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Avoir une vision positive de la vie permettrait de réduire les risques de démence
©Valery HACHE / AFP

Papy fait de la résistance

Selon une étude, les personnes âgées qui ont une vision positive de la vie (due notamment à une forte sociabilité) ont de meilleurs fonctions cérébrales que certains cinquantenaires, et moins de risques de démence. Avoir des amis pourrait donc être une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour se garder en bonne santé mentale le plus longtemps possible.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Une étude a été menée par IRM auprès de 4 765 personnes âgées de 72 ans en moyenne. Aucune d’entre elles n’était atteinte de démence au début de l’étude, mais 26% étaient porteuses du principal marqueur génétique de la démence APOE ε4. Au terme des 4 ans de suivi, aucun symptôme n'est apparu. Mieux, ils auraient une proportion plus élevée dans leur cerveau d'un type de neurone rare appelé vonEconomo, un neurone «social». Dans quelle mesure la sociabilité et la positivité permet de lutter contre la démence selon vous ? Les facteurs de style de vie sont-ils partie intégrante du maintien de la fonction cognitive ?

André Nieoullon : Pour être un tout petit peu plus précis et cela a son importance dans le contexte de cette étude, il faut préciser que la cohorte d’individus étudiée entre autre par Emily Rogalskiaux USA, a pour tout premier objectif de comprendre comment des personnes très âgées sont susceptibles de conserver des capacités cognitives anormalement élevées en rapport avec cet âge, et donc comment elles échappent aux démences de type Alzheimer alors même qu’elles y sont très exposées, le premier facteur de risque de cette maladie étant bien établi comment relatif à ce vieillissement avancé. Il s’agit donc d’une étude ciblée sur une population très particulière de personnes très âgées, ce que l’on nomme en anglais les « superagers », suivies pendant de nombreuses années par des psychologues qui ont étudié leur mode de vie pour tenter de corréler certains facteurs de ce mode de vie à une telle avancée en âge, hors déclin des fonctions cognitives. Et c’est à l’autopsie du cerveau de certaines de ces personnes (volontaires) que les chercheurs ont effectivement noté qu’en dépit de quelques stigmates de la maladie d’Alzheimer (ce que l’on nomme les plaques séniles ou encore des dégénérescences fibrillaires concomitantes de la mort des neurones), les fonctions cognitives avaient été préservées ; et plus encore, et c’est sur ce point que l’étude insiste, que ce qui caractérisait le plus le cerveau de ces personnes était une présence anormalement élevée d’un type de rares neurones très particuliers, ce que vous avez nommé dans votre question les neurones de Von Economo. A part cela, jusqu’à la fin de leur vie ces personnes ayant vécu très âgées étaient très actives socialement, dormaient bien, en moyenne 7 à 8 heures par nuit, et a priori avaient encore des capacités cognitives très importantes, équivalentes à celles de la plupart de leurs congénères beaucoup plus jeunes.  Et, pour l’anecdote, les auteurs attestent aussi du fait que ces personnes n’avaient pas une hygiène de vie particulière, certaines ayant été fumeur, sans régime alimentaire particulier mais sans excès, et jusqu’à apprécier de prendre régulièrement un verre avec plaisir, contrairement à ce que disent beaucoup d’études qui fustigent les comportements « à risques » comme à même de réduire l’espérance de vie et les fonctions cognitives.

A ce stade, nous manquons d’informations plus précises sur les caractéristiques de cette cohorte ayant fait l’objet de l’étude (notamment en ce qui concerne leur hérédité qui pourrait expliquer au moins partiellement leur longue durée de vie comme cela est établi de longue date). Mais si l’on s’arrête avec les auteurs sur cette présence potentiellement anormale des neurones de type Von Economo dans le cerveau de ces « super-héros », alors il faut dire que ces neurones particuliers restent une énigme pour les chercheurs : présents dans le cerveau humain mais pas dans celui d’autres primates (mais aussi chez l’éléphant, la baleine ou le dauphin…), ils sont retrouvés dans des régions très particulières du cerveau impliquées notamment dans la prise rapide de décision, en particulier lorsqu’il existe des incertitudes, ou encore pour « lire les expressions » sur le visage d’autrui afin d’anticiper un comportement, voire faire preuve d’empathie. Une partie de ce que l’on nomme le « cerveau social », pour faire simple, mais aussi d’un système à même de « corriger les erreurs » et donner de la flexibilité aux comportements. Reste tout de même à dépasser la simple corrélation entre les fonctions cognitives de ces personnes et la présence anormalement élevée des neurones pour suggérer que c’est la présence de ces neurones particuliers dans le cortex cingulaire et insulaire antérieur qui leur a permis de conserver leurs capacités cognitives… D’autres travaux devront être effectués pour vérifier une telle hypothèse.

S’agissant des facteurs susceptibles de permettre la préservation des fonctions cognitives avec l’âge, néanmoins, un certain nombre d’éléments ont déjà été apportés et sont plus ou moins connus du grand public. Par exemple, le fait d’avoir une vie sociale riche, d’avoir un niveau socio-culturel plutôt élevé c’est à dire d’avoir une attitude proactive faisant travailler ses méninges plutôt que passive devant sa télévision, ou encore d’avoir un comportement évitant toutes sortes d’excès, y compris alimentaires de telle manière que les risques cardio-vasculaires soient minimisés. Evidemment, chacun pourra objecter les sources d’inégalités sociales que recouvrent ces indicateurs, mais le fait est établi qu’être obèse, mal nourri et plutôt en situation de précarité, n’est pas un gage d’une vie épanouie, longue, et en bonne santé… Alors, mentionner dans l’étude que les personnes étudiées avaient quelque peu transgressé ces règles en étant fumeur ou ayant apprécié un peu d’alcool relève à mon sens plus de l’anecdote que d’une approche réellement scientifique. Quant aux aspects traitant de l’humeur, le fait de positiver paraît également corrélé aux excellentes capacités cognitives mais, là encore, cette observation est plutôt rapportée empiriquement. Par conséquent, le maintien des fonctions cognitives avec l’âge est assurément multifactoriel, et pour ma part j’y vois en plus une héritabilité de nos ascendants, en l’occurrence plutôt « bonne », qui fait de chacun de nous un être unique dans un environnement de plus en plus stéréotypé.

L'étude précise que certaines personnes très âgées (environ 90 ans) ont une meilleure fonction cérébrale que les personnes dans la cinquantaine. Comment expliquer ce paradoxe ?

Oui, l’affaiblissement des fonctions cognitives avec l’âge n’est pas une fatalité ! Des travaux déjà anciens ont montré que si, en moyenne, il existait effectivement des difficultés mineures liées à l’âge en termes de performances mnésiques, ces difficultés, que l’on désigne volontiers sous le vocable d’oubli « bénin », sont plus liées à des difficultés de maintien de l’attention et de concentration qu’à une réelle altération des fonctions cérébrales. Mais si l’on s’en tient aux performances cognitives telles que l’on peut les analyser scientifiquement, bien au-delà de ce qui peut altérer notre vie quotidienne- alors on peut distinguer certaines tâches dont il peut être suggéré qu’elles s’améliorent avec l’âge ! Ainsi, si l’orientation dans l’espace ou encore la mémoire « verbale » (celle qui nous empêche de retrouver le mot exact au bon moment…) voient leurs performances parfois se réduire (légèrement tout de même) avec l’avancée en âge dès la cinquantaine, en moyenne, d’autres performances cognitives comme l’habilité verbale ou l’utilisation des nombres (habileté numérique) sont en fait parfaitement préservées… et même meilleures comparativement à celles mesurées avant l’âge de 40 ans.Et, en plus, ces performances du sujet plus âgé sont corrélées en imagerie fonctionnelle à de meilleures activations cérébrales dans des régions spécifiquement en rapport avec ces fonctions, par exemple le cortex préfrontal dorso-latéral gauche, dans des tâches de mémorisation simple. Bien entendu, ces données sont acquises sur des sujets considérés comme « très performants » dans ces tâches cognitives. Ainsi, de façon corrélative comme dans le cas de l’observation précédente concernant les neurones de Von Economo, il est possible de conclure que c’est parce que le cerveau continue à fonctionner correctement que les fonctions cognitives sont préservées. Lapalissade, avez-vous dit ? De fait, on ne peut guère aujourd’hui s’avancer plus, sauf à considérer là encore que c’est parce que le cerveau a acquis la capacité de traiter des informations complexes (utilisation des mots, utilisation des nombres) qu’il maintient ses capacités et même les optimise. En d’autres termes, l’affaiblissement des capacités cognitives avec l’âge lorsqu’il survient n’est pas corrélé à une quelconque perte inéluctable de neurones comme on le dit encore trop souvent car, de fait, au-delà de la soixantaine, dans les conditions d’un vieillissement normal, le nombre de neurones du cerveau ne semble diminuer que de très peu comme en attestent là aussi les mesures fines de l’épaisseur du cortex cérébral qui en sont un excellent indicateur…

Quelles applications la médecine peut-elle faire de ce type de découvertes ?

A vrai dire, au-delà de considérations de spécialistes sur la fonction potentielle des neurones de type Von Economo, dans un contexte où les bases du fonctionnement cognitif restent encore très mal connues, le message de ce type d’étude relève essentiellement de la prévention. Pour anticiper un vieillissement qui doit nous garantir jusqu’à très tard un fonctionnement cognitif satisfaisant, cultivons nos fonctions sociales, allons au-devant des gens, et faisons preuve d’une attitude active en faisant fonctionner nos neurones ! Trivial, avez-vous dit ? Mais tous les adeptes de « gym cerveau » et autres programmes d’activation cérébrale utilisant mots croisés et sudoku ne disent pas autre chose : faites fonctionner votre cerveau, qui ne s’use que si vous ne vous en servez pas ; ou tout au moins, et de façon moins triviale, mobilisez vos ressources et celles de votre cerveau. Les spécialistes nomment ces ressources la « réserve cognitive », qui peut-être « haute » pour les uns, mais aussi « basse » pour les autres. Elle est faite d’éducation, de vie sociale, ou encore plus simplement d’ouverture sur les autres indépendamment du statut social, d’échanges, et même d’activités moins intellectuelles comme jardinage, randonnées entre amis ou bricolage. Assurément, sédentarité et isolement social sont des facteurs simples à prendre en compte par tout un chacun ; et ils sont à combattre absolument pour un vieillissement accompli. Pensez-y !

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