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La séparation de l'Eglise et de l'Etat ne peut être comprise comme un principe universel - sinon comme principe chrétien
©Reuters

Bonnes feuilles

Il y a trente ans, quand on voulait être prix au sérieux, on parlait politique; évoquer la religion, en revanche, était le meilleur moyen de faire rir. Aujourd'hui, la situation s'est inversée: la religion fascine, inquiète, et la peur s'installe à l'égard de certaines de ses formes, voire de la violence que, suppose-t-on, elles fomentent. Extrait du livre "Sur la religion" de Rémi Brague, publié chez Flammarion (1/2).

Rémi Brague

Rémi Brague

Membre de l'Institut, professeur de philosophie à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne et à la Ludwig-Maximilians-Universitat de Munich, Rémi Brague est l'auteur de nombreux essais dont Europe, la voie romaine (1992), la Sagesse du monde (1999), La Loi de Dieu (2005), Au moyen du Moyen Age (2008), le Propre de l'homme (2015) et Sur la religion (2018).

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Même si l’Église et l’État n’ont pas à être séparés, puisqu’ils l’ont toujours été, il est bien clair que deux tâches demeurent.

La première est évidente : négocier leurs relations l’un avec l’autre, ce qu’il faut constamment reprendre à nouveaux frais, selon les différents pays, le climat intellectuel des époques, les mœurs, etc. C’est le travail des politiciens et des hommes d’Église. Il aboutit à des compromis plus ou moins boiteux et toujours provisoires – sort commun de tout ce qui relève de ce que les affaires humaines ont de nécessairement contingent. 

La seconde tâche est moins visible : il y a bel et bien un tout qu’il s’agit de déchirer en deux. Les empiètements mutuels ne sont pas seulement le fait de l’Église et de l’État. La difficulté est plus grave, là où la religion ne revêt pas l’aspect d’une institution aux arêtes bien définies, comme l’Église. La religion peut se présenter sous la forme d’une loi qui revendique d’être obéie dans tous les domaines de la vie, c’est-à-dire pas seulement dans la sphère publique, mais aussi dans toutes les dimensions de la vie privée : la vie personnelle et familiale, etc. Là où la religion imprègne la totalité de la vie humaine, il devient très difficile de tracer une frontière entre elle et les autres dimensions de l’humain, que cette ligne de partage soit purement théorique ou de nature pratique. Dans de tels cas, la religion n’est même pas sentie comme relevant d’une autre sphère. Elle est consubstantielle à la vie privée et publique. 

J’ai déjà eu ailleurs l’occasion de défendre la thèse selon laquelle le vrai problème ne réside pas dans la distinction entre les sphères du religieux et du politique, ou dans son absence. Il est encore moins celui du choix du type de régime : monarchie, aristocratie ou démocratie. La politique, comme gouvernement de la cité, n’est qu’une partie du système de règles qui constituent le domaine de la philosophie pratique. Il y en a deux autres : d’abord le gouvernement de l’individu, à savoir l’éthique, et en second lieu le gouvernement du « ménage » au sens le plus large, c’est-à-dire l’économie dans l’acception ancienne de ce mot. Cette dernière repose sur trois relations fondamentales : mari et femme, parents et enfants, maîtres et esclaves ou, pour le dire en termes plus modernes, dirigeants et subordonnés.

Le vrai problème est l’origine des normes que l’on a appliquées aux êtres humains. Des individus qui considèrent qu’il leur faut obéir à une loi qui dépend, en dernière instance, de la dictée littérale d’un Dieu omniscient ne se conduiront pas de la même façon que d’autres. Cela sera vrai même lorsqu’ils seront appelés à voter ou, s’ils sont élus pour exercer une quelconque responsabilité, quand ils auront à décider des lois. Même à supposer que les procédures démocratiques d’élection soient scrupuleusement respectées, le problème demeurerait.

L’accent que nous mettons spontanément sur le problème politique a une raison. Nous avons pour la plupart une origine chrétienne ou juive, et nous sommes tous nés dans un environnement chrétien. Nous considérons ainsi la séparation chrétienne entre d’une part éthique et économie, et d’autre part la religion comme quelque chose qui va de soi. Et par ailleurs, notre mémoire collective garde le souvenir de longs conflits entre dirigeants temporels et spirituels.

En conséquence, c’est le fait même que l’Église et l’État soient séparés qui nous mène à penser que cette façon de poser le problème doit valoir pour tout le monde. Ce qui n’est pas le cas. Au contraire, cette supposition trouble notre perception des autres cultures.

Extrait du livre "Sur la religion" de Rémi Brague, publié chez Flammarion

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