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Grève chez Alstom : un naufrage industriel 100% made in Etat français
©Reuters

Cocorico

Comme toute entreprise, Alstom réunit du capital et du travail plus du know-how. Normalement, elle devrait même réunir une vision stratégique et compter sur un top-management audacieux et crédible.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Au lieu de cela, l'histoire de sa dernière décennie révèle de manière aussi triste qu'éclatante qu'Alstom n'a pas eu assez de fonds propres, s'est retrouvée en position de sureffectifs faute de carnets de commandes et n'a eu de stratégie que celle consistant à devenir une proie de plus en plus léthargique.

Lorsque qu'Alstom s'appelait encore Alsthom, elle appartenait – à compter de 1969 - au puissant conglomérat qu'était la Compagnie Générale d'Electricité qui détenait Alcatel, les Chantiers de Saint Nazaire et ce qui allait devenir Vinci.

En démantelant l'œuvre d'Ambroise Roux, " prince des affaires " selon Anne de Caumont et fondateur de l'AFEP, on a joué aux quilles et des milliers d'emplois sont partis en fumée du fait du rétrécissement progressif du périmètre de ces grandes entreprises et du choc de la nationalisation de 1982.

La place financière de Paris ( Alsthom est entrée en Bourse en 1998 ) était alors composée d'une partie d'analystes qui répétaient benoîtement " lire les comptes d'un conglomérat, c'est compliqué, on préfère les pure players " a une part de responsabilité qui est régulièrement passée sous silence sauf, précisément, dans les banques d'affaires qui connaissent ce dossier.

Ici, il y a bien une opposition frontale entre les gérants et les concepteurs d'ingénierie financière dont certains n'ont cessé de crier casse-cou auprès, notamment, du président Patrick Kron.

Aujourd'hui, 31.000 salariés sont légitimement inquiets de la future fusion avec Siemens ferroviaire : ce conglomérat allemand ayant très récemment montré son aptitude à " rationaliser " ses effectifs ( 6.000 départs programmés ).

Compte-tenu des efforts que les salariés ont été amenés à consentir depuis des années, on conçoit leur colère et tout ceci explique les mouvements sociaux de cette semaine qui risquent d'être des coups d'épée dans l'eau tant ce dossier est désormais " ficelé " dans la tête des gouvernants et des dirigeants tant français qu'allemands.

Une entreprise de 90 ans ( puisque née en 1928 ) est désormais sous tutelle étrangère n'en déplaise à des déclarations de son président Poupart-Lafarge.

Elle aura cédé en 2006 les Chantiers de l'Atlantique qui s'avère être une affaire rentable ( voir le feuilleton industriel et capitaliste de STX ) et surtout le président Kron décide en 2014 de vendre près de deux tiers du chiffre d'affaires global ( ! ) via la fameuse cession de la branche énergie à l'américain General Electric.

Ceci afin d'être un " pure player " dans le ferroviaire sans concevoir que la taille critique n'était pas atteinte et qu'il faudrait – face aux concurrents chinois – s'allier avec Bombardier ou Siemens. Autrement dit se vendre et " éteindre la lumière en sortant ".

Ce n'est plus une stratégie, c'est une impasse totale. Ce n'est plus une planche de salut, c'est un naufrage industriel dans lequel l'Etat dirigé par François Hollande n'aura pas compris grand-chose allant même jusqu'à commander des rames TGV ( pour soutenir le site de Belfort et son plan de charge ) pour envisager de les faire circuler en remplacement de trains intercités…

Toute cette politique de Gribouille a un coût social et un coût pour le contribuable.

D'autant plus que l'histoire chaotique de ce groupe ( on se souvient de l'achat de turbines défectueuses auprès du suédois ABB et des exploits du président Pierre Bilger n'est pas terminée.

En effet, General Electric vient très habilement de se déclarer déçu par le rachat de la branche énergie qui se révèle " en-dessous de ses attentes " et dont " le marché a été mal évalué ".

Il faut convenir que le succès n'est pas au rendez-vous pour ce qui concerne les trois joint-ventures ( turbines, énergies vertes, réseaux électriques ) qui unissent GE à Alstom.

Ainsi, près de 3 milliards de pertes ( dont 2 mds pour les énergies vertes ) ont été recensés pour un chiffre d'affaires total de 6,3 mds d'euros. Or, il était prévu que GE voit Alstom se désengager des JV réseaux et énergies vertes pour près de 2,5 milliards.

Nul ne saurait imaginer que General Electric va honorer une telle somme au regard des résultats : les JV destinées à rassurer le camp français risquent – encore – de tourner au fiasco dans un groupe où le top-management semble dépourvu de lucidité stratégique.

Alstom ne sera jamais centenaire. Des milliers de brevets et un vrai savoir-faire ( exemple du domaine de la signalisation ) va être englouti : tel est l'inéluctable en attendant la casse sociale corrélée qui aura lieu d'ici 5 ans.

François Mitterrand a écrit un jour : " Dans les cimetières ne résident pas que de la poussière des hommes mais aussi de leurs rêves ".

Ambroise Roux avait réalisé, avec son équipe de baroudeurs, un groupe et un rêve éveillé. En moins de 25 ans, Alstom sera devenu un des dossiers les plus noirs de l'industrie française. Dossier qui aura pourtant nourri bien des consultants et autres affairistes. Ceux-là pourront compter leurs juteux points retraite tandis que les opérateurs Alstom vont devoir, selon les cas, se battre pour assurer la dignité de leur sortie.

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