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Déchéance de droits civiques pour les fraudeurs, pourquoi pas. Mais voilà ce qu’il faudrait vraiment oser faire pour vaincre la fraude
©Pixabay

Ose !

Certains députés de La République En Marche souhaitent automatiser la déchéance des droits civiques dans les cas de "fraudes fiscales graves", en reprenant les termes du ministre des comptes publics, Gerald Darmanin « Je ne verrais personnellement pas d'inconvénient à ce que l'on prive de certains droits, pendant un certain temps, les auteurs de fraudes fiscales graves ».

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier est Avocat, fondateur & coordinateur pédagogique du diplôme Start-up Santé (bac+5) à l'Université Paris Cité. Il est également Président de l'UNPI 95, une association de propriétaires qui intervient dans le Val d'Oise. Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Alors que le juge peut d'ores et déjà procéder à une telle sanction, comment interpréter une telle proposition ? Celle-ci peut elle être efficace à la lutte contre la fraude fiscale ?

Thomas Carbonnier : Hier, en juin dernier, M. Gérard Darmanin déclarait que « le droit à l'erreur sera l'un des premiers grands textes du gouvernement ». Il entendait assouplir les sanctions fiscales à l’égard des contribuables matraqués sous l’ère Hollande.

Ce politocrate affiche désormais une ligne bien différente. Il veut renforcer les sanctions qu’il voulait hier assouplir.

Il serait désormais question de « fraudes fiscales graves ». Existe-t-il des fraudes fiscales qui ne soient pas graves en France… ?

Monsieur le Ministre : ne faites pas rire au point de prêter à rire. La législation actuelle prévoit déjà que l’on « prive de certains droits, pendant un certain temps, les auteurs de fraudes fiscales graves »

En effet, s’agissant du délit de fraude fiscale, trois catégories de peines sont applicables : principales, complémentaires et accessoires.

Peine principale : jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et 2 000 000 € d’amende

L’auteur du délit de fraude fiscale est passible d’un emprisonnement de 5 ans et d’une amende de 500 000 €. Les peines sont portées à 2 000 000 € et 7 ans d'emprisonnement lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou réalisés ou facilités au moyen :

-soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger ;

-soit de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger ;

-soit de l'usage d'une fausse identité ou de faux documents, au sens de l'article 441-1 du Code pénal, ou de toute autre falsification ;

-soit d'une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger ;

-soit d'un acte fictif ou artificiel ou de l'interposition d'une entité fictive ou artificielle.

Peine complémentaire : Interdiction d'exercer et suspension du permis de conduire, privation des droits civiques, civils et de famille

En application des dispositions de l’article 1750 du Code général des impôts, les personnes physiques coupables de l'une des infractions en matière d'impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droit d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droit de timbre encourent les peines complémentaires suivantes :

-l'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27 du Code pénal, d'exercer directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une profession libérale, commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale ;

-la suspension, pour une durée de 3 ans au plus, ou de 6 ans au plus en cas de récidive, du permis de conduire, la juridiction pouvant limiter cette peine à la conduite en dehors de l'activité professionnelle.

L’article 1741 du Code général des impôts prévoit que toute personne condamnée en application des dispositions du présent article pourra être privée des droits civiques, civils et de famille suivant les modalités prévues par l’article 131-26 du Code pénal.

L’interdiction des droits civiques, civils et de famille ne peut excéder une durée de 5 ans en cas de condamnation pour délit (article 131-26, 5° du Code pénal).

M. Gérard Darmanin ferait donc bien de revoir sa copie ou de changer de conseillers !

Philippe Crevel : La perte des droits civiques est une peine de droit pénal, c’est-à-dire prononcée par un juge. Dans le cadre du code pénal de 1994, cette perte n’est plus automatique et liée à certaines sanctions. Il s’agit d’une pine complémentaire décidée par le juge ou les jurés. Elle s'applique sur une durée temporaire.

Avant 1994,  les auteurs de crimes étaient privés des droits civiques, civils et familiaux durant toute leur vie et les auteurs de délits durant dix ans. Ainsi, des personnes victimes de faillites pouvaient être privées de droit de vote.

Depuis 1994, la perte des droits civils ne peut excéder 5 ans en matière délictuelle, et 10 ans en matière criminelle. Le tribunal a la possibilité de prononcer l'interdiction de tous ces droits ou de la limiter à certains d'entre eux. Chaque année, de 27 à 32 000 électeurs perdent ainsi provisoirement leur droit de vote.

Faut-il revenir à l’automaticité ? Faut-il durcir le régime pour ceux qui fraudent de manière fiscale ? L’argument est que celui qui ne contribue pas au financement de l’Etat et des régimes sociaux ne doit pas participer à la vie citoyenne. Je ne suis pas certain que ce soit un argument choc pour inciter les contribuables à respecter le droit. En outre, il y a la fraude omission, il y a la fraude erreur et il y a la fraude industrielle. Ces différentes fraudes ne peuvent être traitées de manière identique.

Ne peut on pas considérer que le meilleur outil pour lutter contre la fraude pourrait être la simplification du dispositif fiscal français ? 

Philippe Crevel : Oui, évidemment, un système fiscal plus simple permettrait de réduire les tentations, les oublis et les erreurs. La fraude représente en France 80 milliards d’euros par an, soit le montant du déficit budgétaire.

La sanction pénale et la privation du droit de vote ne valent que pour des cas avérés, répétés de fraude. En revanche, le retard, l’oubli, l’erreur involontaire ou légère ne peuvent pas donner lieu à de telles sanctions. Nul n’est censé ignorer la loi sous réserve qu’elle soit compréhensible par le plus grand nombre. En la matière, nous sommes loin du compte.

Thomas Carbonnier : Il faut éteindre la démesure plus encore que l'incendie.

Les schémas de fraudes fiscales classiques réalisés par des contribuables sont généralement vite détectés et sanctionnés par l’administration fiscale.

Rappelons que le fichier EVAFISC, créé fin 2009, a pour objectif de recenser des informations laissant présumer de la détention de comptes bancaires hors de France par des personnes physiques ou morales. Les informations peuvent être transmises par des tiers, tels que l’autorité judiciaire ou d’autres pays lors de la mise en œuvre de l’assistance administrative internationale. A l’aide de ce fichier, la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) analyse et vérifie les données collectées.

La France s’est également dotée d’une Brigade Nationale de Répression de la Délinquance Fiscale qui est constituée de policiers et d’agents des finances publiques (appelés officiers fiscaux judiciaires) pour intervenir de façon plus musclée...

N’oublions pas non plus le Parquet National Financier, institution judiciaire française créée en décembre 2013 et chargée de traquer la grande délinquance économique et financière. Depuis son installation, le 1er mars 2014, le procureur de la République financier traite les affaires d'une grande complexité pour lesquelles il a compétence sur tout le territoire français.

A ceux-ci s’ajoutent le système d'échange d'informations entre Etats membres EUROFISC, pour mieux lutter contre les fraudes internationales à la TVA (fraudes carrousel).

Objectivement, la France ne manque pas de moyens pour lutter contre la fraude. Malheureusement, c’est tout le système français qu’il faudrait revoir pour éviter de superposer sans fin des couches de complexité. En France, le poids de l’impôt est tel que beaucoup de contribuables sont tentés de s’évader en changeant de pays de résidence ou de frauder. Plutôt que d’essayer d’attirer de riches contribuables exilés à l’étranger, la France préfère se concentrer sur la chasse à la fraude fiscale.

Les porcs se complaisent dans la fange plutôt que dans l’eau pure.

En quoi une telle simplification pourrait-elle également conduire à faciliter le travail de la détection de la fraude fiscale ?

Philippe Crevel : Le système français constitué un grand nombre de niches fiscales, 457 programmées en 2018 pour un coût total de 100 milliards d’euros sont une source évidente de fraude en tout genre. La multiplicité de régimes, les dérogations, les crédits d’impôts, les réductions, les abattements sont autant de voies pour diminuer légalement le poids de l’impôt mais aussi pour frauder. Un impôt plus simple est par définition plus simple  à contrôler.

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