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Le monde à l'envers
#ProtégezVosGosses : Nikita Belluci, la star du X qui alerte les parents français sur leur inconscience face à l’effarante consommation de porno de leurs enfants (et elle reçoit des “propositions” de gamins de 12 ans…)
On aura tout vu : désormais ce sont les stars du porno qui tirent la sonette d'alarme. Nikita Belucci, actrice pornographique, a envoyé plusieurs tweets pour dénoncer la consommation juvénile de contenu porno sur le web.
Pascal Neveu
Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).
L'actrice Nikita Bellucci s'est insurgée après avoir reçu des propositions sexuelles de la part de jeunes garçons parfois âgés de tout juste 12 ans. Le langage très cru employé par ces jeunes l'a convaincu d'envoyer un message d'alerte à destination des parents. Doit-on considérer comme elle que "les gosses tombent trop facilement" sur du contenu pornographique aujourd'hui ? A quel âge découvre-t-on ces contenus aujourd'hui ? Est-ce beaucoup plus tôt qu'auparavant ?
Message pour ceux qui ce soucis de leurs gosses ...
— Nikita Bellucci (@NikitaBellucciX) 15 janvier 2018
Ou pas ! pic.twitter.com/rQ063v9Nkd
Pascal Neveu : La question centrale repose sur l’émergence des pulsions sexuelles, de l’expression de ces désirs et du passage à l’action entre un « monde » fantasmé et une réalité sexuelle. Car l’adolescent est en prise avec le retour d’un monde pulsionnel qu’il a du sublimer très tôt. La question sexuelle et érotique est très vaste. Essayons de la résumer simplement. De l’enfant en bas âge qui découvre son corps via un auto-érotisme et des actes masturbatoires qui décontenancent forcément tout parent (et pour cause, nous avons oublié, refoulé ce que nous avons nous-même vécus), l’amenant à développer son narcissisme,… à la création vers 5 ans de son Surmoi (le monde des interdits, de la loi morale et sociale) qui finalise la crise oedipienne où il se pensait pouvoir posséder tout ce qu’il voulait et satisfaire ses désirs… il existe ce que Freud appelle le côté pervers polymorphe de l’enfant : je jouis de ce que je veux, quand je veux et comme je veux… Freud précise même que cet état libidinal est le plus puissant, jamais retrouvé par la suite car dès lors canalisé psychiquement afin de ne pas être débordé par une sorte de tsunami pulsionnel.
Mais chaque personne ne vit pas ces premières années de la même façon, n’organise pas sa vie libidinale comme les autres, et va donc singulièrement développer des étayages différents, certains développant une vie sexuelle « classique », d’autres avec des zones érogènes préférentielles, d’autres des fantasmes et pratiques sexuelles allant du fétichisme au sado-masochisme en passant par l’échangisme, le voyeurisme… Finalement tout ce que la pornographie propose, présente et apporte à travers ces catalogues de sites. C’est en ce sens que tous ces sites sont attractifs et qu’on y fait son « marché ». Le monde de la sexualité appartient au monde d’adultes consentants face auxquels en tant que thérapeute je considère que nous n’avons aucun jugement à avoir. Mais elle est déjà vive chez les ados.
Depuis 10 ans je participe très régulièrement à une émission donnant la libre antenne à des hommes et femmes évoquant leur sexualité et leurs difficultés, nous abordons souvent la pornographie… sans le moindre tabou. Car le mot le plus recherché sur Google est sexe ! Et c’est le mot que les ados vont taper le plus régulièrement. Pour quelle raison ? Lors de l’adolescence le jeune pubère est en proie aux effervescences d’un corps qui change, qui se transforme… mais aussi des émotions et désirs qui l’envahissent… ainsi que des rêveries érotiques.
Pollutions nocturnes chez le garçon, première menstruation chez la fille… jeux de mots à l’école, comparaison avec l’autre, premiers flirts… échanges de photos… L’enfant sort d’un stade dit de latence (après 5 ans l’enfant sublime ses pulsions en entrant à l’école, en apprenant, faisant du sport…) mais « subit » le retour du refoulé : sa libido ! Il n’a pas oublié ses questionnements quant à la différence des sexes, il n’a pas oublié qu’il se passe quelque chose dans la chambre parentale… il fouille et parfois tombe sur des vidéos, des sextoys, des magazines… Il ne faut pas se voiler la face. Et l’accès à internet et les smartphones (malgré les filtres parentaux) a totalement accru la possibilité de découvrir via de si nombreux sites internet ce qui lui semble être la sexualité : la pornographie.
Le porno devient alors pour tout ado une sorte de « tremplin » vers la sexualité. Il va imaginer, fantasmer, se masturber… mais aussi tomber en « affect » pour des « stars » qu’il considère comme détenteurs d’un modèle sexuel. Le leurre se situe là. Se sentant alors devenir adulte, maître de son corps et de ses désirs, il confond pornographie et sexualité.
Rappelons quelques chiffres :
- Entre 14 et 18 ans, 80 % des garçons et 45 % des filles de 14 à 18 ans ont déjà vu un film X dans l'année (1 garçon sur 4, 1 fille sur 5 en ont visionné au moins dix).
- A 10-11 ans, 50 % des garçons et 25 % des filles ont déjà regardé un film.
- A 13 ans le porno « distrait » 50 % des garçons, « plaît » à 30 %, et 20 % le classent dans les « favoris ».
Comment réagissent-ils au premier visionnage, à 10-11 ans ou plus jeunes ?
- côté garçons : ils « sont surpris et ont peur », se sentent « embarrassés » ou « coupables et confus ».
- côté filles : 50% des filles se disent « dégoûtées », 25% « choquées », 25% « surprises ».
Le marché de la pornographie chez les adolescents est énorme. Il représenterait 260 milliards de dollars aux Etats-Unis. Autrement dit il ne faut pas banaliser ce qui se joue actuellement. Le questionnement sexuel, lui, est normal, mais le jeune ado a besoin de dialogue face à ce qui lui tombe dessus, pouvant mener à des débordements. Car il y a tout de même quelques films, vus avec détachement, qui peuvent permettre à des jeunes femmes et des jeunes hommes, ados, de mieux appréhender la sexualité. Cela nécessite bien évidemment d’avoir le recul suffisant. Je l’ai vu en consultations en débriefant avec des patient(e)s sur ce qu’ils avaient ressentis et retenus. Tout est histoire de dialogue et de ramener le tout à la réalité.
Nikita Bellucci dénonce le manque de pédagogie et d'éducation inculquées par les parents. Elle remet notamment en cause le fait d'avoir un accès illimité aux réseaux sociaux dès leur jeune âge. Le porno "éduque"-t-il les enfants aujourd'hui ? Comment peut-on reprendre en main l'éducation d'adolescents sur ces questions dans un monde où internet permet de contourner toutes les restrictions ? Quel rôle doivent tenir les parents ?
Le porno ne peut en aucune manière apprendre la sexualité à des enfants ou ados. L’enfant et l’ado ont besoin d’affect, d’amour… qui ne sont nullement présents dans les films X.
On peut trouver une ébauche d’affect chez 3 réalisatrices de films pornographiques françaises qui ont souhaité ces dix dernières années réaliser des films pour des femmes, mais l’essentiel des films sont tournés pour les hommes avec des scènes qui ne laissent pas de place à la séduction, à l’amour, mais au sexe direct, avec des pratiques de plus en plus hard que l’enfant et l’ado ne peuvent pas comprendre.
Depuis des années tant les professionnels de la santé que d’anciennes stars du X dénoncent l’effet très négatif de l’exposition trop facile de ces films chez l’ado qui s’imagine que c’est la réalité… et n’a pas conscience que ce sont des acteurs rémunérés remplissant des fantasmes. Découvrir que des parents souhaitent montrer la sexualité à leurs enfants en leur montrant un film X en le commentant nous fait prendre conscience que nous sommes très en retard sur l’éducation sexuelle.
Car à travers cette éducation sexuelle, ces quelques heures de cours au collège qui mettent mal à l’aise le corps enseignant non préparé, les élèves qui vont en rire… c’est toute l’éducation des relations de respect homme/femme qui doit être inculquée. Et je passe le fait que parmi ces ados, il y a de jeunes homosexuel(le)s qui n’ont pas la parole et qui sont à un âge extrêmement fragile ! (l’homosexualité est la principale cause de suicide chez les 15-25 ans)
Les pouvoirs publics ont le devoir d’amener une réflexion sur la sexualité, sur le respect du corps, du sien et de l’autre, et d’évoquer sans tabou ce registre si vaste de la sexualité. Nombre d’associations participent à des programmes d’éducation au sein de collèges/lycées. Les parents n’ont pas à déléguer auprès de l’éducation nationale, mais ils ont le devoir de transmettre leurs expériences émotionnelles sur les sujets de l’amour et de la sexualité. Mais je sais ô combien la difficulté de répondre quand un enfant vous demande comment il est né car il ne croit plus en la cigogne !
Des livres, des dessins animés sont là pour nous aider à trouver les mots, sans tabou… et quand ils grandissent et nous demandent ce qu’est la « sodomie »… d’y répondre simplement avec son cœur, en lui demandant d’où vient cette question, de lui expliquer… Et tout comme l’enfant et l’ado a accès à internet, ne pas hésiter à aller voir sur certains sites ce que d’autres parents ont répondu à leurs enfants! Nous sommes tous passés par là !L'affaire a été commentée jusqu'à l'étranger. Nikita Bellucci affirme qu'elle ne "devrait pas avoir honte" de sa profession. Ne devrait-on pas regretter qu'une personnalité telle que Nikita Bellucci (qui s'est fait connaître de ce public jeune en participant à un clip pornographique de rap) soit malgré tout traitée comme une célébrité lambda, à commencer par les médias ?
Je n’ai pas à juger Nikita Belllucci. Personne ne connaît sa vie et les raisons de cette vie professionnelle durant quelques années. J’ai croisé jusqu’à présent énormément de personnes que la société actuelle lapiderait, sans savoir. Personnellement je trouve sa réaction très interpellante. Ce qui me parle c’est sa lucidité à dire « non, pas ça… pas un enfant, pas un jeune de 11-12 ans me prenant pour un objet à son âge ». Elle en a toute la légitimité.
A nous de nous questionner. Qu’une star du X actuelle nous mette en garde, alors que le milieu X souffre depuis quelques temps d’assassinats, montre que nous avons sans doute basculé dans quelque chose que nous commençons à ne plus contrôler. Ce quelque chose n’a pas de nom… car il est du registre de la pulsion qui se libère. Les 2 forces antagonistes de l’être humain sont la pulsion de vie et la pulsion de mort. Ce sont les plus puissantes, qui peuvent s’avérer les plus violentes. Bien évidemment certains minimiseront les propos de « gamins » de 12 ans évoquant une sexualité très crue… en disant que « c’est pour rire »…
Mais tout est question de maturité.
Sur le plan sexuel, j’ai reçu des patients qui avaient débuté une sexualité dès 14 ans, sans traumatisme, mais qui avaient, dès cet âge, une maturité psychique pour bien le vivre, venant me consulter pour un accident de vie sans lien avec leur sexualité « classique ». Nous ne sommes plus dans la même configuration avec l’usage d’internet et d’une pornographie nouvelle, que les couples ou personnes seules exhibent ainsi que toutes formes de pratiques… accessibles.
Le Royaume-Uni vient de passer un « Digital Economy Act » qui prévoit notamment d'introduire une technologie permettant de contrôler l'âge de la personne qui consulte le site pornographique, afin de vérifier qu'il a bien 18 ans. Pensez-vous qu'un tel type de mesure est souhaitable ?
Cette dernière loi récemment adoptée, qui doit être mise en application courant 2018 (18 comme l’âge légal…), pose d’énormes soucis. Vérifier l'âge d'un utilisateur sur Internet est un processus qui va nécessiter le transfert de données personnelles intimes. Quid de la vie privée et de la création d'une base de données qui stockera des informations, telle une empreinte de notre vie sexuelle ?
Explication : un utilisateur de site X devra s'inscrire à AgeID avec son adresse e-mail et doit prouver son âge de plusieurs façons. Si l'âge est approuvé, l'utilisateur recevra un cookie Web pour son appareil qui lui donne un accès transparent à la pornographie, ce cookie laissant également un enregistrement numérique des autres sites et pages individuels que l’utilisateur visite, ce qui permet de suivre et de relier toute une mine d’or d’informations : banque, médecins, activités, centres d’intérêts…
Aussi, que se passera-t-il en cas de hacking de ces données ? N’oublions pas le hacking en 2015 du site d’infidélité Ashley Madison qui a vu nombre de personnes cédant à des maîtres chanteurs, menant à des licenciements, démissions et suicides ? Et quand on sait ce que les Tabloïds anglais sont prêts à faire et payer pour étaler la vie sexuelle de personnalités… Tout cela nous renvoie à la question du consentement. Mais la curiosité, surtout à un âge où la transgression est importante, fera que le contournement de toute mesure sera légion.
Je pense que la prévention est la meilleure des solutions. Elle appartient à chacun de nous, sans reporter la responsabilité principale à quelconque. Nous sommes tous responsables. Quand j’ai en consultations, ou lors d’interventions des ados, des enfants, j’aborde tous les sujets, sans tabou. C’est un regard, une réflexion, une contribution… les amenant à réfléchir… mais toujours avec comme finalité de parler de la vie vraie, pas fantasmée.
Ils ont le droit de fantasmer. Ils auront le droit de vivre leur sexualité bien évidemment consentie de part et d’autre. Mais ils ont avant tout le devoir de rester des êtres humains respectueux d’eux-mêmes et de leurs prochains. Quelqu’un écrivait : « La pornographie on a du mal à la définir, mais dès qu’on la voit, on la reconnaît tout de suite. » Gageons qu’on continue à reconnaître et/ou différencier ces mots : amour, sexualité et pornographie.
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