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Quel avenir pour un Président 
Hollande élu par défaut ?
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Anti sarkozysme

Selon un sondage CSA publié la semaine passée, 59% des électeurs du candidat socialiste voteraient pour lui avant tout parce qu'ils ne souhaitent pas que Nicolas Sarkozy soit Président de la République. Cette situation, qui rappelle 2002 avec un Jacques Chirac reconduit "par défaut", lui permettrait-elle de construire une présidence solide avec à ses côtés un Jean-Luc Mélenchon paraissant cristalliser l'envie de changement ?

David Valence

David Valence

David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005. 
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique. 
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.

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Atlantico : Selon un sondage CSA publié ce jeudi, l'anti-sarkozysme est le principal ressort du vote pro-Hollande. 59% des électeurs qui ont l'intention de voter Hollande le feraient "avant tout" parce qu'ils "ne souhaitent pas que Nicolas Sarkozy soit président de la République". Peut-on donc parler d'un vote par défaut pour le candidat socialiste ?

David Valence : François Hollande n'a pas réussi à susciter d'adhésion à sa personne, à ce qu'il représente, dans l'électorat de gauche. Bref, son "coefficient personnel" est très faible, pour parler comme les spécialistes de communication politique des années 1980. Lors de la primaire, il ne l'a emporté que pour une raison : les sondages l'avaient sacré "meilleur candidat pour battre Nicolas Sarkozy", comme Dominique Strauss-Kahn avant lui. Ceux des électeurs de gauche qui ont préféré François Hollande ont fait un choix purement stratégique, et non un choix d'adhésion à la personne de François Hollande ou à ses propositions.

Depuis son investiture, François Hollande a fait le pari que les recettes qui lui avaient permis de gagner la primaire fonctionneraient pour l'élection présidentielle. Il s'est un peu figé dans une posture de "grand rassembleur" et de "grand réconciliateur", sans trop se risquer à préciser autour de quelles valeurs, de quel projet de société il voulait rassembler les Français, précisément. La seule de ses propositions qui ait été retenue par l'opinion publique est la taxation des très hauts revenus à hauteur de 75%.

Or, qu'on le veuille ou non, les électeurs attendent autre chose d'une campagne présidentielle. Dans ce cadre, il ne suffit plus de dire "je suis le changement" comme François Hollande semble le faire un peu naïvement sur son affiche de campagne, car la question surgit immédiatement : "quel changement ?".

Je crois que l'enjeu de cette présidentielle se situe précisément sur ce terrain : quel sera le candidat qui redonnera des marges de manoeuvre aux processus démocratiques face aux marchés et à la contrainte budgétaire, sans pour autant engager la France dans l'aventure ? Nicolas Sarkozy l'a bien compris, il prend beaucoup de risques en plaidant en faveur d'une forme de protectionnisme européen. François Hollande, lui, semble en être paradoxalement resté à un "moment" où l'antisarkozysme nourrissait de bons sondages pour lui. C'est un peu court aux yeux de beaucoup d'électeurs de gauche, d'où la progression de Jean-Luc Mélenchon.

Est-ce la première fois qu'un homme est en mesure d'être élu sans susciter l'enthousiasme ?

Fançois Hollande a fait le pari que cette élection ne serait pas comme les autres. En annonçant qu'il voulait être "un président normal", il a cru que les Français, après Nicolas Sarkozy, seraient sevrés d'exceptionnel et n'attendraient plus d'un président qu'il soit "jeté hors de toutes les séries".

Or, depuis le général de Gaulle, tous les présidents de la République successifs ont balancé entre la "proximité" avec les Français et ce petit quelque chose qui fait qu'ils sont devenus président de la République. Ils souhaitaient à la fois être identiques et différents d'un "homme normal". Georges Pompidou se voulait exceptionnel par sa culture, Valérie Giscard-d'Estaing par sa précocité et son intelligence, François Mitterrand par son habileté et son mystère, Jacques Chirac par sa ténacité ou Nicolas Sarkozy par son volontarisme. François Hollande estime que la fonction présidentielle peut ne plus être habitée par l'exceptionnel aujourd'hui, et qu'une complète simplicité est attendue des Français, après le tourbillon Nicolas Sarkozy.

J'observe tout de même qu'à au moins deux reprises, un Président a été réélu par défaut, ou presque : en 1988, François Mitterrand l'a emporté grâce au rejet de Jacques Chirac, alors que son projet était d'une absolue indigence, que la formule du "ni, ni" (ni privatisations, ni nationalisations) résume à merveille sur le terrain économique. La victoire de Jacques Chirac en 2002 n'était pas non plus le résultat d'un vrai vote d'adhésion.

Quelles conséquences une telle victoire peut-elle avoir sur le quinquennat de François Hollande, s'il est élu ?

Le résultat d'un vote par défaut est que son bénéficiaire est fragile politiquement. Les électeurs se détourneront d'autant plus aisément d'un François Hollande président que beaucoup ne l'auront pas vraiment "voulu". Le risque serait grand alors de voir un PS "rongé" sur sa gauche, pendant le quinquennat, par Jean-Luc Mélenchon et ses alliés, et sur sa droite, par l'UMP ou les formations politiques qui lui succéderont.
A plus court terme, si François Hollande est élu, il sera sans doute obligé, en particulier si Jean-Luc Mélenchon fait un bon score, de prendre un Premier ministre plus à gauche que lui. Plus Mélenchon monte dans les sondages, plus les chances de Martine Aubry d'être Premier ministre augmentent.

Y aurait-il également des conséquences sur les élections législatives de juin ?

Un bon résultat à la présidentielle ne se confirme par nécessairement aux législatives. En 2007, François Bayrou avait fait 18,5% à la présidentielle et n'a fait élire que 3 ou 4 députés. En 1988, la large victoire de François Mitterrand à la présidentielle n'a accouché que d'une majorité étriquée aux élections législatives.

Cela dit, la gauche a mathématiquement de bonnes chance de remporter les législatives : elle a beaucoup d'élus locaux, qui font autant de bons candidats pour les législatives. Mais sa victoire serait un paradoxe, car le leadership intellectuel est toujours détenu par la droite aujourd'hui. Rien ne le montre mieux que les sondages sur les propositions de Nicolas Sarkozy : beaucoup recueillent des soutiens très larges, bien au-delà des résultats annoncés pour le président sortant au 1er tour.

Si les sondages ne se trompent pas et si la gauche l'emporte à la présidentielle et aux législatives, alors nous aurons une France de droite qui vote à gauche. Les socialistes et leurs alliés se trouveraient dans la même situation que la droite entre 1993 et 1997 par exemple, quand la gauche dominait encore intellectuellement : mal à l'aise, obligés de faire une politique qu'ils désapprouvent et empêchés de pratiquer la politique qu'ils souhaitent.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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