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Crise dans les prisons : question de moyens ou de culture pénitentiaire française ?
©PATRICK KOVARIK / AFP

Mobilisation syndicale

La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a effectué une visite de la prison de Vendin-leVieil, en évoquant notamment la promesse du chef de l'Etat de répondre à cette question par un "plan pénitentiaire global". Et le travail ne manque pas.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Dans un contexte de mobilisation syndicale du personnel pénitentiaire, faisant suite à plusieurs agressions notamment à Vendin-le-Vieil, quel bilan peut-on faire du système français ? Les prisons françaises manquent-elles simplement de moyens ou s'agit-il plutôt d'une problématique relevant d'un défaut de la "culture pénitentiaire" française ? 

Gérald Pandelon : Il convient, en premier lieu, de dresser le portrait de héros, oubliés, du quotidien, des héros travailleurs et silencieux, qui ne se pavanent pas au sein des médias pour réclamer quelques décorations, des héros qui constituent le contraire de certains marquis poudrés, bien souvent décérébrés (c'est lié), ces héros par conséquent du quotidien, ces héros ce sont les représentants du personnel pénitentiaire. Ils ne sont pas, loin s'en faut, les seuls héros car devrait figurer à cette liste ces héros oubliés que sont les chefs d'entreprises, de PME surtout ou des ETI, ou encore ces avocats qui se battent au quotidien, ou ces médecins encore, ceux de l'urgence. Mais ces héros-là sont plus visibles, on les invite sur les plateaux télé, on les écoute et on les lit ; en revanche, les surveillants pénitentiaires constituent les héros oubliés de la République. Car qui, très sincèrement, et au-delà des événements encore graves survenus encore récemment à Vendin-le-Vieil, accepterait pour un salaire sans doute pas très élevé de 1500 ou 2000 Euros mensuels, de se faire au quotidien, invectiver, cracher dessus, violentés ? Qui ? Qui ne sait la vie insupportable que connaissent les membres du personnel pénitentiaire au sein de nos prisons qui constituent de vrais coupe-gorge, lorsqu'elles ne sont pas des porcheries, tant est grande leur vétusté, leur insalubrité ? Je vois, moi, comme mes confrères de France, nous pénalistes plus que d'autres, la misère et la souffrance sur leurs visages, leurs cris sourds de désespoir, de Paris à Toulouse, de Nantes à Nice, de Lyon à Marseille. Le constat, effrayant, est toujours le même, et ce, depuis longtemps, depuis toujours. Qui s'en émeut ? Qui, au-delà de certains politiques, surtout à l'approche d'échéances électorales ou lorsqu'ils ne peuvent pas faire autrement, car le torchon brûle, parce que la République brûle. Des maisons d'arrêt qui constituent la marque la plus aboutie d'un enfer, un enfer pour les surveillants, un enfer pour des détenus parfois modèle qui endurent ceux qui ne le seront jamais, des maisons d'arrêt, véritable moyen-âge en pays démocratique et libre, où s'entassent, comme des bêtes, des détenus en attente de jugement, dans une insupportable promiscuité, une surpopulation massive. Savez-vous qu'en Ile-de-France, le taux d'occupation de ces établissements sont de 200 % ? Cette situation est grave, très grave, au premier rang pour les surveillants, ensuite, également pour certains détenus qui, pour la plupart de ceux qui sont incarcérés pour des faits d'une gravité relative, subissent, d'une certaine manière, une double peine. Car non seulement les prisons manquent cruellement de moyens, mais il n'existe plus ce que l'on pouvait appeler le respect de la règle, le respect de l'administration pénitentiaire ; que curieusement, ce sont ceux-là même qui réclament à tout bout de champ des autorités qu'elle fasse montre de respect envers elles, n'ayant quasiment que ce mot-là à la bouche, qui ne respectent rien ni personne. C'est, nous dit-on de façon démagogique, la "nouvelle génération", une nouvelle génération de sauvageons qui, en réalité, ne respecte rien ; d'ailleurs, comment voulez-vous demander à ces jeunes-là de respecter un surveillant lorsqu'ils ne respectent même pas leur propre mère, lorsqu'ils ne respectent pas la vie ? Au moins, la "vieille génération", souvent composée de détenus d'origine corse, avait un sens plus exacerbé du respect, ils ne s'en prenaient pas verbalement ou même physiquement à ceux qui n'avaient aucune responsabilité dans leur détention ; autrement dit, ils avaient un certain sens des valeurs même si, à l'évidence, ils n'étaient pas davantage des oies blanches. Ils avaient déjà intériorisé une certaine règle, un code, qu'ils s’appliquaient à eux-mêmes et aux autres.  

Alors que la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a effectué une visite de la prison de Vendin-leVieil, en évoquant notamment la promesse du chef de l'Etat de répondre à cette question par un "plan pénitentiaire global" devant voir le jour à la fin février. Quels sont les enjeux majeurs à traiter dans ce plan ? Quels sont les "oublis" à éviter ? 

Il y a plusieurs choses. Il faudrait d'abord qu'existe en France un établissement pénitentiaire, au stade de la détention provisoire, ne mêlant pas tous les détenus, une sorte de maison d'arrêt plus adaptée au type de délinquant. Savez-vous aujourd'hui que cela n'existe pas et que cohabitent, par conséquent, des personnes radicalement différentes ; en effet, concédez-moi qu'entre un assassin multirécidiviste et un chef d'entreprise qui pour permettre à sa petite PME de s'en sortir se sera rendu coupable de divers ABS, ces deux détenus n'ont rien en commun, pourtant ils pourront cohabiter dans la même cellule. D'ailleurs, aussi paradoxal que cela puisse paraître le nom de cet assassin ne sera jamais cité dans les journaux pendant que celui de ce pauvre entrepreneur apparaîtra à longueur de colonnes. Comme si la France, une certaine France, respectait et aimait davantage la racaille que les gens respectables, bref les bosseurs... Ce chef d'entreprise pouvant d'ailleurs se retrouver également avec des petits revendeurs de produits stupéfiants, souvent agressifs, ne respectant en cellule à peu près rien ni personne. Encore la double peine... Or, aucun gouvernement, au-delà des mots et des sempiternelles palabres, n'a réellement pris les décisions qui s'imposaient. Alors, me direz-vous, comment est-ce possible maître ? Et bien tout simplement parce que nos politiques soit ne comprennent rien à cet environnement-là, sauf lorsqu'ils ont dû y faire un stage en raison de malversations, soit, plus fréquemment encore, n'en ont rien à faire. Autrement dit, un véritable plan pénitentiaire devrait avoir à l'esprit s'agissant des personnes incarcérées pour des délits de faible gravité de les remettre soit plus rapidement en liberté (je répète : lorsqu’il s'agit d’infractions de faible gravité), ou de permettre, en amont, c'est-à-dire avant l'incarcération, que ces personnes-là bénéficient d'emblée de peines alternatives, leur faciliter le sursis, ou le sursis avec mise à l'épreuve lorsque des garanties de représentation sont importantes, ou encore une libération conditionnelle ; et, s'agissant des décisions des juges des libertés et de la détention (JLD), qu'elles soient empreintes pour ces personnes-là de davantage de mansuétude lorsque les critères édictés par l'article 144 du code de procédure pénale sont atteints ; c'est cela, à mon humble avis, la clé, la seule clé d'ailleurs au problème récurrent de nos prisons.

Si ce plan a vocation à répondre aux enjeux structurels de la question pénitentiaire, quels sont les questions "urgentes" à régler, notamment au niveau de la sécurité des personnes ? Quelles sont les réponses rapides pouvant être adressés aux personnels ? 

Je sais que cette idée va choquer certains de mes lecteurs, mais pourquoi ne pas admettre que dans certaines prisons particulièrement sensibles certains surveillants pénitentiaires puissent être équipés d'armes non létales ? Car s'il est communément admis qu'il faille augmenter le nombre des surveillants (il y a sur cette question une sorte d'unanimisme spontané), pourquoi ne pas affronter le réel fond du sujet ? Celui de la violence et sa recrudescence ? Celui qu'encourent ce personnel pénitentiaire-là au quotidien ? Si nos politiques ne nous mentent pas, alors il faut qu'ils aillent au bout de leur logique en mettant les moyens pour que réellement et concrètement ces fonctionnaires-là soient effectivement protégés ! Car considérer que la seule augmentation du personnel pénitentiaire viendra pallier les difficultés rencontrées dans ce type d'administration c'est tout bonnement confondre les causes et les conséquences ; c'est, d'ailleurs, intéressant de constater que la France est particulièrement douée pour trouver des solutions une fois que la crise est installée mais totalement incapable, en amont, d'anticiper la survenue de telles crises ; autrement dit, on est meilleur en défense qu'en attaque, comme dans d'autres secteurs... Pourtant, c'est le cas dans la maison centrale de Vendin-le-Veil où les 120 détenus sortiront de prison que courant de l'année 2030, dans le meilleur des cas ; or, ces détenus sont dangereux, très dangereux. Et, lorsque nos acteurs politiques s'en rendent compte, il est déjà trop tard. Il est donc urgent que édiles deviennent des gens responsables, visionnaires, courageux en se transformant en réels hommes d'Etat car, pour l'instant, et pour paraphraser un grand représentant de la monarchie, nos politiques font plus de mal que de bien et, lorsqu'ils veulent faire le mal ils le font bien et lorsqu'ils faire du bien ils le font mal.

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