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Le pape François à contre-sens de l’évolution du monde
©Reuters

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Cambridge, 
Le 24.11.2017

Mon cher ami, 
Nine Lessons and Carols

Je vous écris depuis Cambridge en attendant le train qui doit me ramener à Londres. Je viens, comme chaque 24 décembre, d’assister à l’Office de la Veille de Noël à King’s College, le célèbre « Nine Lessons and Carols » - dont vous pouvez écouter le podcast sur le service mondial de la BBC. Il faudra que vous veniez avec moi, une de ces prochaines années. Rien ne dit mieux la permanence de la nation britannique qu’un rituel de ce genre; ue fois par an, j’ai l’occasion d’éprouver, par le miracle d’harmonie que produit l’un des meilleurs choeurs d’enfants au monde, ce qu’est une tradition vivante. 

Pratiquer le foi de mes ancêtres ne m’a jamais paru être une absurdité. A vrai dire, l’anglicanisme est la foi de quelques générations dans mon cas. Lorsque l’on remonte au-delà du XIXè siècle, mes ancêtres, qui vivaient en Italie, étaient de confession juive. L’un des mes aïeux a rallié la famille à la religion de l’establishment britannique, à un moment où l’appartenance au judaïsme fermait encore la porte des emplois publics ou des carrières politiques. Sans l’anglicanisme, mon homonyme Benjamin ne serait jamais devenu député conservateur ni, a fortiori, Premier ministre. Aujourd’hui, la question pourrait se poser tout autrement et je sais que mon grand-père a failli revenir à la religion de ses ancêtres établis en Italie. Au bout du compte, il a considéré que quelques générations de vie britannique et de pratique anglicane créaient déjà une tradition qui valait la peine d’être poursuivie. Pour ma part, comme l’autre Benjamin, je suis fasciné par la parenté entre judaïsme et christianisme. Et Margaret Barker, éminent professeur de théologie de Cambridge, m’a convaincu que, paradoxalement, le christianisme était la plus archaïque des deux religions, enracinée dans le fond trimillénaire de la religion royale davidique - tandis que le judaïsme  est par bien des aspects plus empreint de rationalisme et plus moderne. Il n’en fallait pas plus pour me convaincre définitivement de rester dans l’anglicanisme. 
Le catholicisme est un conservatisme

Je vous écris tout cela parce que nous avons peu souvent parlé de religion et je voudrais recueillir votre avis sur un phénomène qui m’intrigue particulièrement. Tandis que déferlait la grande poussée individualiste du dernier demi-siècle, l’Eglise catholique s’est affirmée comme une grande force de conservation de la tradition et de protection de la société. Quoi qu’on en dise, le Deuxième Concile du Vatican, porté par Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI, est l’un des plus beaux exemples de « conservatisme » que l’on puisse donner, je veux dire d’adaptation à l’époque dans la fidélité à la tradition. Si l’on remonte un peu plus loin dans le passé, on voit comment une bonne dizaine de papes, depuis deux siècles, ont combattu toutes les dérives totalitaires de la modernité tout en réaffirmant constamment le droit de l’individu à être protégé par la société. Qu’aurait été la lutte contre le fascisme sans la fougue de Pie XI? Qu’aurait été la lutte contre le nazisme sans Pie XII (il ne faut accorder aucun crédit à la fable du « pape de Hitler » forgée par le communiste Rolf Hochhuth devenu aujourd’hui un compagnon de route de l’extrême-droite)? Ces deux géants de la lutte contre les fascismes ont aussi réaffirmé sans cesse que les guerres mondiales avaient été rendues possibles par l’oubli de la justice sociale et de l’ordre international. Le communisme serait-il tombé aussi vite sans les années 1980 sans la détermination de Jean-Paul II? Connaissez-vous dénonciation plus efficace du totalitarisme islamiste que le discours de Ratisbonne de Benoît XVI? Ces deux papes ont constamment réaffimé, à la fois, la liberté religieuse de l’individu mais aussi le caractère protecteur de toutes les cellules sociales dans lesquelles se développe l’individu (à commencer par la famille et la nation).  Eh bien, malgré tout ce passé récent, fait d’intelligence et de courage, voici qu’un nouveau pape, coqueluche des médias, aussi populaire chez les non-catholiques qu’il sème le malaise chez les catholiques, semble vouloir abandonner le chemin du conservatisme et rallier l’Eglise catholique à l’individualisme post-moderne. 

Moi l’Anglican, j’avoue que j’ai souvent attendu avec impatience de regarder la messe de Minuit retransmise depuis la cathédrale Saint-Pierre ou la bénédiction « urbi et orbi » des papes le jour de Noël. Comment ne pas être fasciné par une institution qui s’appuie avec autant de naturel sur un fonds religieux multi-millénaire tout en montrant qu’elle vit avec son temps et regarde vers l’avenir? Pourtant, ce soir ou demain, je n’aurai, je le sais, aucune envie, de suivre ce qui se passe à Rome. Je redoute de voir le visage fermé et comme habité d’un ennui profond de l’actuel Souverain Pontife. Quand on se rappelle la bienveillance communicative du « pape Jean », l’humilité rayonnante de Paul VI, l’absorption dans la prière de Jean-Paul II et le regard d’enfant de Benoît XVI, comment ne pas être rebuté par la dureté  - je n’ose pas dire le visage de pierre....-  et le manque de chaleur humaine du pape François? 
François pape anachronique

Non seulement j’espère ne pas vous choquer mais je sais bien que je vais contre la croyance collective des bien-pensants . Dès son élection, les médias se sont emballés en faveur du pape argentin et, jusqu’à aujourd’hui, ils essaient de nous faire croire à un nouveau Jean XXIII. Pourtant, en quatre ans et demi de règne, c’est un autre personnage qui a percé le rideau de fumée de la bienveillance proclamée. 

On nous avait promis un pape qui réformerait la Curie et mettrait définitivement fin aux abus et scandales dans l’Eglise. Or voici que, quatre ans plus tard, le président du C9 (le groupe de neuf cardinaux qui conseillent le pape sur la réforme de la gestion romaine), le Cardinal Rodriguez Maradiaga est soupçonné de détournement de fonds à grande échelle dans son diocèse du Honduras. Alors que la presse italienne reproduit les explications embarrassées du prélat ainsi soupçonné, on apprend, simultanément, que la commission vaticane en charge de la protection des mineurs (dédiée à la lutte contre la pédophilie dans le clergé) a fini son mandat de quatre ans à la date du 17 décembre dernier sans avoir été confirmée ou renouvelée par le Souverain Pontife. Négligence, sans doute, mais qui ne parle pas en faveur d’ un pape volontiers donneur de leçons - en particulier pour fustiger chaque année en décembre, dans un discours devant ses collaborateurs, les mauvais comportements qui caractériseraient la Curie. Les habitués du Vatican vous le diront, une véritable terreur s’est emparée de bien des responsables et employés de la Curie confrontés à un style qui doit plus à Peron qu’à l’exercice habituel de la fonction pontificale. 

Il faut même aller plus loin: héritiers de pontificats où l’on a maintenu fermement la barre doctrinale et morale, les responsables et les employés de la Curie constatent la propension du pape François à se débarrasser de tous ceux qui n’iraient pas dans le sens d’un ralliement de l’Eglise à l’individualisme post-moderne. Les deux cibles les plus évidentes ont été le Cardinal Burke (renvoyé alors qu’il était préfet de la Signature apostolique) et le Cardinal Müller (non renouvelé comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi). L’extraordinaire Cardinal Sarah - le successeur?-  n’échappe aux foudres de son « ami François » que parce qu’il est en permanence en voyage. Traditionnellement, les papes tâchent de trouver un équilibre entre « conservateurs » et « progressistes » - sans quoi Bergoglio le progressiste n’aurait jamais été nommé évêque ni cardinal par le conservateur Jean-Paul II. Or François, très clairement, rompt l’équilibre au profit des seuls progressistes. Alors que Jean-Paul II et Benoît XVI avaient suscité l’émergence de nouvelles générations de catholiques, fiers de leur appartenance, François prend comme un malin plaisir à ne jamais les mettre au centre du tableau. Son slogan est la nécessité, pour les chrétiens, de sortir de leur cadre protecteur, d’aller vers l’extérieur, vers le monde, vers « les marges », même, où se font, assure-t-il, les rencontres intéressantes.  Les adeptes de la beauté liturgique et les apôtres de la doctrine morale catholique se voient taxer par le pape lui-même de rigidité et d’infantilisme. Les ordres religieux les plus fidèles à la tradition liturgique et à une stricte observance de leur règle sont méprisés ou combattus alors qu’ils sont ceux qui suscitent le plus de vocations. Quand il m’arrive d’entendre un des sermons de François, je suis frappé comme il y parle peu du Christ et de conversion des coeurs mais beaucoup de développement personnel et d’engagement - comme s’il était resté fixé dans les années 1970, lorsque certains prélats croyaient devoir pratiquer « l’enfouissement » au coeur de la société et laissaient se vider les églises pour pousuivre la chimère du rapprochement avec quelques compagnons de route du communisme (d’ailleurs, les cardinaux qui ont élu Bergoglio en 2013 auraient dû savoir que la cathédrale de Bueos Aires était à moitié vide quand il y officiait). 
Alors que le monde a besoin de transmission et de sens.....

On ne compte plus les ruptures avec les prédécesseurs: ce qui était en 2013 un utile cri d’alarme sur le sort des réfugiés traversant la Méditerranée est devenu, avec les années, un impératif catégorique, loin de la prudence politique que recommande habituellement l’Eglise: non seulement François réclame que l’on ouvre les frontières sans hésiter mais il est allé jusqu’à contester qu’un Etat puisse légitimement réguler les entrées sur son territoire - ne serait-ce qu’au nom de l’intégration réussie des réfugiés déjà accueillis. Alors que ses prédécesseurs avaient fermement dénoncé l’illusion qu’il y ait quelque compatibilité que ce soit entre marxisme et christianisme, François a ramené dans ses bagages une version molle de la « théologie de la libération »; et surtout, on ne cesse d’inviter à Rome tous ces anciens marxistes reconvertis dans « l’idéologie du genre » Le plus flagrant est le ralliement dénué de sens critique à des courants écologistes qui ne sont sans doute pas les plus porteurs d’avenir. 

Mon cher ami, avez-vous jamais feuilleté l’encyclique du pape François dédiée à l’écologie (« Laudato Si »)? Imaginez que vous soyez éditeur et qu’on vienne vous proposer ce texte sans y mettre le nom de l’auteur. Il est probable que vous le refusieriez tant il est éculé et indigent. Il est normal que l’Eglise se préoccupe d’écologie - à vrai dire Pie XII l’avait fait bien avant l’apparition des mouvements « verts » de toute sorte. Mais l’Eglise doit-elle se faire le porte-parole de l’économiste Jeffrey Sachs - ce chantre des politiques néo-libérales dans les années 1990 aujourd’hui reconverti opportunément dans le développement durable a été le conseiller personnel du pape sur le dossier? L’Eglise doit-elle donner l’impression d’abandonner l’anthropocentrisme du livre de la Genèse au profit des « droits des animaux » placés sur le même plan que les droits de l’Homme? Doit-elle accepter la lubie d’un pape qui non seulement déteste le Vatican (il habite de manière ostentatoire à la Maison Sainte-Marthe, loin des appartements pontificaux) mais a fait projeter un soir, voici deux ans, un « sons et lumières » New Age, plein du culte de Gaïa, sur la façade de Saint-Pierre de Rome? Un pape qui écrit sur un sujet aussi grave que l’avenir naturel de la planète peut-il se permettre d’ignorer combien la digitalisation de l’économie fait entrevoir des industries propres - qui peuvent rendre l’espoir à une humanité accablée de messages pessimistes venus de tous les horizons? 

On pourrait multiplier les exemples qui montreraient combien ce vieil homme tyrannique, et dont les prêches comme les écrits font conclure à un triste déclin intellectuel de la Compagnie de Jésus, agit à contretemps des besoins, non seulement, de l’Eglise mais - et peut-être surtout - du monde. Les sociétés ravagées par cinq décennies d’hyperindividualisme peuvent ne pas aimer le discours catholique sur l’objectivité de la morale et sur le caractère indispensable de la famille comme cellule de base de la société. Mais ce discours a le mérite d’exister, d’être intellectuellement structuré. Et les oppositions qu’il a rencontrées depuis des décennies témoignent de la capacité de l’Eglise à proclamer des vérités qui ne font pas plaisir à entendre.  Surtout, qui niera que, même quand on ne la partage pas, la vision qu’a l’Eglise de l’individu pris dans un réseau de cellules sociales protectrices est éminemment utile au débat collectif?  Qui prétendra que face aux lubies transhumanistes ou au matérialisme de la Chine post-communiste nous n’ayons pas besoin d’un nouvel humanisme et que l’Eglise catholique, mieux que d’autres institutions, incarne la défense de l’humain contre toutes les manipulations, à commencer par tout ce qui touche au patrimoine génétique de l’homme? Qui contestera que face au développement de l’intelligence artificielle nous allons devoir mobiliser toutes les ressources de la théologie et de la philosophie pour orienter l’humanité sur des territoires inconnus? 
Heureusement que mon train part dans quelques minutes; sinon j’étais parti pour écrire un pamphlet !  Mais le monde a besoin de tradition, de sens et de transmission. L’Eglise catholique n’est pas la seule à s’en préoccuper; mais elle a habituellement une largeur de vues qui la met « au-dessus de la mêlée ». Qu’est donc venu faire sur le trône de Pierre cet individu qui témoigne plus des ravages de la philosophie allemande sur la formation des Jésuites depuis trois quarts de siècle que de l’intelligence de l’époque? Comment peut-on  se jucher ainsi sur les débris du navire post-moderne qui a fait naufrage tandis que la nef de Pierre est là, attendant depuis quatre ans que Bergoglio accepte de monter sur un navire solide, maintes fois consolidé pour résister à toutes les tempêtes?  Il nous faudrait méditer sur l’incapacité du prédécesseur, le pape Ratzinger à porter politiquement sa charge - les Allemands ne sont pas un peuple politique. La démission de Benoît XVI fut une mauvaise chose et elle a permis à un cheval de retour de se faufiler dans le désarroi du Conclave. 
Heureusement, comme dans toute belle institution, le chef est enserré dans une tradition et une nécessité de rendre des comptes. « L’infaillibilité pontificale » ne signifie rien d’autre que le devoir et la capacité qu’a le pape d’exprimer un point de vue qui rassemble l’Eglise dans la fidélité à la tradition. François ne pourra plus longtemps faire cavalier seul ni ignorer la tradition qu’il a pour mission de défendre - à ce que je lis et j’entends  les forces de rappel sont déjà à l’oeuvre. 
Je vous souhaite une joyeuse fête de Noël
Bien fidèlement vôtre
Benjamin Disraëli

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