisme et l'antisémitisme (Cora) en «comités départementaux pour la laïcité pour la promotion de la laïcité et des valeurs de la République».

Nous verrons à l’aune de la prise en compte ou non de ce diagnostic et de ces propositions, ce qu’il en sera de la volonté du président de la République de sortir d’un jeu qui consiste, en  permanence, à souffler le chaud et le froid, a dire à chacun ce qu’il veut entendre pour avoir les mains libre en adaptant son discours aux circonstances et faire ce qu’il veut.

Comment interpréter la nomination d'une personnalité contestée telle que Yassine Belettar au Conseil présidentiel des Villes, après celle de Rokhaya Diallo au Conseil numérique ? Qui Emmanuel Macron décide-t-il d'écouter ?

On est en pleine discrimination positive. Cette attitude précède celle de la mise en place de quotas. On envoie par là un message très inquiétant à notre société tout à fait contraire à la laïcité, en faisant le choix par là d’une sorte de reconnaissance  à un droit de représentation selon sa différence. De plus, à des personnalités très controversées car en butte avec nos valeurs, de Rokhaya Diallo accusant en permanence, jusqu’à l’ONU comme ambassadrice de la France, notre pays d’être gouverné par un « Etat raciste », à Yassine Belettar qui n’hésite pas à dire dans l’un de ses spectacles, "Je ne suis pas Charlie, je ne suis pas Nice. Je choisis mes deuils" ou défend Edwy Plenel après sa mise en cause par Riss dans Charlie Hebdo au regard de sa complaisance pour l’islamiste Tariq Ramadan interprétée par le responsable Médiapart comme «une campagne plus générale (...) de guerre faites aux musulmans ».

Lors d’une longue interview à Challenges en octobre 2016, lorsqu'il n'était encore que candidat, il critiquait notamment le "laïcisme", une "conception étriquée et dévoyée de la laïcité qui dénote à la fois une insécurité culturelle profonde et une incompréhension historique de la France". Une déclaration qui reste très inquiétante au vu de ce qu’il met en place. L’orientation actuelle semble aller ici dans le sens d’une société duale, avec d’un côté un Etat dont la laïcité est censée être respectée mais en la faisant dériver vers la notion de « liberté religieuse » chère aux anglo-saxons, c’est-à-dire l’égalité de traitement des religions au lieu de l’égalité de traitement des individus quelles que soient leurs opinions et croyances, et de l’autre, une société civile ouverte aux communautés, avec des religions désignées comme instrument d’encadrement des populations où on leur laisse sous ce contrat toute liberté.

Remettons-nous en mémoire les déclarations de Patrick Kanner, ministre de la ville du précédent gouvernement,  au lendemain des attentats de Bruxelles, en mars 2016, qui  a estimé qu'une «centaine de quartiers en France» présentent des «similitudes potentielles avec Molenbeek» Il citait la villes de Trappes qui a vu le plus grand nombre de départs pour la Syrie. L’histoire nous dira la suite de ce constat, au regard duquel le président de la République a toute sa responsabilité d’engagée.

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Terrorisme : l’Etat islamique, l’UOIF et la zone grise de la passivité...Comment la repentance anti-occidentale est devenu le moteur psychologique et idéologique du totalitarisme islamisteEntretien avec un ex-djihadiste pas comme les autres : David Vallat, des gangs islamistes de Lyon à la prévention de la radicalisation en passant par la case prison…

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !