#EhpadEnDanger : les failles de plus en plus visibles du management du gouvernement <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
#EhpadEnDanger : les failles de plus en plus visibles du management du gouvernement
©Reuters

A la dérive

Les ministres experts du gouvernement sont en train de démontrer qu’ils sont des employeurs socialement beaucoup moins responsables que les entreprises qu’il prétendent réglementer. La crise dans les prisons et aujourd’hui dans les EHPAD le montre une nouvelle fois: le « management » des services de l’État par ces ministres issus de la société civile laisse fortement à désirer

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

On le sait: les capacités managériales de Nicole Belloubet, ministre de la Justice, ont fait suer de grosses gouttes à Emmanuel Macron. Le conflit social dans les prisons a soudain révélé une faille dans la carapace gouvernementale.

La pratique de l’accord minoritaire au ministère de la justice

Il aura fallu 13 jours pour que la sortie de crise s’amorce dans les prisons. Pour ce faire, la ministre a signé un accord minoritaire au moment même où les ordonnances Macron font l’éloge de l’accord majoritaire. Seule l’UNSA (40% des voix) a signé un relevé de conclusions conspué par FO et la CGT. 

On lira utilement les conclusions des non-signataires pour comprendre la méthode utilisée par la ministre pour « casser la grève ». Dans la pratique, le gouvernement a réduit la gestion du conflit à une relation bilatérale avec un seul syndicat bienveillant, reçu en priorité et avec qui l’essentiel de la négociation s’est déroulé dans la dernière journée. 

Combien d’entreprises d’une taille analogue à l’administration pénitentiaire s’offrent encore le luxe de centrer leurs discussions sur un seul syndicat pour résoudre les questions vitales? L’exemple des (non-)accords de compétitivité de Pimkie ou de PSA montre que cette technique éculée n’a plus sa place dans le secteur privé. Une fois de plus, l’État donneur de leçons aux entreprises a dévoilé le visage d’un État employeur dépassé par l’ampleur de sa tâche.

Un accord obsolète

Au passage, la lecture des mesures prises par la Chancellerie pour résoudre la crise laisse un peu rêveur. Une grande partie de la solution est liée à l’augmentation des moyens en personnels et des primes. On peut comprendre l’utilité de ces mesures. On reste néanmoins un peu sur sa faim. 

Combien d’entreprises apportent-elles encore aujourd’hui une solution financière au mal-être des salariés ou aux difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leurs missions? Il suffit de comparer le complexe dispositif dans le domaine de la pénibilité avec l’accord finalement retenu par la Chancellerie pour mesurer la faible attention apportée par le service public au confort de ses salariés. 

Là encore, il n’est pas sûr qu’une entreprise privée de taille analogue pourrait s’offrir le luxe de régler les problèmes avec aussi peu d’imagination.

Les « capacités managériales » d’Agnès Buzyn

On se souvient qu’à la mi-décembre, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a sorti une phrase bien sentie sur le manque de « capacités managériales » dans un certain nombre de maisons de retraite désormais appelées pudiquement EHPAD. Elle se ramasse aujourd’hui une grève en bonne et due forme sur l’ensemble du territoire. 

Combien de patrons auraient survécu à une bourde de ce genre? Il faut une étrange conception du management pour expliquer publiquement que la grogne des personnels provient d’une faiblesse du commandement intermédiaire. Car, même si c’est vrai, un dirigeant d’entreprise sait que l’aveu public qu’il peut en faire ne fera qu’aggraver le mal. 

Ce faisant, on s’interrogera sur le savoir-faire de la ministre en situation de commandement. Personne n’a de doute sur ses capacités techniques dans le domaine médical. En revanche, ses performances tant sur le plan de l’économie de la santé que sur son approche de la diversité d’opinion laissent un peu perplexe. 

Une absence de réponse qu’aucune entreprise ne pourrait se permettre

S’agissant des EHPAD, l’absence de réponse ministérielle sur le fond souligne une fois de plus l’incapacité de l’État employeur à se mettre au niveau des entreprises privées. On lira d’ailleurs la tribune des organisations syndicales concernées (truffée de fautes d’orthographe) pour mesurer le naufrage managérial que représente la gestion buzynienne des dossiers. 

On y apprend que la ministre refuse de recevoir les représentants syndicaux en grève. Mais on a vu dans quelle entreprise? que le patron refuse de rencontrer les salariés qui en font la demande collective… Ce genre de petit geste de mépris serait durement payé dans la presse.

Une crise très prévisible

La tension dans les EHPAD et les hôpitaux n’est pas nouvelle. Ces organisations sont soumises à d’intenses pressions financières et à des contraintes délirantes. La logique de concentration constante des établissements, au nom du dogme technocratique du « big is beautiful » déshumanise progressivement les structures. La gestion mal ficelée des 35 heures dans la foulée de la suicidaire Martine Aubry oblige les personnels à travailler à flux tendu… les jours où ils sont là, pendant qu’ils empilent des congés délirants qu’ils peuvent difficilement prendre. 

Que ces personnels se heurtent désormais à un mur de la part de la ministre illustre là encore la pauvreté managériale des services de l’État, pourtant toujours prompts à donner des leçons aux entreprises. Le malaise global de ces structures, le fort taux de conflictualité qui y sévit, la souffrance au travail qui y règne, exigent de l’employeur final, ou du donneur d’ordre qu’est l’État, une prise en compte en bon père de famille. 

Là encore, l’opinion publique ne tolérerait un pareil mépris pour le « petit personnel » d’aucune entreprise privée. Seule la technostructure drapée dans la dignité de « l’intérêt général » peut se permettre de fouler au pied avec autant de morgue les principes élémentaires d’un management socialement responsable. 

Le gouvernement des experts est-il adapté aux temps de crise?

Les prisons comme les EHPAD montrent les limites d’un recours au gouvernement des experts. Par temps de paix, si l’on ose dire, ces experts sont parfaits. Ils peuvent déployer toute l’étendue de leur savoir. 

Mais que le vent se lève et que la colère gronde, alors… ces capitaines de pédalos se révèlent autant de handicaps pour franchir les obstacles. Leur raideur et leur incapacité à réagir de façon agile aux difficulés peut transformer un coup de vent en tempête. 

C’est que l’art de gouverner dans les salons parisiens, bien connu d’Emmanuel Macron, n’a rien à voir avec l’art de naviguer sur un océan battu par les vents. Les petites manies qui font la fortune des courtisans dans les dîners en ville sont autant de défauts qui agacent des Français peu habitués à l’esprit de coterie. 

Pour le savoir, il faut avoir été élu local ou avoir blanchi sous le harnais de la vie publique. Et cette maturité-là ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !