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Quand Jean-Luc Mélenchon injecte des touches de conservatisme sociétal dans son discours sous couvert de dénonciation du libéralisme
©BORIS HORVAT / AFP

Adaptation

Leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon n'hésite pas à saupoudrer son discours de touches de conservatisme, comme sur l'immigration économique ou la gestation pour autrui.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Jean-luc Mélenchon, dans diverses apparitions médiatiques a ponctué ses interventions par des touches de conservatisme, notamment sur les questions d'immigration économique ou plus récemment chez David Pujadas où il a tenu un discours opposé à la GPA. Quelle stratégie cela peut-il laisser entrevoir ?

Christophe Boutin : Vous faites allusion à deux choses différentes dans le temps, et il faut le préciser pour éviter de donner l’impression d’une sorte de « virage idéologique » du leader de la France Insoumise : la première est une critique faite en 2016 de la gestion de la politique d’immigration ; la seconde est sa récente critique du principe même de la gestation pour autrui (GPA), les fameuses « mères porteuses ».

Il faut ensuite se demander quelle est la cohérence de ces deux approches, si elles relèvent du même paradigme, avant que d’examiner s’il s’agit d’un choix stratégique.

La cohérence entre ces deux interventions de Jean-Luc Mélenchon – et c’est peut-être là en effet que l’on pourrait parler de conservatisme, en opposition en tout cas au progressisme moderne - réside dans son refus de voir une partie de la population subir des conditions de vie indignes au seul motif de sa survie économique.

Ce qu’il critiquait en 2016, et qui avait d’ailleurs été mal compris par certains, ce n’était pas tant l’immigration que l’Europe pouvait connaître, que l’émigration forcée de millions d’hommes chassés de chez eux par, disait-il, « la guerre et la misère ». Selon lui, la plupart de ces migrants auraient préféré mener une vie normale chez eux et ne pas être durement ballotés pour finir comme force de travail de substitution, coupés de leurs racines, à l’autre bout de la planète.

C’est ce même danger de choix subi qu’il dénonce dans la gestation pour autrui : un pas de plus dans la marchandisation de l’humain, réduit malgré lui, dès lors qu’il est pauvre, non plus seulement à vendre sa force de travail, mais maintenant aussi très directement son corps - une progression qui ne choquait nullement un Pierre Bergé.

On le voit, dans les deux cas, les critiques de Jean-Luc Mélenchon visent à démasquer le discours ultra-libéral qui se cache derrière les images de la mondialisation heureuse, à mettre en évidence l’inégalité abyssale existant entre les supposés contractants, et l’absence de liberté réelle de choix de ceux qui ne font jamais que subir pour survivre.

Est-ce que le leader de La France insoumise ne risque pas là de crisper son électorat "traditionnel" ou au contraire est-ce que cette stratégie est susceptible de fonctionner pour élargir son socle électoral ?

Discours cohérent, qui puise aux racines d’une gauche - pas uniquement marxiste d’ailleurs - opposée aux effets déstabilisateurs d’un certain ultra-libéralisme économique sur les structures sociales comme à ses conséquences sur l’image qu’a l’individu de lui-même, l’approche de Jean-Luc Mélenchon semble devoir surprendre une part au moins de son électorat traditionnel. Pas celle qui est historiquement issue des vestiges du parti communiste, pour lesquels les éléments sociaux structurants restent importants. Mais Jean-Luc Mélenchon a aussi rassemblé dans la France Insoumise une jeunesse totalement acquise à un ultra-libéralisme culturel – qu’elle combine de manière parfois curieuse avec son antilibéralisme économique.

Si l’on regarde par exemple les résultats du sondage ifop/l’express de décembre 2017 sur les priorités des Français, on constate que, qu’il s’agisse de GPA pour un couple hétérosexuel, ou plus encore pour un couple homosexuel, ce sont les électeurs de Mélenchon qui y sont le plus largement favorables.

Les choses sont un peu moins évidentes en ce qui concerne l’immigration puisque, dans le même sondage, ce sont les électeurs de Mélenchon qui, à gauche, en trouvent le rythme trop élevé et sont les moins favorables à l’accueil des migrants. Mais reste à savoir s’il s’agit bien ici prioritairement d’une critique des conséquences de l’émigration forcée, comme chez leur leader.

S’il choque l’ultra-libéralisme culturel d’une part de son électorat – un ultra-libéralisme culturel progressiste et individualiste que l’on retrouve chez les électeurs de Benoît Hamon et bien sur d’Emmanuel Macron –, ce type d’approche de Jean-Luc Mélenchon, en ce qu’il retrouve certains fondamentaux, pourrait séduire des électeurs de la France périphérique, perdants de la mondialisation, dont certains, venus de la gauche, ont même pu être tentés par le vote d’extrême droite.

Quelle est la philosophie politique qui se cache derrière cette démarche selon vous ? Peut-on citer des précédents ?

 La gauche française n’a pas attendu Jean-Luc Mélenchon pour produire un discours dénonçant l’antihumanisme de sociétés où des individus isolés, coupés de leurs cercles d’appartenance, ne peuvent que subsister péniblement au quotidien. Quand elle ne dérapait pas dans les perspectives utopiques des Fourier, Cabet et autres Considérant, cela donnait les analyses proudhoniennes. Loin de chercher la fuite en avant d’un progressisme à tout crin, cette pensée cherchait au contraire à préserver – à conserver oserait-on dire – ce qui permet de protéger l’individu.

La nouveauté vient, comme nous l’avons signalé, de ce que cette gauche moderne actuelle qui prétend critiquer radicalement l’ultra-libéralisme économique, sa mondialisation et sa marchandisation des êtres, est en même temps, pour nombre de ses membres, totalement acquise à un ultra-individualisme et à un total relativisme qui ne sont qu’une autre facette idéologique du même ultra-libéralisme.

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