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De Salah Abdeslam à Mennel, la candidate de The Voice voilée et aux vues complotistes, que faire face à l’éventail de ceux qui se sentent (plus ou moins) en rupture avec la France ?
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Travail de fond

Une mouvance construite sur le ressentiment et la haine, associés à des théories du complot, semble monter en puissance en France.

Céline Pina

Céline Pina

Née en 1970, diplômée de sciences politiques, Céline Pina a été adjointe au maire de Jouy-le-Moutier dans le Val d'Oise jusqu'en 2012 et conseillère régionale Ile-de France jusqu'en décembre 2015, suppléante du député de la Xème circonscription du Val d'Oise.

Elle s'intéresse particulièrement aux questions touchant à la laïcité, à l'égalité, au droit des femmes, à la santé et aux finances sociales et a des affinités particulières pour le travail d'Hannah Arendt.

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

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Atlantico : Samedi soir, une jeune femme nommée Mennel émouvait tous les téléspectateurs et le Jury de l'émission "The Voice" avec sa reprise de Hallejujah (de Leonard Cohen). La jeune femme, enturbanée et d'origine syrienne, se voit aujourd'hui reprocher des tweets écrits par elle lors des récents attentats. Elle remettait alors en cause l'authenticité des faits ou affirmait que "les vrais terroristes, c'est notre gouvernement". Elle était aussi, à côté de son activité de chanteuse, un soutien de personnalités comme Tariq Ramadan ou de l'association Lallab (féminisme intersectionnel musulman). A quel point des prêcheurs du type de Tariq Ramadan sont-ils parvenus à détacher une partie des musulmans de France de leur appartenance à la communauté nationale ? Quelle est l'ampleur de cette "zone grise" au sein de notre pays ? Quelle est l'ampleur du problème auquel nous faisons aujourd'hui face ?

Philippe d’Iribarne : Ont-ils été détachés, ou plutôt n’ont-ils jamais été attachés ? Les études permettant d’évaluer la place qu’ils tiennent n’abondent guère. L’étude de l’Institut Montaigne Un islam français est possible évalue leur nombre à 28% des musulmans et, parmi eux, à près de 50% des jeunes.

Céline Pina : Il y a une volonté de banaliser le voile en en faisant la marque de la « bonne » musulmane, une sorte d’AOC de l’appartenance à l’Islam, mais la revendication du port du voile est portée par les islamistes. C’est un marqueur de l’islamisme, pas de l’Islam. Et une partie de la stratégie des frères musulmans est de l’imposer, notamment dans les médias. C’est le prosélytisme par la visibilité. D’ailleurs cette ravissante jeune femme à la voix angélique confirme par ses tweets, comme par les personnalités qu’elle met en avant Iquioussen, Ennasri, Ramadan ou les associations qu’elle promeut, Lallab, Syria charity, Baraka City, son soutien à une idéologie qui conteste l’égalité entre les hommes, refuse la laïcité et conteste les libertés publiques. Pour autant elle a tout à fait le droit d’être islamiste, comme d’autres peuvent avoir le droit d’être stalinien ou de défendre les idées du FN. A ce titre, sa participation à un télé-crochet ne saurait lui être refusée. La seule question que je me pose est que si une candidate au physique aussi avenant avait partagé des extraits de meeting de Jean-Marie Le Pen ou des publications d’Alain Soral, cela serait-il passé comme une lettre à la poste ? TF1 ne se serait-il pas senti obligé de réagir ? N’y aurait-il pas eu un consensus pour défendre cette réaction et ne l’aurions-nous pas trouvé parfaitement logique, à juste titre. Or les islamistes sont encore plus dangereux que le FN et leur idéologie encore plus violente. Mais ils ont leurs entrées dans tous les prime time des grandes chaines. Cette jeune femme vient après Wiam Berhouma et Attika Trabelsi, militantes islamistes ou identitaires, respectivement opposées à Alain Finkielkraut et à Manuel Valls sans que leur appartenance réelle ne soit dévoilée et elle joue le même rôle : faire passer marqueurs et idéologie islamiste pour des caractéristiques du monde musulman, créer la confusion entre musulmans et islamistes au détriment des premiers et au bénéfice des seconds. D’ailleurs on la voit poser, sur le compte Facebook qu’elle vient de fermer, en compagnie son amie Attika Trabelsi.

En se laissant manipuler et ne disant pas d’où parlent les personnes et qui ils sont, les médias n’opèrent pas les bonnes distinctions et participent à l’extension de la zone grise, cette zone de transit vers la fanatisation religieuse. Ils l’étendent dans les perceptions en présentant les islamistes comme de simples musulmans et ils participent inconsciemment au travail de radicalisation en installant l’idée que la bonne musulmane est voilée, forcément voilée. En se laissant manipuler ils participent à l’assignation identitaire que subissent les musulmans de la part des islamistes. Ils participent ainsi à forger les représentations et légitiment la pression sociale qui pèse sur ces populations, ciblées par les islamistes. Sans s’en rendre compte ils participent du prosélytisme de la visibilité.
Enfin, ils oublient de faire le travail de base montrant les liens entre des groupes présentés comme différents alors qu’ils agissent toujours ensemble, font meetings et tribunes communes et investissent le champ de l’Université et de la culture par les mêmes biais. Le Parti des Indigènes de la république et les islamistes marchent main dans la main, unis par une exécration commune de la France et des français, de l’occident en général et portant aux nues l’Islam dont ils ne connaissent que la version politique et radicale. Cette galaxie qui va du PIR au CCIF en passant par l’ex-UOIF et qui s’étend sur le versant des feministes intersectionnelles et des islamogauchistes (une partie de Solidaires, de Sud, de la France Insoumise) participe de l’extension de cette zone grise. D’ailleurs le changement de nom de l’UOIF illustre toute cette stratégie d’extension de la nébuleuse : les islamistes de France se sont baptisés  « les Musulmans de France » puisqu’avec la plupart des médias il suffit de remplacer islamiste par musulman pour devenir fréquentable et intouchable.
Aujourd’hui, cette zone grise s’étend car elle a trouvé plus que des relais, elle a su forger des outils de légitimation de son idéologie et de sa violence. Par le biais de l’import des études de genre et des théories post-coloniales, les militants identitaires proches des islamistes jouent à la ségrégation, oubliant l’histoire réelle et les différences entre la France et les Etats-Unis. Ces nouveaux Faurisson, biberonnés à la falsification, instrumentalisent l’approche universitaire et scientifique pour délivrer des brevets de travail intellectuel à des militants et à des théories souvent aussi extrémistes que fumeuses. Lesquels militants se drapent dans leurs thèses ou doctorats pour faire passer leur idéologie pour de la science. Du coup les liens sont forts entre militants intersectionnels, notamment les féministes, les islamogauchistes institutionnels regroupés au NPA, à la France Insoumise ou qui sont en train de reprendre le PC, la mouvance frère musulmans (CCIF, Lallab, Bondy Blog, ex UOIF) et les salafistes. Ajoutons à cela des intellectuels qui agissent en militants mais se présentent en scientifiques, comme les Badiou, Burgat, Baubérot et autres Liogier et tous ces entrepreneurs du grand détournement de sens que sont les nouvelles associations qui naissent à la traîne des islamo-gauchistes, comme le « cercle des enseignants laïques » ou les institutions publiques dévoyées, comme l’Observatoire de la laïcité dont le dernier exploit est de présenter comme expert en laïcité un animateur de programme religieux, Asif Arif, qui demande à des prêcheurs comment convaincre des petites filles de porter le voile. 
Cette zone grise explique et favorise la montée de l’emprise des islamistes sur les musulmans car alors que l’on déroule le tapis rouge à une idéologie obscurantiste, personne ne donne du sens à ces principes spirituels que sont le concept d’égalité entre les hommes, d’émancipation, de laïcité, de créativité de la citoyenneté. Personne ne valorise un héritage universaliste qui est à la fois un legs, un combat et un horizon. Les politiques ont oublié que leur première fonction était symbolique et incarnée à la fois : ils donnent sens à notre monde commun pour que notre citoyenneté soit une alliance. Pire même, en refusant de le faire parce que ces questions d’identité et de sens sont casse-gueules, ils offrent un boulevard à ceux qui veulent définir l’être humain par son sexe, sa couleur de peau, la religion de ses parents ou son statut social en niant tout libre arbitre et toute possibilité d’exister hors du nous communautaire. Ils renforcent ainsi et l’extrême-droite et les islamistes. La montée des uns assurant ensuite l’ascension des autres, le cercle vicieux est bouclé.
Quand Hakim El Karoui explique dans son étude sur l’islam, réalisé pour l’Institut Montaigne que l’islam est utilisé pour 28% de la population musulmane, notamment chez les jeunes, comme un outil de rebellion contre la société française et l’occident en général, on voit sur le terrain le résultat du refus de combattre pour ce qu’il est l’islamisme. On le voit aussi avec cette frange de 25%, qui dit son attachement à la Charia. Cela n’est pas étonnant, quand on ne dénonce pas et que l’on refuse de combattre un totalitarisme, il vous gangrène. Quand on ne sait pas faire aimer et partager ce que l’on est et que l’on a offrir, on crée un peuple de consommateurs et pas de citoyens éclairés. C’est d’autant plus stupide que 46% des musulmans, selon cette étude, sont sécularisés ou en voie de l’être. La partie est loin d’être perdue mais il est plus que temps d’arrêter le déni et de refuser de continuer à mettre la poussière sur le tapis. La lâcheté et le « pas de vague », on aboutit à cette situation. Einstein le disait déjà : « la folie c’est de toujours faire la même chose et de s’attendre à un résultat différent. »

La republication sur Twitter d'un entretien avec "Christelle" fait par Vanity Fair, qui se dit victime de Tariq Ramadan, a valu à Anne Sinclair un flot d'insultes souvent antisémite. Dans cet article, la plaignante décrit les relais importants entre des mouvances telles que Egalité et Réconciliation d'Alain Soral et les Frères Musulmans. Le problème de cette zone grise n'est-elle pas qu'elle ne se résume pas à une idéologie cohérente mais est composée de revendications ethniques, religieuses, politiques très différentes, parfois concurrentes ?

Philippe d’Iribarne : Ce qui unit cette mouvance paraît plus relever du ressentiment et de la haine, associés à des théories du complot, que d’un projet construit. La haine des juifs en est une composante majeure, associée à la haine des anciennes puissances coloniales, des infidèles, des blancs, de la police, etc. Elle peut s’exprimer de multiples manières, parfois surprenantes. Ainsi, il y a quelques mois, on  vu exiger que tout ce qui portait le nom de Colbert soit débaptisé en raison de la place tenue par Colbert dans l’organisation de l’esclavage.

Céline Pina : C’est exact. C’est la limite de la stratégie Terra Nova et de la convergence des luttes. Quand vous voulez unir des combats différents, voire antagonistes, les contradictions ne sont pas minces. Voir la frange des LGBT qui s’allie au CCIF et à des islamistes, alors que ceux-ci les abhorrent et que les régimes qui adoptent cette idéologie ont tendance à les jeter du haut des immeubles, interroge. Qu’en est-il des femmes aussi, dont on voit bien que le voilement n’est que la première marche du refus de l’égalité et du classement en sous-humanité. La queue du mickey étant attrapée par les gauchistes, persuadés d’avoir affaire avec les islamistes aux derniers damnés de la terre à sauver et qui ne se rendent pas compte qu’ils sont les serviteurs de pétromonarchies et de régimes autoritaires pour qui l’ultralibéralisme et la corruption épuisent tout leur rapport à l’économie. Et voilà les chantres du marxisme s’alliant à des hypercapitalistes cul-bénits en croyant redécouvrir les lendemains qui chantent en mode oriental.

Alors que faire pour unir dans la lutte des intérêts si différents ? Et bien il faut un bouc émissaire, quelqu’un, quelque chose à haïr pour faire communauté dans le partage de cette haine. Alors toutes ces mouvances mettent en accusation l’Etat (policier, raciste, fascisant), les Français (racistes et dominateurs), la démocratie (qui n’est qu’un leurre puisqu’elle n’est pas parfaite) et ainsi de suite. Ils ne savent construire leurs militants que dans la haine, le rejet, la révolte stérile. Ils les envoient dans le mur, les rendent incapables de trouver leur place dans la compagnie des hommes et utilisent les échecs qu’ils provoquent pour les ancrer dans leur idéologie mortifère. C’est ainsi que les entrepreneurs de la haine identitaire, des Rokhaya Diallo aux Danièle Obono en passant par les Marwam Muhammad vivent très bien en empêchant l’intégration de pauvres gamins qui eux ne sont là que pour assurer le roulement de haine qui garantit leur place au soleil.
Ceci dit rien n’est nouveau dans ce monde. En général, un matin, l’un des groupes se lève plus tôt que l’autre et règle le problème de l’incohérence idéologique en supprimant petit à petit ses alliés. La résolution des tensions par l’élimination des acteurs (symbolique ou réel selon les époques ou les endroits du globe) est un concept certes radical mais assez efficace. En général, à ce petit jeu, c’est le plus extrêmiste qui gagne. C’est ainsi qu’en Syrie, l’alliance des démocrates et des islamistes contre Bachar El-Assad a vu les démocrates se faire éliminer par leurs « alliés » religieux, tandis que le président syrien est toujours là.

Quel rôle faut-il accorder dans la banalisation ou la dissimulation de la parole et du discours de prêcheurs comme Tariq Ramadan dans l'action de personnalités médiatiques comme Edwy Plenel ?

Philippe d’Iribarne : Tariq Ramadan a un discours remarquablement efficace en incitant les jeunes musulmans à s’affirmer français, à s’emparer de l’héritage français, contre la France. Il s’agit de récupérer dans cet héritage la possibilité de revendiquer des droits, et en particulier le droit à la liberté religieuse, alors même qu’il n’est pas question d’avoir un vrai respect pour cette liberté, dès lors que l’islam est mis en cause. Edwy Plenel paraît marqué lui aussi par un fort ressentiment contre la société française, ce qui l’incite à s’allier à tout ce qui l’attaque. Songeons au vieil adage « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». 

Céline Pina : Les prêcheurs ont un rôle essentiel, ce sont eux qui diffusent et ancrent l’idéologie au sein des consciences. Mais pour qu’ils puissent faire leur travail d’ensemencement, il faut qu’ils deviennent intouchables, que toute contestation soit plus dangereuse pour leur adversaire que pour eux. Dans un pays non démocratique, les armes pour imposer son discours et museler l’autre sont simples : menaces, propagande, voire élimination. En démocratie, l’arme fatale c’est la mort sociale, l’opprobre moral. Et là ce n’est pas le religieux qui peut agir, en revanche le journaliste peut, lui, être un sniper redoutable. Regarder comment on a fait taire les intellectuels en les menaçant de procès médiatiques en islamophobie, en racisme, en fascisme. Dès que vous contrariez une personne de cette mouvance, l’accusation d’être un suppôt du FN vient très vite, quand bien même vous avez combattu ce parti depuis votre entrée en politique et avez milité en son temps pour son interdiction, comme c’est mon cas.

Autre menace, l’accusation d’être clivant, intégriste. Et on a vu ressurgir à l’occasion une bien curieuse accusation : le laïcisme intégriste. C’est l’arme des lâches qui veulent en plus avoir bonne conscience et donner d’eux-mêmes une belle image. Le problème c’est qu’ils ne savent souvent le faire qu’en salissant les autres. Ceci dit cette accusation est très pratique. Elle permet de faire passer nombre de militants laïques et républicains pour des hystériques et leur ferme l’accès aux institutions. A la fin de la partie, Lallab, association proche des frères musulmans, intervient dans les lycées tandis que l’on est en train de gentiment supprimer l’initiative mise en place après les assassinats de Charlie Hebdo pour initier les enfants au dessin satirique. Un bien beau bilan !

Dans quelle mesure une laïcité intégriste, ressemblant de plus en plus à un athéisme militant et lui aussi très présent sur les réseaux sociaux a-t-il pu être l'idiot utile de la stratégie de personnalités comme Tariq Ramadan ?

Philippe d’Iribarne : Pour ceux qui partagent la haine de l’ancienne France, de la France des cathédrales, de tout son héritage chrétien, deux stratégies coexistent : soit s’attaquer à l’ensemble des religions dans une recherche de laïcité radicale, soit soutenir l’islam pour noyer l’héritage chrétien. Ceux qui privilégient la seconde stratégie peuvent considérer Tariq Ramadan comme un allié.

Céline Pina : Je ne connais pas d’idées qui avancent toute seules sur leurs petites papattes trapues. Une idée est toujours incarnée. Vous me parlez de « laïcité intégriste », alors qui sont ses figures de proues ? Ses incarnations ? Quand a-t-elle menacée qui et de quoi ? Quand l’a-t-on vu en œuvre ? Combien de prêtres égorgés, d’imams attaqués, de rabbins menacés par les laïques intégristes ? Peut-être qu’en évitant de reprendre des éléments de langage sans savoir de quoi on parle exactement, cela permettrait d’arrêter la confusion. Aujourd’hui c’est en reprenant le terme de laïque intégriste que la presse se fait l’idiote utile de Tariq Ramadan.

Après faisons quand même une mise au point. La laïcité ce n’est pas l’athéisme. On peut être laïque et croyant, ce n’est pas incompatible. Et si nous parlons de l’atheisme, la plus grande partie des athées sont extrêmement discret et s’il existe des athées militants, on ne peut pas dire que leur parole soit ni assourdissante, ni très relayée. Le laïque intégriste est largement un leurre envoyé aux journalistes. Il est là pour faire oublier que le problème de l’islamisme n’est pas religieux mais politique. C’est un totalitarisme qui se dresse en face de nous et qui met au cœur la religion parce que c’est la meilleure manière de manipuler les êtres humains, sans avoir jamais rien à prouver, puisque que la récompense ultime est dans l’au-delà.
Si je ne crois pas qu’il y ait une laïcité intégriste, en revanche il existe bel et bien un dévoiement de la laïcité quand le terme est repris par l’extrême-droite pour s’en prendre à tous les musulmans, alors qu’ils sont les chantres d’une France blanche et catholique. 

Comment faire la différence aujourd'hui entre ceux qui sont perdus (par exemple Abdelslam) et ceux qu'on peut encore sauver et réintégrer à la société ? Que faire concrètement, au-delà des discours qui ne cessent d'affirmer que cela ne relèverait uniquement que du rappel des principes républicains et de la « morale » nationale ?

Philippe d’Iribarne : Il n’y a que quelques années qu’une prise de conscience du fait qu’il y a quelque chose à faire commence à émerger et, si les actions sont encore balbutiantes, elles commencent à prendre corps . Ainsi, on commence à s’attaquer réellement aux prêcheurs de haine dans les mosquées et quand on voit le rayonnement qu’ont pu avoir certaines mosquées salafistes (pensons à une mosquée qui vient d’être fermée à Marseille) cela ne paraît pas vain. La nouvelle  présidente du Conseil des programmes du ministère de l’éducation, Souâd Ayada, vient de prendre une position très ferme sur la manière sur la manière d’enseigner l’islam, qui doit « répondre aux exigences de l’histoire critique » et cesser d’être complaisante. Un grand problème posé par l’intégration de l’islam dans la société française est qu’il mêle intimement trois domaines que notre société distingue soigneusement : ce qui relève des sphères religieuse, sociale et politique. Il met en avant les droits religieux pour soutenir des revendications essentiellement sociales et politiques, telle celle du droit à porter une « tenue islamique » (tenue dont on voit bien quels conflits elle suscite dans les pays musulmans entre ceux dont les orientations politiques s’opposent). Il paraît essentiel à la fois dans l’action des musulmans eux-mêmes et dans l’évolution du traitement de l’islam d’aboutir à bien distinguer ces diverses sphères et à faire en sorte que la protection de la liberté religieuse ne concerne que ce qui relève effectivement d’une liberté religieuse.

Il me paraît important aussi de montrer à ceux qui se laissent séduire par les discours leur affirmant que la France n’aime pas l’islam et les musulmans en tant que tels, de quelque manière qu’ils agissent, combien ces discours sont mensongers. Il est frappant de voir que, dans les enquêtes portant sur le sentiment d’être discriminés, la grande majorité des musulmans déclarent qu’ils n’ont jamais l’occasion d’éprouver un tel sentiment. En fait c’est ceux qui montrent par leur manière d’être qu’ils ne sont pas prêts à respecter les us et coutumes de la société française qui sont rejetés, mais ceux qui les respectent n’ont pas de mal à s’intégrer.

Céline Pina : Je ne sais pas et au vu de ce que je lis sur la déradicalisation, les psychiatres ne savent pas faire non plus. Il faut relire David Thomson pour comprendre que la plupart de ceux qui sont radicalisés ne sont pas récupérables. Des années après l’élimination de Hitler, des psychiatres travaillant sur les personnalités nazies montraient que pour la plupart elles n’avaient pas changé d’idéologie mais ne l’exprimaient plus, les temps n’étant guère cléments pour ce faire. Je crois que dans le cas des jihadistes, c’est la même chose.

Mais si les nazis n’ont pu être dénazifiés, ils ont pu être neutralisés : le fait d’avoir été vaincus mais d’être de surcroît déconsidérés, méprisés, d’être devenus la honte du genre humain a fait que ceux qui n’avaient pas changés d’idéologie se sont tus et que pour les autres, cette idéologie a été un repoussoir, une source de honte. Aujourd’hui ce sont les laïques que l’on préfère attaquer et affaiblir en les traitant d’extrêmistes ou d’intolérants. Il va être plus compliqué de redonner sens dans un tel contexte à la liberté, la démocratie, l’égalité des hommes…
D’ailleurs aujourd’hui, si on sait combattre le jihadisme, que fait-on pour lutter contre l’islamisme ? Rien ou si peu. Nabil Ennasri a pu faire une thèse indigente sur l’âme damnée des frères musulmans, El Qaradawi parce que l’Université fait semblant de ne pas voir qu’elle est devenue pour les islamistes et leur cohorte racialiste, une machine à blanchir de l’idéologie pour la recycler en science. Au nom des libertés académiques, elle s’interdit toute exigence de rigueur et de recherche, au point que le doctorat n’est plus une référence dans certains domaines. Le fameux Rachid Abou Houdeyfa qui expliquait qu’en écoutant de la musique les enfants pouvaient se transformer en singes ou en porcs et que si une femme sortait sans voile de chez elle, il était normal qu’elle se fasse violer, est diplômé en religion, droit et vie sociale et a tous les prérequis pour devenir référent laïcité. On nomme des proches des Indigenistes qui n’ont de cesse d’instruire le procès de la France en racisme au sein d’institution liées à l’Etat, comme ce fut le cas avec Rokhaya Diallo et la liste est longue…
Ne revenons pas sur le refus ou l’incapacité de nos politiques à donner sens à notre contrat social, à notre histoire et à nos idéaux, mais le point est crucial car cette incapacité à donner du sens désarme tous les individus. Attaqués par une idéologie construite et offensive, confrontés au silence des élites, ils n’ont plus les mots et voient ce en quoi ils croient reculer sans avoir les armes verbales pour les défendre. Là est le premier abandon. Or le poisson pourrit toujours par la tête. Si la représentation nationale ne fait pas son travail, alors les institutions ne peuvent le faire. Quand on affiche en catimini des posters dans les écoles sur la laïcité, sans avoir osé d’abord dire que les problèmes étaient réels et conséquents, sans que le Président et les ministres aient rappelé l’importance de la laïcité dans la construction de notre nation, de notre rapport à l’autre, de notre goût pour la liberté, vous croyez vraiment que les directeurs d’école, en première ligne en permanence, vont faire le travail devant lequel les politiques se défilent. Non. Et on ne saurait leur donner tort. Et voilà comment on s’affaiblit encore un peu plus.
Il faut aussi poser des actes symboliques. Je suis contre le retour des jihadistes et de leur famille dans notre pays. Ces gens ont fait un choix en conscience, ils ont brulé leur passeport, rompu avec leurs compatriotes, participé à leur niveau à cette œuvre de mort. Ils ne sont plus nos compatriotes et sont devenus indignes de notre solidarité. C’est trop facile de se mettre au service du terrorisme et de réclamer son ticket de retour quand les choses tournent mal et parce qu’on est vaincu militairement. Mais cette fermeté fait passer un autre message : celui de la responsabilité, contre l’infantilisation qui caractérise souvent la radicalisation de la chair à canon jihadiste.
Il faut assumer aussi des évolutions du droit si elles sont nécessaires et renouer avec le courage. Si les personnes qui se permettent de refuser de serrer la main à une femme parce qu’elle est femme ou de s’asseoir là où elle s’est assise parce qu’elle est impure, écopaient de licenciement pour fautes lourdes, le petit jeu s’arrêterait assez vite. Si à la première agression antisémite à l’école, c’était l’agresseur qui était puni et si ses parents devaient aussi s’acquitter d’une peine envers la société, gageons que certaines choses se calmeraient. Or si l’encadrement intermédiaire dans les entreprises est conscient de cela, la couardise des directions en revanche laisse souvent les gens sur le terrain dans les difficultés, quand ils ne les désavouent pas devant les fauteurs de trouble car la meilleure façon de grimper les échelons c’est d’enterrer les problèmes. Je me souviens à ce sujet du témoignage d’un médecin dont le chef de service, un homme courageux, avait posé des règles très simples face aux revendications religieuses intégristes : le refus et la porte. Curieusement le service n’est pas moins fréquenté et les pressions se sont arrêtées. 
Enfin il faut assumer l’opprobre social, tout en garantissant l’intégrité physique des personnes. Par exemple expliquer clairement à la femme voilée que le signe qu’elle porte a du sens. Il signifie l’impureté de la femme et son infériorité, il est incompatible avec notre constitution et nos principes. Pour autant il n’est pas interdit et nul n’a le droit de l’agresser parce qu’elle arbore ce drapeau. En revanche, si elle ne trouve pas de travail et est isolé socialement, il faut assumer le fait que c’est son choix. Elle n’est pas victime, elle a choisi la marginalité. Il est normal, quand on crache au visage d’une société, que l’on ait du mal à y trouver sa place. Une telle fermeté, verbalisée pour que les règles soient claires et sans agressivité, pourrait changer la donne. 
Aujourd’hui, ce que les islamistes posent est un rapport de force, ils se positionnent en force virile, la douceur et la modestie, comme la tolérance sont la plus stupide des réponses. Seul la fermeté marchera. Quand il y a séduction, c’est plus compliqué mais cela se combat comme on a toujours combattu les totalitarismes : en accordant du prix au doute, à l’hésitation, en misant sur la liberté, en valorisant le libre arbitre et la responsabilité. Simplement en étant là, présent. On le voit souvent, dans le basculement vers la radicalité il y a aussi nombre de ruptures sociales et familiales. Il serait peut-être temps de s’interroger sur la réalité de nos structures en matière sociale : la prise en charge des enfants en souffrance est une catastrophe chez nous, les IMPP, chargés dans les banlieues difficiles d’épauler les parents et d’aider les enfants en souffrance souffrent d’une pauvreté crasse. Bref d’arrêter de vivre en théorie, de croire que tout fonctionne et s’intéresser au réel. Pour l’instant il est difficile de dire ce qui a échoué. En matière sécuritaire le boulot est fait, en termes de reconquête politique, de fermeté réelle et d’accent mis sur l’intégration, c’est Waterloo, morne plaine…

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