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Comment ne rien céder aux nouveaux identitaires et autres jeteurs d’huile sur le feu des fractures françaises sans tomber dans le piège d’une surenchère d’hostilité ?
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Politique

Des indigènes de la République à Rokhaya Diallo en passant par Yassine Belattar, le Bondy Blog, le CCiF, Caroline de Haas ou Danièle Obono, les voix qui mettent la France et ses structures à l’index au quotidien ne manquent pas et trouvent un écho médiatique et sociologique puissant. Ce qui se passe aujourd’hui avec l’occupation de la Basilique de Saint Denis par la France insoumise et des associations d’aide aux migrants -allant jusqu’à interrompre une messe- souligne une fois encore ces stratégies de pompiers pyromanes en provoquant -et recherchant délibérément- des réactions.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Des indigènes de la République à Rokhaya Diallo en passant par Yassine Belattar, le Bondy Blog, le CCiF, Caroline de Haas ou Danièle Obono, les voix qui mettent la France et ses structures à l’index au quotidien ne manquent pas et trouvent un écho médiatique et sociologique puissant. Pourtant sous couvert de combat « généreux » contre les discriminations, la mécanique est toujours la même : dénoncer le racisme, l’islamophobie, l’homophobie, le sexisme supposés de la société française en tentant de nier la légitimité d’un bon nombre de leurs interlocuteurs puisqu’ils ne sauraient trouver leur place dans une société démocratique en étant coupables de tous ces crimes de pensée dont on les accuse (racisme, islamophobie etc...). Quand le CCIF tente de créer une équivalence entre le terrorisme et les laïcs même intransigeants, quand l’humoriste et conseiller d’Emmanuel Macron Yassine Belattar accuse Céline Pina de vouloir la mort des musulmans parce qu’elle a critiqué sa nomination au Conseil des villes et qu’il insulte tout le monde à tour de bras tout en étant nommé malgré tout, quand l'Éducation nationale intègre des idées issues des études de genre ou que la lutte contre les inégalités salariales H/F perd tout sens de la réalité, c’est tout un équilibre social qui est remis en cause puisqu’ils rendent le débat et même les diagnostics des maux de la société française impossibles. C’est un peu ce qui s’est passé aussi sur le #BalanceTonPorc et on l’a très bien vu avec la violence des réactions au moment de la tribune dans Le Monde défendant la liberté d’importuner. Le sort réservé à Brigitte Lahaie traitée comme une quasi folle criminelle pour avoir évoqué la complexité des réactions physiologiques et mentales lors d’un viol alors qu’elle se bat pour aider les victimes de violences sexuelles depuis des années était parfaitement révélateur de cette volonté de disqualification de tous les obstacles à ces nouvelles causes qui cherchent à s’imposer. Ainsi que de la petite perversité qui se dégage d’un système médiatique ayant besoin de clashs à répétition. Ce qui se passe aujourd’hui avec l’occupation de la Basilique de Saint Denis par la France insoumise et des associations d’aide aux migrants -allant jusqu’à interrompre une messe- souligne une fois encore ces stratégies de pompiers pyromanes en provoquant -et recherchant délibérément- des réactions comme celle de Marine Le Pen : « En appelant des #migrants à profaner la Basilique Saint-Denis, nécropole de nos rois, "La France Insoumise" et l’extrême-gauche démontrent que, dans leur folie immigrationniste, ils sont prêts à piétiner notre civilisation et à profaner un lieu de culte historique. Indigne. » ​

Quelles sont les stratégies ici à l'oeuvre ? Quels sont les objectifs visés du point de vue du débat public ?
Christophe Boutin : Les exemples que vous donnez découlent des stratégies classiques de la gauche et de l’extrême gauche, et l’on pourrait s’amuser à remonter… à la Révolution française. Le camp du Progrès, c’est-à-dire celui du Bien, du Vrai, du Juste et du Beau a systématiquement mis en œuvre une politique mêlant pression médiatique (que l’on se souvienne de l’ordurier Père Duchesne de Hébert), agression dans les débats (l’Assemblée tentant de légiférer sous les cris des « tricoteuses »), mort politique des opposants (les Girondins obligés de quitter Paris pour se réfugier en province) voire exécution pure et simple (avec l’image de Boissy d’Anglas, présidant la Convention, s’inclinant devant la tête du député Féraud, qu’une foule haineuse lui présentait au bout d’une pique). On doit rappeler que c’est seulement sous la monarchie parlementaire, celle de la Restauration et de la monarchie de Juillet, que les bases de notre système politique, avec des débats régulés et respectueux entre majorité et opposition, ont pu être mises en place.
À cette violence haineuse de minorités aigries va s’ajouter une désinformation pratiquée comme un art par les différents marxismes, et dont on a pu penser qu’elle avait connu son acmé au XXe siècle avec le communisme, quand L’Humanité nous vantait la bonté du « petit père des peuples » ou que les maoïstes français évoquaient la presqu’excessive douceur avec laquelle on rééduquait au pays du Grand Timonier. Hélas, la disparition des grands régimes communistes n’a en rien changé les choses. Les médias – journaux puis radio, télévision enfin – imposent dans nos démocraties un langage largement biaisé, comme l’a parfaitement démontré Ingrid Riocreux dans La langue des médias.
Aujourd’hui comme alors, les objectifs des « minorités agissantes » sont clairs : d’abord, interdire qu’un débat public ne puisse avoir lieu sur certaines questions, en les occultant purement et simplement ; ensuite, focaliser ce débat sur des questions auxquelles on apporte en masse, saturant l’espace médiatique, des réponses à sens unique, jouant si possible sur l’émotion et le compassionnel, des réponses qui conduiront finalement le législateur à valider des choix minoritaires.
Il s’agit pour ces minorités, comme sous la Révolution, de « stupéfier » la majorité par la violence comme en imposant la perte de tous les repères (le « bon sens » n’ayant guère droit de cité dans les argumentaires des catégories que vous citez). Que cette politique ait été successivement menée par des acteurs politiques ou médiatiques au nom du « peuple », des « travailleurs », des « exclus », ou de ces nouvelles catégories qu’une extrême-gauche, bien peu en phase avec un prolétariat français qui vote massivement pour le Front National, utilise de nos jours pour prétendre exister, ne change rien.

Vincent Tournier : Les stratégies suivent à peu près le même schéma et relèvent de ce qu’on appelait autrefois l’agit-prop, autrement dit l’agitation et la propagande. Ces stratégies ne sont pas forcément coordonnées entre elles (quels sont notamment les liens exacts entre Yacine Belattar et le CCIF ?), mais elles s’inscrivent toutes dans la même logique : il s’agit de dramatiser la situation, de caricaturer en opposant les dominés et les dominants, de dénoncer l’hypocrisie et la méchanceté de la population majoritaire. Si ces discours radicaux peuvent se déployer aussi facilement, c’est parce qu’ils bénéficient d’un contexte favorable. Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’aujourd’hui, tout ce qui touche à la critique de l’histoire nationale, à la dénonciation du racisme, à la promotion des droits de l’homme, place d’emblée dans le camp progressiste et reçoit donc le soutien d’une grande partie des médias et des intellectuels. Comment ne pas vouloir encore plus d’égalité et de tolérance ? Qui peut s’oser s’opposer sur un plateau de télévision à celui qui brandit l’argument des droits de l’homme ? Les valeurs qui forgent notre société ouvrent par conséquent un boulevard à des militants qui ne sont pas toujours bien intentionnés, mais ils auraient bien tort de s’en priver. Cela étant, on peut quand même se demander si on n’assiste pas à un certain essoufflement du discours hyper-critique. Il existe maintenant un contre-discours qui, même s’il s’est constitué tardivement, gagne en consistance et commence à marquer des points. Il faut dire aussi que les enjeux liés à l’antisémitisme et au féminisme sont venus brouiller les pistes : les minorités, qui ont pu être facilement idéalisées dans le passé, s’avèrent désormais plus complexes. Elles étaient censées incarner l’avenir radieux, mais la réalité se révèle moins optimiste. Par comparaison, la population majoritaire semble finalement bien moins raciste et sexiste que ce qui est déclamé à longueur de journée.
C’est pour cette raison aussi que l’occupation de la basilique Saint-Denis risque d’avoir nettement moins d’impact que l’affaire précédente, qui remonte à 1996. A l’époque, des immigrés clandestins encadrés par des militants associatifs avaient cherché à imposer une régularisation collective en occupant divers lieux à Paris, notamment l’Eglise Saint-Ambroise et l’Eglise Saint-Bernard. Le gouvernement d’Alain Juppé n’avait pas cédé et avait ordonné une expulsion par la force. Cet événement était devenu mythique pour les militants antiracistes ; il avait contribué à relancer la gauche après sa défaite électorale de 1995, achevant de faire des immigrés les nouveaux damnés de la terre. Il est vrai que les images de CRS forçant les portes de l’Eglise, avec les sans-papiers expulsés manu militari et le curé en larmes, avaient tout pour galvaniser les sympathisants et justifier leur lutte contre un Etat jugé tyrannique. Aujourd’hui, ce discours n’a plus la même fraicheur qu’en 1996. La communication est aussi moins efficace : en 1996, l’occupation de l’Eglise Saint-Bernard visait à ancrer une revendication politique dans une certaine continuité historique, ce qui revenait à adresser un bel hommage (inconscient ?) aux valeurs chrétiennes ; en 2018, il ne s’agit plus d’utiliser l’Eglise comme un lieu d’asile et de paix, mais de perturber gratuitement un culte pour le plaisir d’offenser un symbole de l’histoire nationale. Mais est-ce vraiment faire preuve de courage politique que de s’en prendre aujourd’hui à une Eglise, surtout dans une ville où les chrétiens ne sont pas en position de force ? Quel message veut-on envoyer à la population locale, dont une grande partie n’est pas de confession chrétienne ?

Comment faire pour ne pas baisser les bras et ainsi laisser le champ libre aux plus radicaux des deux camps ? Ne peut-on pas voir ici une forme de lâcheté de certains voulant éviter des sujets ou ils considéreraient n'avoir que des "coups à prendre" ? Comment faire pour que les Français puissent plus s'impliquer dans de tels sujets, permettant ainsi une reprise en mains de ces sujets dans un cadre plus constructif ?
Christophe Boutin : D’abord rappeler les principes définis par la pensée libérale classique, celle par exemple de Tocqueville en France ou de Stuart Mill en Angleterre, selon lesquels la démocratie n’est pas en soi, « naturellement", un régime qui garantisse toutes les libertés, et notamment la liberté d’expression, et donc qu’il faut savoir défendre cette dernière. Qu’il faut pour cela accepter que le débat public suppose un pluralisme qui, par définition, ne saurait être limité. Et l’on pourrait citer aussi ici la Cour Européenne des Droits de l’Homme, selon laquelle la liberté d’expression « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur où considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celle qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique » (arrêt Hertel c. Suisse).
Nous en sommes loin avec le débat public dans la France de 2018, et il faudrait donc revoir notre arsenal législatif pour éviter, comme vous le signalez à juste titre, de voir trop de nos concitoyens – y compris des intellectuels reconnus – éviter soigneusement de prendre part à certains débats pour ne pas risquer d’être stigmatisés au premier mot un tant soit peu ambigu. Christophe Guilluy a montré comment, sous certaines pressions, on peut être conduit à quitter un territoire pour un autre. Sous la pression de ces minorités c’est aussi le domaine du débat qui est déserté de nos jours par de grands chercheurs et laissé à des débatteurs dont la légitimité intellectuelle n’est certes pas la même…
Après cette défense de la liberté d’expression, il faut rappeler ensuite que l’expression – légitime, comme toutes les autres, il ne s’agit pas de le nier - de ces minorités ne leur confère par contre aucun droit à violer un ordre public sans le respect duquel il n’est pas de débat possible. Or, ici encore, on doit constater le « deux poids deux mesures » de l’État français dans sa répression de telles actions, quand sa stricte neutralité est aussi indispensable en 2018 que le rétablissement de son autorité.
Il est enfin un moyen simple de renvoyer les terroristes de la pensée et leurs soutiens intellectualo-médiatiques à la juste proportion de leur audience réelle, c’est le recours à l’expression directe du peuple, emblématique de la démocratie. Au lieu de gouverner sur la base de cette pression minoritaire, étayée par des sondages manipulés et manipulateurs ou des reportages de parti-pris, le gouvernement pourrait, en usant du référendum, demander à cette "majorité invisible" devenue inaudible de s’exprimer. Oser le faire rapidement, et sur des sujets dont tout un chacun reconnaît – en privé - l’importance, éviterait de voir s’exacerber les tensions qui minent la société française et dont les conséquences, à plus ou moins long terme, sont particulièrement inquiétantes.
Vincent Tournier : Quand on voit la virulence des réactions, il faut effectivement faire preuve d’un certain courage pour descendre dans l’arène. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que ceux qui vantent le plus les mérites du débat sont souvent ceux qui ont le plus tendance à vouloir restreindre le champ des opinions acceptables.
C’est d’ailleurs tout le problème aujourd’hui. Les débats ont été trop longtemps biaisés. Sous couvert d’empêcher le retour du fascisme et de promouvoir une identité européenne, toute une partie de l’opinion s’est vue refuser d’accéder au débat public. Or, aujourd’hui, la difficulté de justement de recréer (ou peut-être même simplement de créer) une unité nationale. Mais comment aller dans ce sens si les arguments proprement nationalistes sont d’emblée récusés ? Sur quelles bases peut-on se retrouver collectivement si toutes les références historiques ou culturelles potentiellement mobilisables sont considérées comme inacceptables ? Si l’on veut aller dans ce sens, il faut accepter de porter un regard plus positif sur le passé, y compris sur les événements difficiles comme la colonisation.
Par ailleurs, une autre difficulté est que, pour diverses raisons, les autorités françaises ont laissé le champ libre à des porte-parole radicaux. Ces radicaux ne sont pas forcément représentatifs de l’ensemble des minorités issues de l’immigration, mais ils exercent un ascendant considérable. Ce sont eux qui donnent le ton, voire qui intimident, surtout auprès de populations qui n’ont pas toujours un niveau d’éducation et de politisation très élevé. Qui dispose de ressources suffisantes pour s’opposer au CCIF ou à quelqu’un comme Tariq Ramadan ? Et dans les quartiers, qui peut tenir tête aux leaders locaux ? On peut espérer qu’une nouvelle génération éduquée issue de l’immigration, porteuse d’un discours positif, prenne le relai, mais cette réalité peine à se manifester et reste encore hypothétique.  

Vincent Tournier : 

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