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Armes à Feu : et si Trump était celui qui faisait (enfin) bouger les lignes après des décennies de blocage
©NICHOLAS KAMM / AFP

Massacres en série aux États-Unis

Dans le débat sur les armes à feu, Trump peut imposer des restrictions. Parce qu’il a la confiance des partisans du port d’arme, ce qui n’était pas le cas d’Obama.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Le 14 février, au soir de la tuerie de Parkland, en Floride, qui a fait dix-sept morts, dont quatorze adolescents, le président Trump a été sévèrement critiqué pour ne pas avoir prononcé le mot « arme à feu » dans le message de condoléances qu’il adressa aux victimes, et à la nation américaine toute entière, depuis la Maison Blanche. Il y disait son chagrin, son désarroi, la nécessaire tâche de prendre en charge les personnes victimes de maladies mentales, mais rien sur les fusils semi-automatiques, comme celui utilisé pour perpétrer ce nouveau « massacre de la Saint Valentin ». Les partisans du contrôle des armes à feu y avaient vu une reddition honteuse devant le « gun lobby », le lobby des fusils, un abandon des citoyens à la loi des armes…

Depuis,  les choses ont changé. Ce drame -le énième aux Etats-Unis où les tueries de masse (4 tués ou plus) sont quasi quotidiennes  (346 en 2017, 432 en 2016 et 369 en 2015, …) , a provoqué un émotion encore plus vive, et plus longue,  que beaucoup d’autres. Un mouvement  de lycéens est né, appelé « Jamais plus ». La NRA, National Rifle Association, principal lobby pour la défense du droit de port d’arme a été pointée du doigt, un peu plus que d’habitude. Et le président Trump s’est exprimé à plusieurs reprises pour restreindre l’accès aux armes à feu, notamment en repoussant l’âge minimum pour acheter une arme de 18 à 21 ans. Une prise de position significative, sachant que les partisans du droit de port d’arme soutiennent généralement Donald Trump et votent principalement Républicain.

Bref,  le débat sur la possession d’armes à feu est relancé. Et les lignes, figées depuis quinze ans, semblent pouvoir bouger. Si cela se poursuivait et se concrétisait, sous la forme d’une loi votée par le Congrès (on en est encore très loin) ce serait pour le président Trump une victoire aussi inattendue que remarquable. Etonnamment, il est dans une position privilégiée pour y parvenir.   

Aux Etats-Unis, le droit de posséder une arme,  est un droit constitutionnel. Il est garanti par le fameux « second amendement » de la Constitution de 1787.  Il s’applique à l’ensemble du territoire et l’ensemble des citoyens majeurs. Les Etats peuvent le limiter, mais en aucun cas l’abroger.

Dans l’esprit des Pères Fondateurs, les Etats-Unis n’étaient pas destinés à avoir une armée de métier, mais à dépendre, pour leur sécurité, d’une milice, composée de simples citoyens. Ceux-ci devaient donc pouvoir conserver chez eux un fusil, à sortir en cas de besoin. Comme c’est le cas en Suisse…

Depuis 1787 la société a pas mal changé. Les Etats-Unis ont mis en place la plus forte armée de métier du monde. De sorte que le second amendement a perdu sa raison d’être. Mais les armes à feu sont entrées dans la légende de l’histoire américaine. Elles ont d’abord servi à défendre l’homme confronté à une nature hostile. Puis à combattre les indiens pour conquérir l’ouest américain et étendre le territoire national de l’Atlantique au Pacifique. Enfin elles ont permis de lutter contre le crime, les gangsters, la mafia et la corruption, dans les grandes villes. Hollywood a relayé et amplifié ces légendes, en faisant du justicier solitaire et de son revolver à six coups un héros typiquement américain…

De sorte que l’Amérique est tombée amoureuse de ses armes à feu. Une liaison qui a commencé de mal tourner dans les années soixante. Tandis qu’Hollywood célébraient encore ceux qui vivaient et mouraient par les armes, tels Bonnie & Clyde,  d’autres vrais héros tombaient sous les balles d’assassins. En quelques années un président, son frère, deux leaders noirs, un chanteur et une jeune actrice, ont été assassinés. L’Amérique s’est soudain découverte malade de ses armes à feu.

Les politiciens se sont emparés de la question et, en 1968, une première loi sur le contrôle des armes fut votée, le « Gun Control Act ».  Cette loi eut malheureusement l’effet inverse de celui escompté.

Elle mobilisa une opposition jusqu’alors discrète et offrit une tribune à la National Rifle Association, la fameuse NRA. Celle-ci existait depuis près d’un siècle. Elle était connue des seuls chasseurs, et son influence se limitait aux Etats du Sud et des rocheuses. Du jour au lendemain elle devint le symbole de la défense de « l’American Way of Life » face aux volontés liberticides du gouvernement fédéral. La NRA devint aussi la voix des millions de petits américains, vivant en agglomération et qui, confrontés à une criminalité galopante, et au laxisme croissant de la justice et des élites libérales, entendaient bien garder le droit et la possibilité de se défendre par eux-mêmes.

La NRA se tourna naturellement vers Hollywood et engagea une des plus grandes stars de l’époque pour devenir son président et porte-parole, Charlton Heston, l’acteur qui fut à la fois Ben Hur et Moïse à l’écran… Aujourd’hui la NRA est un très puissant lobby qui dépense plusieurs dizaines de millions de dollars chaque année pour soutenir les hommes politiques sensibles à sa cause et influencer le Congrès. L’immense majorité de ces politiciens sont des Républicains. En 2016 la NRA a dépensé vingt millions de dollars pour attaquer Hillary Clinton et dix millions pour soutenir Donald Trump. La NRA compte aussi cinq millions de membres actifs. Certes, cela ne représente que 5 à 10% des détenteurs d’armes à feu (dont on estime qu’ils sont entre 70 et 80 millions aux Etats-Unis), mais cela fait beaucoup d’électeurs qui constituent, au-delà de l’argent dépensé, le cœur de la puissance de ce lobby. Car les membres de la NRA votent et influencent le vote de leurs proches. En politique, se mettre à dos le lobby des armes, c’est… se tirer une balle dans le pied !

D’où la difficulté pour les politiques de confronter la question des armes à feu. D’où également l’immobilisme législatif des dernières années. Malgré la répétition de tueries de masse plus effrayantes les unes que les autres…

Cet immobilisme a cependant une autre explication. Car la question des armes à feu, et de leur dangerosité aux Etats-Unis, recouvre une réalité paradoxale.

Le paradoxe est le suivant : les armes à feu font l’actualité à chaque fois qu’une tuerie de masse se produit : comme à Parkland, le 14 février, ou à Las Végas en octobre 2017, ou à Orlando en juin 2016, ou encore à Sandy Hook Elementary School en décembre 2012 et à bien d’autres endroits. A chaque fois, ces massacres sont perpétrés avec des armes semi-automatiques, versions grand public de fusils d’assaut utilisés par des soldats de métiers. Or aux Etats-Unis ces fusils sont en vente quasi libre. Ce sont donc ces armes que les partisans du « gun control » dénoncent d’abord. Mais les tueries de masse ne sont responsables que de 2% des homicides aux Etats-Unis. Car l’immense majorité des douze mille à quinze mille meurtres qui endeuillent l’Amérique chaque année, sont perpétrés avec des armes de poing, de simples revolvers ou pistolets.

Dès lors, les partisans du droit de port d’armes ont beau jeu de dénoncer des législations inutiles puisqu’elles ignorent  98% du problème. A moins que ces législateurs aient autre chose en tête… C’est-à-dire qu’une première restriction ne soit que la porte ouverte à beaucoup d’autres.

En clair la NRA est parvenue à convaincre ses membres, et nombre d’Américains, que les législations soutenues par le Congrès n’ont pas pour but de véritablement résoudre la question et de protéger la sécurité des Américains, mais simplement de leur confisquer progressivement leurs armes. Y compris les armes de petits formats et petits calibres, que nombre d’Américains (et Américaines) possèdent comme arme de défense. Selon la NRA, l’objectif des partisans du « gun control » est bien d’en finir avec le second amendement.  Loin de le nier, ceux-ci renforcent cette perception en ne cessant de dénoncer cet alinéa constitutionnel qu’ils abhorrent. D’où la plus vive opposition à la moindre forme de restriction. C’est ce à quoi on assiste aux Etats-Unis depuis quinze ans. C’est ce paradoxe qui explique  la paralysie du Congrès.

La tuerie de Parkland peut-elle contribuer à mettre un terme à cet immobilisme ? Peut-être ? Est-ce que Donald Trump a un rôle à jouer ? Absolument.

Depuis Parkland, la NRA se retrouve sur la défensive. Certes, l’association n’est pas directement responsable de la tragédie. Mais son intransigeance systématique est mise en cause et dénoncée avec plus de force que dans un passé récent.  Plusieurs personnalités politiques ont profité de cette vague d’hostilité pour essayer de prendre leurs distances… On verra s’ils tiennent jusqu’aux élections…

Plus important, Donald Trump président, les partisans du droit de port d’arme ont un allié à la Maison Blanche. Trump a toujours soutenu le second amendement. L’idée que chaque citoyen soit en mesure de se défendre, et d’exercer son droit de légitime défense, est au cœur de sa conception d’une société libre. Par ailleurs une partie importante de son électorat est constituée de partisans du droit de port d’arme. Pas question pour lui de les trahir, sous peine de se retrouver vraiment seul. En clair, Trump – au contraire d’un président Obama – peut faire entendre raison à la NRA et à ses membres pour restreindre, au moins, l’accès aux armes. Parce que les sympathisants du droit de port d’arme ont confiance en lui, ils seront plus enclins à faire des concessions.

C’est la terrible ironie d’un tel débat. Obama, partisan d’un stricte contrôle des armes, et qui avait promis d’agir,  n’a rien pu faire pour restreindre leur accessibilité, malgré ses deux mandats, et la terrible tuerie de Sandy Hook en 2012 (27 morts pour l’essentiel des enfants). Trump qui n’a pas fait de cette question une priorité, peut voir ses initiatives couronnées de succès. A condition que les démocrates du Congrès acceptent de le suivre.

Jusqu’à présent ceux-ci se sont totalement trompés dans leur approche stratégique de la question des armes à feu. Leur grande faute est de s’attaquer systématiquement au second amendement. Cette proposition est ce qu’on appelle en jargon politique américain un « non-starter ». Elle ne mène nulle part. Parce qu’elle est irréaliste. Si un référendum national sur le second amendement était organisé, le droit de port d’arme l’emporterait haut la main. Il s’agit d’une liberté fondamentale, et hautement symbolique, et l’immense majorité des Américains n’est pas décidée à y renoncer. Même si elle est destructrice, cette liberté est ce qui les définit. Elle est dans l’ADN américain.

En d’autres termes, le seul moyen de faire avancer le débat sur les armes est de le faire dans un cadre  où le second amendement ne soit pas menacé.

Cela Donald Trump l’a compris et c’est ce qu’il a commencé de faire.  Sa proposition de reculer à 21 ans l’âge légal d’achat d’arme va dans ce sens. De même que sa volonté d’interdire les « bumps », ces ustensiles qui permettent de transformer un fusil semi-automatique (une balle tirée par pression sur la gâchette) en arme entièrement automatique (une seule pression du doigt peut vider tout le chargeur). Cela ne résoudra pas l’ensemble du problème. Mais, si cela se concrétise, ce sera un premier pas dans le bon sens.  

Car il est difficile de justifier qu’il faille attendre 21 ans pour acheter un paquet de cigarette ou une cannette de bière, ce qui est le cas dans beaucoup d’Etats américains, mais seulement 18 ans pour se procurer une arme. De même que peu de chasseurs ont recours à un AR-15 (l’arme semi-automatique de la tuerie de Parkland et de beaucoup d’autres)  lorsqu’ils visent un cerf, un chevreuil, ou même un alligator.

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