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Réforme judiciaire : l’inquiétante rationalisation de la justice souhaitée par le gouvernement
©François NASCIMBENI / AFP

Correctionnalisation

La ministre de la justice, Nicole Belloubet a annoncé son souhait de dessaisir les cours d'assisses d'une part des affaires criminelles afin de les confier à des magistrats et non plus à des jurés. Or, la correctionnalisation des crimes aboutit à des peines bien plus légères.

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : La ministre de la justice, Nicole Belloubet a annoncé son souhait de dessaisir les cours d'assisses d'une part des affaires criminelles afin de les confier à des magistrats et non plus à des jurés. Quel est l'enjeu d'une telle réforme ? 

Guillaume Jeanson : Nicole Belloubet a annoncé la création d'un « tribunal criminel départemental » qui serait d’abord soumis à une phase d’expérimentation. Elle a précisé que ce tribunal qui, à l'inverse des cours d'assises auprès desquelles siège un jury populaire, serait composé de juges professionnels, serait chargée de juger les crimes passibles de 15 et 20 ans de réclusion criminelle en première instance. Il s’agit donc notamment des viols, des coups mortels et des vols à mains armée, les fameux braquages, par opposition par exemple à d’autre crimes considérés par la loi comme plus graves tels que les meurtres qui sont passibles suivant le code pénal de 30 ans de réclusion criminelle et les assassinats qui sont passibles de la réclusion criminelle « à perpétuité ». Pour ces infractions les plus graves, celles passibles de plus de 20 ans de réclusion criminelle, les cours d’assises resteront en effet compétentes. L’objectif affiché est d’accélérer le traitement des affaires criminelles. Et, de fait, force est de constater qu’en pratique de très nombreuses affaires de braquages et de viols sont purement et simplement correctionnalisées pour parer à l’engorgement de la justice. C’est-à-dire qu’elles sont jugées comme si elles étaient des délits et non comme les crimes qu’elles sont. L’intérêt de la manœuvre est de s’en remettre aux délais bien plus rapides des tribunaux correctionnels qui ne mobilisent alors que trois magistrats professionnels et dont la procédure est moins tournée vers l’oralité, ce qui permet souvent de juger en une après-midi ce qui, aux assises, prendrait plusieurs jours, voire même parfois plusieurs semaines.

L’inconvénient dramatique de la correctionnalisation est cependant que l’auteur de l’infraction est jugé (et puni si reconnu coupable) comme s’il n’avait commis qu’un délit et non pour le crime réellement commis. Ainsi, le viol qui est passible de 15 ans de réclusion criminelle dans le code pénal sera considéré – pour gagner du temps – comme une simple agression sexuelle passible, quant à elle, du tiers de cette peine, soit 5 ans d’emprisonnement. Si l’on veut bien se souvenir que ces quantums ne sont que des plafonds théoriques, que les peines prononcées sont souvent inférieures et que celles réellement exécutées le sont encore davantage, on comprend facilement les dérives injustifiables pour les victimes vers lesquelles ces dysfonctionnements à grande échelle conduisent. J’ai déjà eu le loisir de citer dans vos colonnes ces quelques lignes de ma consœur Carinne Durrieu Diebolt, tirées de son article intitulé « la correctionnalisation du viol : point de vue d’un avocat de victime » paru l’année dernière sur le Village de la Justice, qui m’apparaissent terriblement édifiantes. Après avoir rappelé le fait qu’« on évoque un taux de correctionnalisation de 60 à 80% des viols », elle dénonce : « La proposition de correctionnaliser est un choc pour les victimes qui doivent y être préparées, car il peut tourner à l’affrontement avec les magistrats. La victime peut refuser la proposition de correctionnaliser le crime, mais certains juges s’autorisent à exercer un chantage entre accepter la correctionnalisation ou encourir un non lieu. ».

Le fait que, par la création d’un tel tribunal, le pouvoir souligne sa volonté de lutter contre cette pratique anormalement fréquente des correctionnalisations est sans doute un signal positif qu’il convient - par principe (mais sans faire pour autant l’économie ultérieure d’une analyse véritable de sa déclinaison concrète) - de saluer. L’accélération du traitement de ces affaires que permettra sans doute une meilleure gestion de l’agenda des juridictions et donc une réduction probable des délais dits « d’audiencements », devrait en outre permettre de réduire le nombre de personnes incarcérées en détention provisoire. C’est-à-dire celles dont les conditions de détention sont le plus sujettes aux problématiques de surpopulation carcérales qui, comme tout le monde le sait, se concentre en France sur les maisons d’arrêts.

Ne peut-on pas voir ici une forme de renoncement aux principes des cours d'assises et des jurys populaires ? 

C’est évidemment le principal grief qui sera formulé à l’encontre de ce projet. L’existence du jury est en effet un héritage de la révolution française. Il témoigne d’une volonté de la société civile de se réapproprier la fonction de juger. Même si au fil des décennies et des siècles, sa composition, son recrutement, son nombre et ses règles de majorité ont pu sensiblement évoluer, la création de ce tribunal marque indéniablement une petite révolution. Si l’on s’intéresse à sa terminologie, il est en outre piquant de relever que l’ancêtre de la Cour d’assises n’était autre que… le tribunal criminel départemental.

L’autre point intéressant dans cette annonce est qu’elle s’éloigne, justement par ce renoncement, de la prudence des préconisations figurant dans le rapport signé par le procureur général honoraire Jacques Beaume et mon confrère Franck Natali remis au ministère de la justice dans le cadre des chantiers de la justice et intitulé : « amélioration et simplification de la procédure pénale ». Ce rapport qui proposait de « réétudier l’instauration d’un tribunal criminel en première instance et le maintien de la compétence de la cour d’assises en appel. » tout en précisant que « dans l'état actuel du droit », il fallait« étudier la possibilité d'un appel limité au quantum », semblait en effet vraiment attaché à l’idée de conserver au moins 2 jurés : « Beaucoup des intervenants, notamment les institutions nationales de magistrats (Conférences, syndicats…) ou le Directeur de l’ISPEC, ont remis dans la discussion, non pas la création d’un plaider-coupable criminel (très minoritairement évoqué), mais l’instauration d’un tribunal criminel de première instance, composé de 3 magistrats et 2 jurés et fonctionnant selon une procédure de type correctionnel « augmenté » (plus d’oralité). Certains proposent de réserver cette procédure criminelle simplifiée aux seuls faits reconnus. D'autres évoquent la possibilité d'un plafonnement de la peine prononçable. L’appel serait évoqué devant une cour d’assises d’appel (3 magistrats et 6 jurés) dont la saisine pourrait être cantonnée aux seuls points de fait ou de quantum restant contestés. Les deux visites en juridiction (Reims et Amiens) ont confirmé l’attrait d’une telle proposition, porteuse d’une véritable simplification du jugement des crimes. »

Une telle réforme peut-elle remettre en cause les droits de la défense ? En quoi le jugement d'un magistrat peut-il différer de celui d'un jury populaire ?  

La réduction de l’oralité et la différence de perméabilité des juges professionnels à certains types de stratégie de défense modifieront très certainement l’approche des praticiens. Parler en revanche très clairement de recul des droits de la défense m’apparaît prématuré car il faudrait pour cela en savoir davantage sur cette procédure. Surtout si celle-ci devait suivre la préconisation du rapport de Jacques Beaume et Franck Natali quant au fait d’être une procédure correctionnelle « augmentée », c’est à dire davantage tournée vers l’oralité que ne peut l’être une procédure correctionnelle classique.

La différence de jugement que vous évoquez conduit généralement à polariser les craintes sur les biais cognitifs prêtés à ceux qui sont appelés à rendre la fonction de juger. Pour les jurés, les médias ont pu ainsi évoquer « l’effet CSI » du nom de la série américaine « Crime Scene Investigation » pour dénoncer la potentielle influence qu'auraient les séries de police scientifique sur ces derniers. D’un article intitulé « No hatred or malice, fear or affection : media and sentencing » écrit Arnaud Philippe et Aurélie Ouss, deux jeunes chercheurs en économie, l’Institut des Politiques Publiques a de son côté tiré une note de quatre pages intitulée « L’impact des médias sur les décisions de justice », publiée en janvier 2016 et dont ont par la suite rendu compte un certain nombre de médias généralistes.

De fait, il est clair que les jurés n’étant pas des « sachant »,ni souvent des juristes, les avocats et les experts doivent davantage faire preuve à leur égard de pédagogie. Mais, comme nous avons déjà eu l’occasion de le préciser, rien ne permet à notre connaissance d’affirmer pour autant que certains magistrats professionnels ne pourraient pas se révéler sujets, eux aussi, à diverses influences qui pourraient être préoccupantes. Au nombre de celles-ci pourraient compter certaines influences politiques ou syndicales qui pourraient contribuer à expliquer parfois le sentiment de décalage persistant ressenti par ceux qui témoignent de leur incompréhension devant la teneur de certaines décisions rendues.

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