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Quand le gouvernement s’engage dans une voie encore plus "judiciairement correcte" que Christiane Taubira
©Reuters

Cauchemardesque

On a le droit de rêver de révolutions impossibles... En l'occurrence d'un service de l'exécution des peines qui aurait pour vocation et pour principe de faire exécuter intégralement les peines.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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On a le droit de rêver de révolutions impossibles.

En l'occurrence d'un service de l'exécution des peines qui aurait pour vocation et pour principe de faire exécuter intégralement les peines.

L'exception autorisant des adoucissements à cette règle.

Je ne joue pas au faux naïf ni au provocateur mais il me semble qu'en énonçant cette banale injonction, je devrais être qualifié de roi du poncif tant, pour une démocratie à la fois digne et vigoureuse et pour une Justice cohérente, une telle exigence d'application pleine et entière des sanctions devrait être l'évidence.

Pourtant, avec cette assertion, je suis le fauteur de trouble. Parce que, réclamant la normalité, je ne vois aucune raison de la battre en brèche sur le plan pénitentiaire.

A peine dans un précédent billet : "Lobby de gauche, réalisme de droite : le président et les prisons", avais-je eu le bonheur de relever quelques éléments réalistes qui mettaient un peu de substance et de vigueur dans le discours convenu et sulpicien contre la prison en tant que telle, à peine avais-je dénié que ce fût la réapparition de Christiane Taubira parce qu'Emmanuel Macron me paraissait éloigné d'une idéologie compassionnelle qui constituait le délinquant comme victime et la société comme coupable, que je suis obligé d'en rabattre.

Il ne faut jamais se réjouir trop vite puisqu'on constate que pour les peines d'emprisonnement égales ou inférieures à cinq ans, nous avons un président de la République et donc une garde des Sceaux qui ont formé le projet d'aller plus loin dans la mansuétude que Christiane Taubira pourtant difficilement dépassable sur ce plan.

En effet, aux deux tiers de la sanction, la libération sous contrainte (bracelet électronique, obligation de pointer par exemple) devra devenir systématique et, je cite car c'est le comble, "le juge de l'application des peines ne pourra refuser l'octroi de la libération sous contrainte qu'en constatant, par ordonnance spécialement motivée, qu'il est impossible de la mettre en oeuvre" (Le Point).

Les magistrats auront donc à justifier les raisons qui les poussent à récuser une exécution laxiste de la sanction.

C'est le monde à l'envers. Je sais bien que notre système est aberrant qui a adopté comme règle l'anormalité : le partiel d'une exécution plutôt que la normalité et la cohérence : la totalité de celle-ci. Fallait-il aller jusqu'à cette absurdité de contraindre des juges à dénaturer leur mission en leur imposant le contraire de la rigueur souhaitable ? Des magistrats devront en quelque sorte aller à Canossa parce qu'ils auront, pour un condamné à cinq ans, eu la faiblesse de considérer qu'il aurait à les purger alors que les portes seront naturellement et largement ouvertes aux deux tiers de la peine.

Les détenus qui se retrouveront plus vite que prévu à l'extérieur (avec un contrôle dont on peut douter de l'efficacité) seront heureux de n'avoir accompli que les deux tiers d'un crime ou d'un délit et leurs victimes seront évidemment compréhensives puisqu'elles ne l'auront été qu'aux deux tiers.

Ce délire de bonne conscience proche d'un humanisme égaré est d'autant plus choquant qu'il contredit le retour au bon sens que le président a favorisé en refusant que dorénavant un jugement correctionnel de condamnation puisse être immédiatement aménagé. En récusant que le décret de l'autorité judiciaire puisse être dénaturé par la "cuisine" qui le suit.

C'est exactement ce qui va se produire, par exemple avec une condamnation de quatre ou cinq ans qui sera amputée sans aucune nécessité aux deux tiers pour sa part carcérale.

Il paraît que cette démission permettra d'éviter les sorties "sèches" comme si, pour les sanctions allant de un à cinq ans d'emprisonnement, la société et les citoyens victimes n'avaient été confrontés qu'à des infractions minimes rendant intolérable une logique pénitentiaire accordée avec la décision judiciaire.

Je me suis peut-être trompé. Je pensais qu'Emmanuel Macron si lucide sur les erreurs de François Hollande - celle, notamment, d'avoir maintenu Christiane Taubira trop longtemps à un poste prestigieux où l'oralité ne pouvait se substituer à l'action - nous éviterait la restauration du pire de celle-ci. Mais sa philosophie qui est classiquement de gauche, quand on quitte l'économique et le social, au contraire ne nous ménage pas.

Christiane Taubira revient et c'est un cauchemar pour ceux qui espéraient un président du nouveau monde, répudiant les conformismes et brisant des lances contre le judiciairement convenu - le politiquement stéréotypé.

Cet article a été intialement publié sur le blog de Philippe Bilger

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